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16/01/2023

Victor Hugo, Choses vues

 

9 septembre 1845

Les maraîchers fruitiers de Paris, marchands de primeurs femmes de la halle ne veulent envelopper ce qu’ils vendent, fruits, poissons, etc., que dans du papier imprimé. On leur a fait et offert du papier blanc au même prix que le papier maculé ; ils n’en ont pas voulu, ils disent que le papier imprimé pare la marchandise.

 

27 octobre 1846

Les élégants de Paris copient en ce moment de hideuses modes anglaises. Ils n’ont jamis été plus laids et n’ont jamais eu l’air plus bête qu’aujourd’hui.

 

2 novembre 1846

Un barbare contemplait le Capitole tout rêveur.

Un Romain l’aborde : « Sue fais-tu là, barbare ? »

« Je regarde, dit le barbare, le lieu où est le joug de l’univers. »

 

19 novembre 1846

La police autrichienne vient de saisir Le Dante dans la poche d’un voyageur français entrant en Lombardie, comme œuvre pestilentielle de l’esprit français contemporain.

  

Victor Hugo, Choses vues, Quarto/Gallimard, 2002, p. 241, 276, 278, 281.

 

15/01/2023

Selima Hill, Portrait de mon amant en animal étrange

 

Portrait de mon amant en animal étrange

 

Ne me demandez pas pourquoi

mais je me suis bientôt mise à nourrir l’animal,

de chenilles, de crottes en chocolat, de baies sucrées —

ou autre, tant que c’était petit.

Sa bouche était aussi petite et serrée qu’une alliance.

Les nuits de clair de lune il aimait regarder les étoiles

et se blottir contre moi comme un flan géant.

Puis vint la nuit où il m’a semblé l’entendre parler.

Il prononçait mon nom !

Mon Dieu, comme c’était beau !

Mais il est vrai qu’alors l’épuisement m’avait fait perdre la tête.

Je m’étais laissée tomber à genoux sur le sable tant j’étais épuisée.

Et les sacs que j’avais portés ne contenaient sue des racines.

Quant à mon nom —

ce n’était que le bruit de ses mâchoires

broyant le corps

de son dernier roitelet.

 

Selima Hill, dans L’Île rebelle, Anthologie de poésie britannique au tournant du XXIe siècle,

Édition bilingue, choix de Martine De Clerq, Préface de Jacques Darras,

tous deux traducteurs, Poésie/Gallimard, 2022, p. 237.

14/01/2023

Carol Ann Duffy, Eurydice

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                 Eurydice

 

Oh les filles, j’étais morte et au fond

de l’Enfer, un fantôme,

l’ombre de moi-même, un néant.

Cet endroit était le terminus du langage,

un sombre point final, un trou noir

où les mots devaient prendre fin.

Et c’est bien là qu’ils finissaient,

les derniers mots,

célèbres ou pas.

Ça m’allait à merveille.

Alors imaginez moi là,

indisponible,

hors du monde,

puis figurez-vous mon visage dans ce lieu

de Repos Éternel,

le seul où une fille se croit délivrée

du type d’homme

qui la suit à la trace

en  écrivant des poèmes,

qui rôde partout quand elle les lit,

l’appelle Sa Muse

et qui a une fois boudé tout un jour et une nuit parce qu’elle avait critiqué son penchant pour les noms abstraits.

Imaginez ma figure

quand j’ai entendu —

Ô Dieux —

un toc-toc-toc familier à la porte de la Mort.

Lui en personne.

(...) 

Carol Ann Duffy, Eurydice, dans L’Île rebelle, Anthologie de poésie britannique au tournant du XXIe siècle, édition bilingue, Choix de Martine De Clerq, préface de Jacques Darras, tous deux traducteurs, Poésie/Gallimard, 2022, p. 333 et 335.

13/01/2023

Jules Renard, Histoires naturelles

 

Dindes 

Sur la route voici encore le pensionnant des dindes.

Chaque jour, quelque temps qu’il fasse, elles se promènent.

Elles ne craignant ni la pluie, personne ne se retrouve mieux qu’une dinde, ni le soleil, une dinde ne sort jamais sans son ombrelle.

 

Le chat

On lui dit : « Prends les souris et laisse les oiseaux ! »

C’est bien subtil, et le chat le plus fin quelquefois se trompe.

 

L’escargot

Casanier dans la saison des rhumes, son cou de girafe rentré, l’escargot bout comme un nez plein. 

Il se promène dès les beaux jours, mais il ne sait marcher que sur la langue.

 

L’écureuil

Leste allumeur de l’automne, il passe et repasse sous les feuilles la petite torche de sa queue. 

Jules Renard, Histoires naturelles, GF/Flammarion, 1967, p. 35, 55, 113, 121.

12/01/2023

Stephen Romer, Ermenonville

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              Ermenonville

 

Ce fut ainsi jadis, ça l’est encore aujourd’hui,

le temps d’un après-midi,

 

à bicyclette, roues ensablées

dans le désert d’Ermenonville

 

où les filles du feu font flotter leurs spectres

au fond vague des avenues.

C’étaient elles les démons de la mélancolie

là parmi les fougères,

 

elles les sirènes qui m’ont rendu fou.

Pour garder la tête froide cette fois-ci, j’ai ramassé

 

une pomme de pin que j’ai mise dans ma poche

tandis que tu pédalais devant moi

 

sur le chemin qui va à Mortefontaine

où Corot a peint en taches argentées,

 

au-delà du puits sur la route

à l’eau calme et claire.

 

Cette fois-ci les yeux étaient les tiens

seuls, doux et baissés,

 

croisant les miens par-delà les années

 avec tes cheveux en chignon, ton dos bien droit,

 

un port de reine,

comme ce jour d’antan où je t’aperçus,

sur ton vélo, papoose sanglé derrière toi,

sortant résolument de ma vie.

 

Stephen Romer (né en 1957), Ermenonville, dans Anthologie de poésie britannique au tournant du XXIe siècle,édition bilingue, traduction Martine De Clercq et Jacques Darras, Poésie/Gallimard, 2022, 560, p.351 et 353.

 

 

 

 

11/01/2023

Simon Armitage, Grimpe,Dennis

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Grimpe, Dennis

 

Un homme faisait du stop sur la bretelle de l’A16 juste à la sortie de Caias. Malgré ses traits taillés au couteau et sa gestuelle quasi désespérée, je me suis senti obligé de le prendre, alors j’ai fait un crochet vers lui et j’ai baissé la

vitre. Il a collé sa sa figure à l’intérieur de l’auto et dit : Je suis

Dennis Bergkamp, joueur de foot d3Arsenal.Ce soir on a un match au Luxembourg mais par frousse de l’avion, j’ai pris lavoie terrestre. J’ai fini par me disputer grave avec

le chauffeur et il m’aplanté là.Vous pouvez m’aider ?

— Grimpe

Dennis » ai-je dit. Il a jeté son barda à l’arrière, bouclé sa ceinture à mes côtés. « Alors c’était quoi l’embrouille ? » ai-je

demandé. Dennis a soupiré, secouant sa tête d’aspect classique.

« Le type était ignare. Il a débiné le grand maître

hollandais Vermeer et traité Rembrandt d’homosexuel. »

 (...)

Simon Armitage (né en 1963), Grimpe, Dennis, dans Anthologie de poésie britannique au tournant du XXIe siècle,édition bilingue, traduction Martine De Clercq et Jacques Darras, p. 379 et 381,Poésie/Gallimard, 2022, 560 p.

10/01/2023

Kathleen Jamie, Reine des prés

 

         Reine des prés

 

Selon la tradition, certaines poétesses

gaéliques étaient enterrées face contre terre

 

Alors ils l’ont enterrée et sont rentrés chez eux,

au morne psaume

les voilant d’un voile de brume,

 

sans savoir que le liquide

s’égouttant de ses lèvres

allait d’infiltrer dans le sol,

 

et que prise dans sa tresse de cheveux gris

 qui lentement se déroulait

‘’il y avait des graines d’été :

 

reine des prés, mélisse,

symboles d’honnêteté et déjà

se mettaient à ramper

 

vers la lumière, lui montrant ainsi

comment, le moment venu,

sortir de terre et remonter

 

à la surface afin de les saluer

d’une bouche jeune et encore pleine

de crasse, de crachats et de poésie.

 

Kathleen Jamie (née en 1962), dans

Anthologie de poésie britannique au tournant du

XXIe siècle, édition bilingue, traduction Martine de

Clercq et Jacques Darras, Poésie / Gallimard,

2022, p. 507 et 509.

08/01/2023

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

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Lumière chaude,

Frôlement trouble

 

Baiser de miel,

Bruit percutant.

 

Contour mou,

Alcool dur.

 

Mélodie plate,

Accords chatoyants.

 

Parfum pimenté,

Harmonie fade.

 

Vue insipide,

Peinture savoureuse.

 

Goût râpeux,

Musique caressante.

 

Parler rocailleux,

Sonorité brillante.

Ton aigre,

Voix veloutée.

 

Couleur acide,

Chant sirupeux.

 

Michel Leiris, Le ruban

au cou d’Olympia, Gallimard,

1981, p. 119-120.

07/01/2023

Michel Leiris, Mots sans mémoire

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                 Feinte

Les franges du vent lancent leur fronde

sous les herbages anciens,

transperçant la cible sans entrave,

captent le suaire des voix.

Le sillage maudit de sable rêche,

axe noirci, riposte,

décoche les fanges nulles.

 

Sèche le souffle d’extase sur les langues impétueuses,

au désert de similitude anéantie qui couve l’outrage béant des fleuves

et des constellations.

 

Michel Leiris, Mots sans mémoire, Gallimard, 1970, p. 15.

06/01/2023

Serge Essenine, La confession d'un voyou

serge essénine

            La confession d’un voyou

Ce n’est pas tout un chacun qui peut chanter

Ce n’est pas à tout homme qu’est donné d’être pomme

Tombant aux pieds d’autrui.

 

Ci-après la toute ultime confession,

Confession dont un voyou vous fait profession.

 

C’est exprès que je circule, non peigné,

Ma tête comme une lampe à pétrole sur mes épaules.

Dans les ténèbres il me plaît d’illuminer

L’automne sans feuillage de vos âmes.

 

C’est un plaisir pour moi quand les pierres de l’insulte

Vers moi volent, grêlons d’un orage pétant.

Je me contente alors de serrer plus fortement

De mes mains la vessie oscillante de mes cheveux,

C’est alors qu’il fait si bon se souvenir

D’un étang couvert d’herbes et du rauque son de l’aulne

Et d’un père, d’une mère à moi qui vivent quelque part,

Qui se fichent pas mal de tous mes poèmes,

Qui m’aiment comme un champ, comme de la chair,

Comme la fluette pluie printanière qui mollit le sol vert.

Ils viendraient avec leurs  fourches vous égorger

Pour chaque injure de vous contre moi lancée.

 

Pauvres, pauvres paysans !

Sans doute vous êtes devenus pas jolis

Et toujours vous craignez Dieu et les poitrines des marécages.

Oh ! si seulement

Vous pouviez comprendre qu’en Russie votre enfant

Est le meilleur poète.

Craignant pour sa vie, n’aviez-vous pas du givre au cœur

Lorsqu’il trempait ses pieds nus dans les flaques d’automne ?

Il se promène en haut de forme aujourd’hui

Et en souliers vernis.

[...]

Serge Essénine, dans Quatre poètes russes, V. Maïakovsky, B. Pasternak, A. Blok, S. Essénine, traduction Armand Robin, éditions du Seuil, 1949, p. 59-61.

 

05/01/2023

Oiseaux des jardins, été hiver

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04/01/2023

Cesare Pavese, Travailler fatigue

 

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                      Paysage VII

 

Un peu de jour suffit dans ses yeux transparents

comme le fond d’une eau, et la colère la prend,

aspérité du fond que ride le soleil.

Le matin qui revient et la trouve vivante,

n’est bon ni n’est doux : il la regarde immobile

entre les maisons de pierre qu’enserre le ciel.

 

Son corps frêle sort entre ombre et soleil

comme un lent animal, épiant tout autour,

et ne voyant rien d’autre si ce n’est des couleurs.

Les vagues ombres qui habillent la rue et son corps

rembrunissent ses yeux qui s’entrouvrent à peine

comme une eau, et dans l’eau une ombre transparaît.

 

Les couleurs reflètent le ciel calme.

Le pas lui aussi qui foule lentement le pavé

semble fouler les choses, pareil au sourire

qui les ignore et qui glisse sur elles comme une eau

transparente. Dans l’eau passent de vagues menaces.

Chaque chose à la lumière du jour se voile à l’idée

que la rue, si ce n’est sa présence, est déserte.

 

                    Paesaggio VII

 

Basta un poco di giorno negli occhi chiari

come il fondo di un’acqua, e la invade l’ira,

la scabrezza del fondo che il sole riga.

Il mattino che torna et la trova viva,

non è dolce né buono : la guarda immoto

tra le case di pietra, che chiude il cielo.

 

Esce il piccolo corpo tra l’ombra e il sole

come un lento animale, guardandosi intorno,

non vedendo null’altro se non colori.

Le ombre vaghe che vestono la strada e il corpo

le incupiscono gli occhi, socchiusi appena

come un’acqua, e nell’acqua traspare un’ombra.

 

I colori riflettono il cielo calmo.

Anche il passo che calca i ciottoli lento

sembra calchi le cose, pari al sorriso

che le ignora e le scorre come acqua chiara.

Dentro l’acqua trascorrono minacce vaghe.

Ogni cosa nel giorno s’inscrespa al pensiero

che la strada sia vuota, se non per lei.

 

Cesare Pavese, Travailler fatigue (Lavorare stanca), édition bilingue, traduit de l’italien et préfacé par Gilles De Van, Gallimard, 1969, p. 91 et 90.

 

                          

03/01/2023

Hugo Hofmannsthal, Le lien d'ombre

         

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Tercets, IV

Parfois des femmes que nul n’a jamais aimées viennent

En rêve à notre rencontre, on dirait des petites filles,

Et elles sont indiciblement émouvantes à voir.

 

Comme si avec nous sur d’invisibles routes

Elles avaient par un soir de jadis longuement cheminé,

Tandis que les cimes des arbres s’agitent en respirant

 

Et que tombe sur nous un souffle parfumé, et la nuit, et l’angoisse,

Et que le long du chemin, de notre chemin, l’obscur,

Dans la clarté du soir les étangs muets resplendissent.

 

Miroir de notre nostalgie, ils scintillent comme en rêve,

Et à toutes les paroles murmurées, à tout le flottement

De l’air du soir et au premier éclat des étoiles,

 

Les âmes, ces sœurs, profondément tressaillent

Et s’affligent, et s’emplissent d’une gloire triomphante,

Émues par le profond pressentiment qui comprend la grandeur de la   

    vie

Et sa splendeur et son austérité.

 

Hugo Hofmannsthal, Le lien d’ombre, poèmes complets, traduit de l’allemand, annoté et présenté par Jean-Yves Masson, édition bilingue, Verdier poche, 2006, p. 200-201.

02/01/2023

René Char, Chants de la Balandrane

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       Ne viens pas trop tôt

 

Ne viens pas trop tôt, amour, va encore ;

L’arbre n’a tremblé que sa vie ;

Les feuilles d’avril sont déchiquetées par le vent.

 

La terre apaise sa surface

Et referme ses gouffres.

Amour nu, te voici, fruit de l’ouragan !

Je rêvais de toi décousant l’écorce.

 

René Char, Chants de la Balandrane,

Gallimard, 1977, p. 55.

01/01/2023

Jours d'hiver

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