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05/07/2011

Sereine Berlottier, Attente partition

 

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12 janvier

 

tu lui raconteras l’histoire

d’un cheval qui t’a manqué

et que tu n’as pas vu mourir

 

tout est confus

le cheval est mort dans un champ de neige

son poil avait la couleur de l’ambre

 

mais comment faire pour revenir

à ce point précis où la voix se tapisse de failles

et bruisse un vent de jadis

 

vers de petit cheval qui t’appartenait

n’était à toi que sous le poids d’une promesse

jetée à dix ans

 

24 juin

quelque part une lutte s’éteint

feu assoupi

partagé dans le noir

quand sous la lumière

seuls

chauffés

ceux qui tremblent

ceux qui caressent

ceux qui fondent

dans la lumière

ceux qui déglutissent avec une râpe

plantée au fond

ceux dont la main

crispée sur le pantalon

étreint une main invisible

ceux qui sont ailleurs ou bien ceux

qui sont restés sur le bord et ceux

que la tristesse d’avoir failli

accable ou qui cachent

en marchant sur les pavés une joie

imprécise à l’odeur de pomme salée et ceux

qui veulent mourir

dans pas longtemps

sans savoir qu’ils sont assis près de

celui qui a déjà choisi une date

ou encore (différemment)

 

Sereine Berlottier, Attente, partition, éditions Argol, 2011, p. 101-102 et 138-139.

06/06/2011

Jules Renard, Journal

imgres-1.jpegSi d’une discussion pouvait sortir la moindre vérité, on discuterait moins. Rien d’assommant comme de s’entendre : on n’a plus rien à se dire.

 

L’art avant tout. Il restait un mois, deux mois, parmi ses livres, ne leur demandant que le temps du repos et des sommeils, puis tout à coup il tâtait sa bourse. Il fallait chercher un emploi, n’importe quoi, pour revivre. Une longue suite de jours dans un bureau quelconque avec des ronds-de-cuir, de race ceux-là, il collait des timbres, mettait des adresses, acceptait toute besogne, gagnait quelques sous, remerciait le patron et retournait à ses livres, jusqu’à nouvelle détresse.

 

Il avait plus de cheveux blancs que de cheveux.

 

L’éloquence. Saint André, mis en croix, prêche pendant deux jours à vingt mille personnes. Tous l’écoutent, captivés, mais pas un ne songe à le délivrer.

 

Un ami ressemble à un habit. Il faut le quitter avant qu’il ne soit usé. Sans cela, c’est lui qui nous quitte.

 

Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés de déchirer leur photographie !

 

   Qu’est-ce qu’il fait donc, Jules ?

   Il travaille.

   Oui, il travaille. À quoi donc ?

   Je vous l’ai dit : à son livre.

   Faut donc si longtemps que ça, pour copier un livre.

   Il ne le copie pas : il l’invente.

 Il l’invente ! Alors, c’est donc pas vrai, ce qu’on met dans les livres ?

 

Tu n’es pas assez mûr, dis-tu. Attends-tu donc que tu pourrisses ?

 

On peut être poète avec des cheveux courts.

On peut être poète et payer son loyer.

Quoique poète, on peut coucher avec sa femme.

Un poète, parfois, peut écrire en français.

 

Malgré l’ininterrompue continuité de nos vices, nous trouvons toujours un petit moment pour mépriser les autres.

 

Faire tous les frais de la conversation, c’est encore le meilleur moyen de ne pas s’apercevoir que les autres sont des imbéciles.

 

Il est tombé sur moi à coups de compliments.

 

La psychologie. Quand on se sert de ce mot-là, on a l’air de siffler des chiens.

 

Je ne lis rien, de peur de trouver des choses bien.

 

Quand on me montre un dessin, je le regarde juste le temps de préparer ce que je vais en dire.

 

Tout est beau. Il faut parler d’un cochon comme d’une fleur.

 

Si on reconnaît « mon style », c’est que je fais toujours la même chose, hélas !

 

J’au vu, monsieur, sur une table de boucher, des cervelles pareilles à la vôtre.

 

La prose doit être un vers qui ne va pas à la ligne.

 

J’ai fait le calcul : la littérature peut nourrir un pinson, un moineau.

 

En somme, qu’est-ce que je dois à ma famille ? — Ingrat ! Des romans tout faits.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p. 7, 12, 13, 15, 15, 17, 25, 35, 51, 57, 60, 69, 73, 83, 86, 97, 98, 99, 103, 106.

 

 

 

 

 

23/03/2011

Paul Klee, Journal

 

 

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Berne, 1906. Janvier. La démocratie avec sa demi-culture nourrit honnêtement le mauvais goût. La puissance de l’artiste devrait être spirituelle. Mais la puissance de la majorité est matérielle. Là où les mondes se joignent règne le hasard.

Dans le pays helvétique le peuple devrait franchement proscrire l’art par la loi. Les plus hauts dignitaires ne se sont jamais manifestés dans le domaine artistique. Là, ils demeurent de vrais demi-barbares. Et la foule croit les pères du peuple, parce qu’il n’y a point de corporation artistique capable de s’imposer à l’opinion publique. Les 999 barbouilleurs mangent encore volontiers le pain de leurs commanditaires. La science se trouve en meilleure position. Le pire serait que la science s’occupât en outre de l’art. Il est temps de quitter prochainement pour toujours le pays helvétique.

 

Paul Klee, Journal, traduction de Pierre Klossowski, éditions Grasset, 1959, p. 197.