05/06/2020
Jacques Réda, L'incorrigible
Ha’ Penny Bridge
Tandis que le soleil descend, gros comme un gazomètre,
Rose comme un charbon qui s’embrase, mais sans chaleur,
Je me tiens sur la passerelle et je dois bien admettre
Que je le contemple à travers des larmes. La douleur
Aussi passera. Mais comment oublier la pâleur
De la fille un peu trop frisée et son regard, peut-être
(Elle renonce même à vendre une dernière fleur)
Le plus démuni de tous ceux où j’ai cru reconnaître
Un reflet sans espoir de ma propre misère. Et nous
Tous dans ces yeux incapables de larmes ; tous
Avec cette rose à la main, déjà presque flétrie,
Sidérés devant l’astre indifférent qui s’étouffe et
Sombre avec volupté dans le brouillard — ah, vacherie,
J’ai jeté la mienne dans l’eau morte de la Liffey.
Jacques Réda, L’incorrigible, Gallimard, 1995, p. 74.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Réda Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques réda, l’incorrigible, larme, misère, rose | Facebook |
Les commentaires sont fermés.