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16/10/2020

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit

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25.06.13

 

Nous sommes l’escargot qui traverse la route : incapable d’imaginer la roue qui va l’écraser. Seulement aptes à vivre avec nos sens dans le monde qu’ils nous fabriquent, après son transfert dans les langues qui l’établissent.

 

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit, Flammarion, 2020, p. 38.

15/10/2020

Henri Michaux, Déplacements Dégagements

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Dictées

 

Penchées

Têtes appliquées

Aucune ne se relève

La dictée ne le permet pas

 

Les enseignements s’ajoutent aux ans

Des mouvements sont ressentis

des actes parfois suivent des sortes de certitude

 

Insistants attraits : réponse à un dictée

inscrire en chacun, en petit, en tout petit

 

Ça ne les gêne pas, d’obéir à une dictée ?

 

Autrefois, dans sa grandeur

l’Immense aux noms sacrés...

 

Restée seule, menue, tenace

traversant les ans, les rides,

la sourde dictée continue, en silence toujours

 

les infimes dieux, incorporés, commandent sans parler.

 

Henri Michaux, Déplacements Dégagements, Gallimard,

1985, p. 44-45.

14/10/2020

Rehauts, n° 45, printemps été 2020 : recension

rehauts,n° 45,printemps 2020

La livraison du numéro de printemps s’ouvre sur un choix de notes d’Antoine Emaz, prises de 1992 à 1996, notes analogues à celles lues dans plusieurs ensembles qu’il avait préparés1. Elles portent donc sur l’écriture, la poésie, la fonction des carnets (« une sorte de puisard »), mais aussi sur les choses de la vie, l’importance de la réalité, visible, sans cesse présente, « Il manque du ciel, pas du bleu, de la profondeur, du ciel ». C’est là une constante dans ses livres, la présence des choses est « un socle », une « certitude » ; mais si un poème ne peut être issu que du fait de vivre, il est aussi « aux prises avec la langue » et, dans tous les recueils de notes, revient le souci de toujours prendre pour matériau la langue commune : Antoine Emaz affirme « L’épaisseur des mots-choses comme tabouret – évier — lino — platane » et la nécessité de travailler cette langue pour parvenir à trouver quelque chose d’équivalent à la musique. Certaines notes, moins nombreuses, concernent sa relation au fait même d’écrire, lié au besoin de maîtriser des peurs, les carnets aidant alors à mettre en forme ce qui, sinon, resterait noué. Ces extraits s’ajoutent aux livres publiés, tous construisent progressivement les principes d’un art de vivre et les éléments d’un art poétique résumé, justement sous ce titre :

                       ne dire que du vrai
                       payé comptant
                      quel que soit l’angle
                      quelle que soit la débâcle des mots
                      et travailler ensuite
                      même le dégoût du vrai
                      même sa laideur
                      son insignifiance

 On retiendra aussi une définition lapidaire de ce que peut être un poème : « ce qui, écrit, ne correspond à rien », à partir de laquelle on pourrait lire bien des livres contemporains.  

La singularité voulue par Antoine Emaz, elle est présente dans les poèmes de Sarah Plimpton, peintre et poète américaine qui a longtemps vécu à Paris. Mathieu Nuss a traduit également cette année un livre de 1976, Ciels singuliers (Single skies) ; on connaissait quelques poèmes publiés par la revue PO&SIE en 2005 (10 poèmes, traduction David Mus) et L’Autre soleil (2008, bilingue, traduction collective). On apprécie la restitution de ces poèmes extraits d’un livre de 2013 (The Every Day) dont le texte original est en regard de la traduction. Presque toujours brefs, aux vers très courts (parfois d’un ou deux mots), ce sont souvent des variations autour de quelques mots — ciel, terre, pierre — associés au mots visage, lumière ; choses du monde vues mais qu’il faut sans cesse recommencer à regarder et à rapprocher les unes des autres, sans cependant chercher une quelconque représentation, ce que suggère peut-être le dernier poème, dés : « une tête secouée / comme dés les mots / jetés / pierres sur la chaussée / à heurter du pied ».

Tout autres sont les trois poèmes en prose de Mathieu Nuss ; le titre de l’ensemble, Aria, implique une continuité, mais elle est difficile à se former, même si l’on passe de chère, ex- pour le titre du premier poème à chère, extrême puis à chère, extrêmement. Certes, on peut écrire en caractères gras « je t’aime », puis « l’élégie » et enfin « chérie-séduire », mais cette mise en valeur est noyée dans un flux de « mots qui parlent beaucoup trop », d’autant plus que la quasi absence de ponctuation accentue le fait que les mots « ne se laissent pas volontiers utiliser » pour que puisse s’exprimer « le concret ».

On souhaiterait lire les quelques poèmes de Fabienne Courtade dans un ensemble pour mieux suivre sa méditation sur le temps, autour de l’enfance et à propos de la vie quotidienne dans la ville, qui se conclut mélancoliquement puisque « Les mondes passent », que « rien ne change ». On attend aussi de lire plus que des extraits d’un livre à paraître de Serge Ritman ; proses et vers se mêlent et sont à dire, comme le plus souvent ses poèmes :

                 quand je rougis tu ris et nous apprenons
                 sans savoir à parler dans ta voix
                 j’ajoute dire bondir
                ça traverse coule peinture poème
                tout ça nos voix
                dans des sens qui courent
                le monde en pluralité

Les cinq poèmes d’Henri Droguet2 peuvent, eux, se lire séparément même si un motif les unit. Le premier introduit l’idée de chaos dans le monde avec le Géant Encelade que la déesse Athéna « troua larda planta / perça de part en part » et qui, toujours « souffle s’éreinte s’exténue / secoue sa carcasse écrabouillée » au fond de l’Etna, de sorte que « la terre tremble » ; c’est au bord de ce volcan, « bord des enfers », que selon la légende Empédocle laissa sa sandale avant de s’y jeter. Poèmes du recommencement avec "Saisons", avec la mer puisque avec elle aussi « tout recommence » ; la promeneuse passe et le monde disparaît avec elle, mais il se reconstruit quand un voyageur vient, quant au miroir « mouroir », il ne présente que « reflet de reflet de reflet  de / rien     mirage et leurre ».

Rehauts propose également des proses de Sami Sahli, des dessins et poèmes de Pascal Pesez, des dessins et proses de Jean-Loup Cornilleau, une prose de Solange Clouvel. Le numéro de printemps se clôt avec une recension du dernier livre de poèmes d’Olivier Barbarant (Un grand instant) par Jacques Lèbre.

 

1 Antoine Emaz a publié cinq recueils de notes, Lichen lichen (2003), Lichen encore (2009) et Planche (2016) aux éditions Rehauts, Cambouis (Seuil, 2009, Publie-net, 2010) et Cuisine (Publie.net, 2011).

2 Henri Droguet vient de publier Grandeur nature aux éditions Rehauts.

Rehauts n° 45, printemps été 2020, 96 p., 13 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 13 septembre 2020.

 

13/10/2020

Henri Michaux, Donc c'est non

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Paris, le 14 février 1977

 

Monsieur Roger Borderie

Les Pilles

26110 Nyons

 

Cher Monsieur,

 

Vos retards à entreprendre le N° H.M. vous font mal, dites-vous. À moi ils font du bien. Ils m’ont permis de revoir tranquillement les publications « OBLIQUES » et de réfléchir.

Au vu de ces d’ailleurs remarquables, ma décision est prise. Pas de Michaux. Je vous prie de renoncer à votre projet.

Il est clair que même atténuée votre formule va à l’encontre de mes désirs. Je répugne — en ce qui me concerne — à l’étalage.

Si après tant de dizaines d’années j’ai pu rester plus ou moins caché c’est grâce à ma vigilance et au nombre de refus que vous n’imaginez pas, à toutes sortes de propositions.

Réfléchissez vous-même. Comme je ne veux pas de photos, pas de documents personnels, pas d’autographe, pas de tripotage dans ma vie, etc., votre formule ne s’applique pas.

Réduit ainsi, un OBLIQUES ne serait plus ce qu’on en attend, n’aurait pas d’intérêt et ressemblerait à ces volumes ou à ces catalogues faits à l’occasion de rétrospectives ou à d’autres volumes avec reproductions de peintures et de dessins... lesquels ne manquent pas.

Vous qui ne suivez que vos idées, comprenez celui qui vous dit : je n’ai pas envie. J’ai envie qu’on [n’en] parle plus, sauf vous pour me donner votre accord là-dessus.

D’avance je vous remercie. Vôtre

                                                                                Henri Michaux

 

Henri Michaux, Donc c’est non, Lettres réunies, présentées et annotées par Jean-Luc Outers, Gallimard, 2016, p. 126-127.

12/10/2020

Ossip Mandelstam, Poèmes

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     extrait de Tristia

 

Est-ce l'horloge-grillon qui chante

ou la fièvre qui bat

est-ce le poêle qui crépite ?

C'est la soie rouge qui brûle.

 

Est-ce la souris qui grignote

la pellicule de la vie ?

C'est l'hirondelle ma fille

qui délie la nacelle.

 

Est-ce la pluie qui grommelle sur le toit ?

C'est la soie noire qui brûle

même le merisier l'entendra

sur le fond de la mer

                                pardonne-moi !

 

Parce que la mort est innocente

mais que peut-on y changer

si dans son délire le rossignol

garde toujours le cœur chaud.

 

Ossip Mandelstam, Poèmes, traduction

Tatiana Roy, l'Âge d'Homme, 1984. 

Merci à Jacques Lèbre de m’avoir signalé cette traduction, différente de celle publiée dans ce blog le 11 octobre 2020

 

 

 

 

11/10/2020

Ossip Mandelstam, Tristia

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Ce chant de grillon de l’horloge

c’est le murmure de la fièvre,

le râle desséché du poêle

c’est rouge soie qui se consume.

 

Si ronge la dent des souris

la trame amincie de la vie,

c’est que l’aronde ou dans sa ronde

son enfant détache ma barque.

 

Ce qu’au toit la pluie balbutie,

c’est noire soie qui se consume,

mais le merisier n’entendra

jusqu’au fond des mers que : « pardonne ».

 

Parce qu’innocente est la mort

et de rien ne vient le secours

si dans ta fièvre-rossignol

le cœur a gardé sa chaleur.

 

                                                                                         1917

 

Ossip Mandelstam, Tristia, traduction Jean-Claude

Schneider, dans Œuvres poétiques, Le bruit du temps /

La Dogana, 2018, p. 177.

10/10/2020

Ossip Mandelstam, Cahiers de Voronej

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C’est la loi d’un bocage de pins :

voix mêlées des violes et des harpes.

Les troncs sinueux et dénudés,

mais chaque feuille, harpe ou viole,

croissant comme si voulait Éole

d’abord fléchir en harpe le tronc,

puis, par pitié du tronc, des racines,

par pitié pour l’effort, le lâcher ;

et réveillant les harpes, les violes,

devenir son dans la brune écorce.

 

                                    16-18 décembre 1936

 

Ossip Mandelstam, Cahiers de Voronej, dans

Œuvres poétiques, traduction Jean-Claude

Schneider, Le bruit du temps, 2018, p. 497.

09/10/2020

Ossip Mandelstam, Le livre de 1928

 

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Le 1er janvier 1924

 

Celui qui a embrassé le crâne meurtri du temps

avec une tendresse de fils

se souvient que parmi les congères de blé le temps

pour dormir couchait sous la fenêtre.

Qui, du siècle, a soulevé les paupières malades

(deux pommes pesantes, somnolentes)

entend l’incessante rumeur, lorsque grondent

les fleuves des temps fourbes et lourds.

 

Il y a deux pommes somnolentes, le souverain siècle,

et une belle bouche argileuse,

mais comme le bras languide du fils vieillissant

il vient, agonisant, se serrer.

Je sais : chaque jour s’affaiblit le souffle de vie,

encore un peu et va s’interrompre

la chanson simple parlant des offenses d’argile

et dans les bouches l’étain couler.

 

Ossip Mandelstam, Le livre de 1928, dans Œuvres poétiques, traduction Jean-Claude Schneider, le bruit du temps / La Dogana, 2018, p. 253.

08/10/2020

Jules Laforgue, L'Imitation de Notre-Dame-la-lune

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                Encore un livre

 

Encore un livre ; ô nostalgies

Loin de ces très goujates gens,

Loin des saints et des argents,

Loin de nos phraséologies !

 

Encore un de mes pierrots morts ;

Mort d’une chronique orphelinisme ;

C’était un cœur plein de dandysme

Lunaire, en un drôle de corps.

 

Les dieux s’en vont ; plus que des hures ;

Ah ! ça devient tous les jours pis ;

J’ai fait mon temps, je déguerpis

Vers l’Inclusive Sinécure.

 

Jules Laforgue, L’Imitation de Notre-Dame-la-lune,

cité dans Anthologie des poètes français contemporains,

II, Delagrave, 1922, p. 384.

07/10/2020

Umberto Saba, Du Canzionere

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               Seul

 

Je suis seul. Nul n’écoute ou

est vain tout appel aux amis

dispersés.

La haine brille come un glaçon, et je pense

que je te verrai ce soir, toi que j’aime.

 

Je pense : dans le jour qui révèle,

dans l’ombre qui dérobe, j’ai tant fait,

tant erré, pour me dire en paix quelques

mots.

 

Umberto Saba, Du Canzoniere, traduction P.

Renard et B. Simeone, Orphée / La Différence,

1992, p. 63.

06/10/2020

Édith Azam, Bestiole moi Pupille : recension

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Le dernier livre d’Édith Azam évoque plus ses récits en prose — Décembre m’a cigüe, par exemple — que ses ensembles de poèmes.  On retrouve en effet un univers qui ne peut être plus fermé puisque limité à ce qu’éprouve un personnage féminin, Pupille, sensations et émotions rapportées par un narrateur. L’espace est réduit (« pas le moindre espace / pour déplacer les choses ») — mention est faite d’un mur — et l’on relève une notation de temps, la nuit et des étapes (minuit, trois heures et six heures du matin). Trois autres personnages interviennent dans le récit ; "Bestiole" apparaît comme la métaphore de la peur qui détruit Pupille, à ce titre elle la ronge (« C’est dans la chair que ça s’écrit / et dans la profondeur / du vide ») ; "le Fou" a un rôle limité, ses occupations consistent surtout à se frapper la tête contre le mur (image classique du fou) et à émettre un rire de crécelle, à la fin à se confondre plus ou moins avec le dernier personnage ; "Deuxième Homme" — aucune trace d’un "Premier Homme", mais ce pourrait être le Fou — est donné comme amoureux de Pupille. Le nom même de "Pupille" renvoie à une personne qui ne peut se diriger elle-même (mineure) ou à ce qui joue un rôle essentiel dans la vision. La désignation des personnages a sans doute pour fonction, efficace, d’éloigner le récit de la réalité, tout comme le choix de la poésie. Cependant, à partir du moment où un récit s’engage, ce n’est plus seulement un jeu avec la langue, quelles que soient ses incohérences, nombreuses ici, il s’y passe quelque chose et le lecteur essaie de reconstruire et d’ordonner des événements.  

Pupille vit donc dans la peur, d’abord celle de la fin (« Pupille voit la mort »), plus continûment celle de la solitude, de l’absence d’échange verbal, car comment donc peut-on parler au Fou toujours présent ? Les notations à ce sujet sont récurrentes ; ce qui la détruit intérieurement, sous le nom de Bestiole, empêche toute parole, « Il ne reste de sens : que silence », rien, seulement supporter le vide, ce que désigne un oxymore, « les absences béantes ». Pupille est présentée avec les contradictions propres à tout être humain ; à la fois ne sachant « qui elle est dans sa peau » et se refusant à penser son trouble, vivant « l’alternance d’être en soi / d’être en soi de se fuir ». Pour sortir de cette nuit, il faudrait la présence de l’Autre, à qui elle dirait son amour, « qu’elle l’attend depuis mille ans » et « il lui dirait / des mots d’amour ». Le récit, avec des avancées et des retraits, tourne autour de cette absence de l’Autre, et Pupille ne quitte pas « les ornières / où s’acharne Bestiole ».

Il semble que le manque vienne d’abord des choix, ou de l’impossibilité de choisir, de Pupille, qui « coupe tous les liens », pour qui la jouissance « C’est d’abord c’est toujours / une histoire de chute » et, surtout, qui est toujours incapable de parole. Quand Deuxième Homme pourrait se déclarer, il n’y parvient pas : « Il voudrait dire / mais impossible les mots : ça fait crever », et c’est à peu près avec les mêmes mots que Pupille exprime le rapport impossible à l’Autre. Le seul rapport possible entre Deuxième Homme et Pupille ne peut passer par les mots, ils font l’amour, sans commentaire, « la chair les sexes / ça langage », comme si les mots de la langue de tous ne pouvaient servir de lien entre les personnes. On peut alors comprendre pourquoi Édith Azam se plaît à la création lexicale, sans d’ailleurs inventer un vocabulaire (comme Michaux ou Vian) ; pour citer quelques-uns des verbes formés à partir de noms, « spiraliser », « bestioler », « s’écriturer », « léprosité », « s’énigmer ». On reconnaît par ailleurs une ponctuation propre de livre en livre à l’auteure, les « : », souvent mais pas seulement, pour mettre en vedette un élément, par exemple dans : « L’espace à nouveau : rétréci ».

Ce qui occupait une partie du récit, l’action de Bestiole, disparaît, en effet Bestiole s’endort et l’on pourrait penser que le lien ainsi formé entre les deux personnages le ferait sortir de leur solitude, il n’en est rien. La joie naît bien des souffles partagés sans pour autant que la peur disparaisse et, après ce temps de partage, Bestiole « saccage au point de / non retour », parce que, quoi que fasse Pupille, « il n’y a pas de mot »., et de son côté Deuxième Homme ne sait que pleurer. Alors que le narrateur écrivait « La fiction est ouverte », il annonce maintenant « La fiction se resserre » : le Fou et Deuxième Homme se confondent et la voix de Pupille n’est pas pour l’échange : « Pupille hurle / hurle / hurle / jusqu’à ne plus s’entendre » et, un peu plus tard, oublie le Fou et Deuxième Homme.

Ce récit de l’extrême difficulté de se construire, de vivre une relation (de parole d’abord) avec l’Autre, s’achève sur une autre fiction possible, de deux manières. D’abord,

                       Pupille cherche
                      comment aimer comment
                      aimer mourir d’aimer...

Ensuite, cette fiction à venir est clairement annoncée dans les deux derniers vers, « Elle sait : écrire reste inachevé ». C’est une des constantes des récits d’Édith Azam, il lui est nécessaire, chaque fois, de recommencer à les écrire — autrement. Édith Azam, Bestiole moi Pupille, la tête à l’envers, 2020, 16 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 28 septembre 2020.

 

 

05/10/2020

Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde

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Le lézard

 

Le lézard est sur son mur

comme sur une grande plaine

il regarde le mur d’azur

où le soleil rouge peine

 

C’est drôle, dit le lézard,

comme le soleil s’obstine

à se chauffer l’hémoglobine

moi je suis froid et j’en suis fier.

 

Lézards gris et lézards verts

n’ayons donc pas d’inquiétude

mais  pour ne pas mourir de faim

 

Guettons la mouche ingénue

de notre œil oblique et malin l

lézards gris et lézards verts !

 

Jacques Roubaud, Les animaux de tout

le monde, Seghers, 1990, p. 13.

04/10/2020

Jacques Roubaud, Les animaux de personne

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Le Coati Sociable

 

Dans la cordillère des Andes

Au fond des grandes forêts

Vont les Coatis en bandes

En grognant dans les fourrés

 

Ils grognent ils grognent ils grognent

Sans jamais se séparer

Ils grognent ils grognent ils grognent

Pleins de sociabilité.

 

On entend jusqu’en Islande

On entend jusqu’en Corée,

Zélande, Nouvelle-Zélande,

Hollande, Courlande, Irlande,

Ostende, Mende, Marmande,

Tende, Villesséquelande,

Samarkand, Chamarande,

Jutland, Betchouanaland,

Jusqu’au département des Landes,

Du fond des grandes forêts

De la cordillère des Andes

Les grands Coatis grogner.

 

Ils grognent ils grognent ils grognent

Sans jamais se séparer

Ils grognent ils grognent ils grognent

Pleins de sociabilité.

 

Jacques Roubaud, Les animaux de

personne, Seghers, 1991, p. 52.

03/10/2020

Jacques Roubaud, C

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1994

 

Il n’y a pas de ciel

pas d’yeux

pas de voix 

rien qu’une lampe

une lampe dont la lumière

s’écoule

et ne reviendra pas

même si elle semble

posée

en permanence

sur la photographie au mur

sur les livres

en l’absence de ciel

d’yeux

et de voix

 

Jacques Roubaud, C, NOUS,

2015, p. 308.

02/10/2020

Jacques Roubaud, Octogone

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                 Les objets

 

Les objets appartiennent à plusieurs espaces

À la géométrie différente

À la métrique différente

Plusieurs espaces qui se chevauchent

S’interpénètrent

Se recouvrent, se contredisent, se combattent

 

D’où cet air provisoire qu’a le monde

Comme s’excusant

 

Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 283.