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21/09/2020

Jacques Réda, L'incorrigible

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                          Ulysses

 

Des pas sertis dans le bitume ont un éclat de cuivre :

Ce sont les traces du héros de ce fameux roman

Qui circule à travers Dublin, l’agite, et la délivre

De son destin provincial — étrange moment

 

Où tous les récits ont trouvé leur aboutissement

Convulsif dans une Odyssée convulsivement ivre.

Quand on accompagne ces pas, il arrive un moment

Où l’on se demande où l’on va : dans la ville, ou le livre ?

 

On s’y perd à la longue. Mais un circuit personnel

Se dessine, qui vous ramène aux abords d’O’Connell

Bridge ou devant la poste à l’imposante colonnade.

 

On y discerne des éclats de balle ou de grenade,

Et c’est dans l’histoire vraie, et ses héros de sang

Qui mêlés à l’imaginaire arrête le passant.

 

Jacques Réda, L’incorrigible, Gallimard, 1996, p. 66.

05/06/2020

Jacques Réda, L'incorrigible

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                           Ha’ Penny Bridge

 

Tandis que le soleil descend, gros comme un gazomètre,

Rose comme un charbon qui s’embrase, mais sans chaleur,

Je me tiens sur la passerelle et je dois bien admettre

Que je le contemple à travers des larmes. La douleur

 

Aussi passera. Mais comment oublier la pâleur

De la fille un peu trop frisée et son regard, peut-être

(Elle renonce même à vendre une dernière fleur)

Le plus démuni de tous ceux où j’ai cru reconnaître

 

Un reflet sans espoir de ma propre misère. Et nous

Tous dans ces yeux incapables de larmes ; tous

Avec cette rose à la main, déjà presque flétrie,

 

Sidérés devant l’astre indifférent qui s’étouffe et

Sombre avec volupté dans le brouillard — ah, vacherie,

J’ai jeté la mienne dans l’eau morte de la Liffey.

 

Jacques Réda, L’incorrigible, Gallimard, 1995, p. 74.