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13/07/2024

Albane Prouvost, renard poirier

 

albane prouvost, renard poirier

renard sans renard entre dans la bonne maison

 

pas un renard pas une maison

 

renard sans couronne de neige entre dans la bonne maison

renard annonce

autre maison autre raison

 

renard sans couronne entre

 

renard sans renard entre dans la bonne maison

attaque la première raison

attaque la première raison de ta maison

 

attaque la première raison

attaque la première raison de ta maison

 

les renards perdront

les poiriers perdront

les renards en forme de neige couronnée

perdront

 

Albane Prouvost, renard poirier, La Dogana, 2023, np.

12/07/2024

Albane Prouvost, meurs ressuscite

 

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dans la maison glacée

où je ne suis pas autorisée

combien de cerisiers

acceptent de revenir

accepte poirier

 

ici je commence ici

les pommiers sont des sorbiers

coincés sous la glace

accepte

 

un pommier accepte-t-il

puis sauvagement il accepte

accepte poirier

 

accepte puisque tu acceptes

les poiriers sont tous bons

ainsi accepte

 

cher compatible tu me manques tu me manques tellement

 

Albane Prouvost, meurs ressuscite, P.O.L, 2015, p. 9-10.

11/07/2024

Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades

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à l’évidence il n’y eut pas de discours brillant

ou avec ses pieds sautillant sur l’herbe

ou bien calme sautillant

ou sautillant

 

les bruits sont étranges et immenses

et j’arrive à produire des bruits étranges et

immenses tous les bruits parviennent

 

la vitesse collant on distinguait avec peine les joueurs dans le noir

dans le noir on distinguait à peine les joueurs

dans le noir les joueurs ne se distinguaient plus

 

vivant ou perdant les fleurs

bruyamment les choses inouïes

et bouleversantes

je regarde Leopardi

les claires pluies matinales

et les arbres légers dans la pluie matinale

(…)

Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades, éditions Unes, 2006, p. 7.

10/07/2024

Pierre Vinclair : Vision composée : recension

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Bien des traducteurs ont écrit à propos de leur activité, des colloques ont lieu autour de la traduction qui n’intéressent pas que les spécialistes. Cependant, il est rare que l’on puisse entrer dans l’atelier du traducteur, suivre pas à pas sa démarche, ses hésitations et, de toute manière, il faut que la langue source soit suffisamment pratiquée pour que l’accompagnement soit enrichissant. La démarche de Vinclair est analogue à celle de Pascal Poyet traduisant Shakespeare : il fait entrer le lecteur dans le chantier de quelques traductions d’Emily Dickinson. Le propos est d’autant plus intéressant que l’on peut confronter le résultat à d’autres traductions.

 

Commenter un texte en le traduisant est une pratique courante pour Vinclair qui, à coté de Pope et de poèmes variés de langue anglaise, a analysé T. S. Eliot et John Ashbery en en proposant une version française.  La démarche est explicitée ici dans un avant-propos qui précise la relation au texte original et fait un sort au cliché « traduire, c’est trahir » : « Traduire c’est d’abord lire, enquêter, déployer, essayer, comparer, objecter puis choisir : on trahit beaucoup moins qu’on agit (…) ; ce qui existe, ce sont d’abord ces gestes, qui en tant que tels ne trahissent ni ne sont fidèles. Ce sont des gestes, ils ne sont pas de même nature que le texte ». Aucune ambiguïté, donc, dans le projet. Les poèmes choisis sont réunis en deux groupes, « Visions » et « Musique », chacun à son tour divisé, « Superposition », « Composition », etc.

 

Il ne faut pas seulement restituer la signification d’un poème d’Emily Dickinson mais en retrouver dans le passage en français le caractère souvent elliptique et le rythme des vers. Dans la lecture d’un poème, ne pas se limiter à restituer le sens, mais avoir un « accès intuitif au sens », pratique qui viendrait d’un « inégal rapport des hommes au partage du sens », fait qui implique, ce que souligne Vinclair, une politique de la lecture, d’autant plus nettement lorsqu’il s’agit de traduire. Peut-être peut-on souligner que cette inégalité n’est pas due au hasard ou innée mais est d’origine sociale : qui n’a pas eu une pratique de la lecture littéraire dès l’enfance a peu de chance d’acquérir un « accès intuitif » au poème. Dans l’examen du premier poème qu’il traduit, Vinclair cite une traduction existante1 dans laquelle le choix de privilégier le sens aboutit à laisser de côté le rythme : le vers de 8 syllabes d’E. D. (My fisrt well day — since many ill —) est devenu en français un vers de 20 syllabes (Au premier jour où je me suis sentie bien — après une longue maladie). La traduction de Vinclair, et les choix sont justifiés, conserve la concision et le rythme de l’original, une signification identique bien que non immédiatement accessible : « Premier bon jour — après tant mal — ».

Une question est justement posée après la traduction du second quatrain, « faut-il faire droit, dans la réception du poème, au commentaire ? » On peut douter, sauf à être un angliciste confirmé, que le lecteur d’Emily Dickinson sache pour chaque poème lire ce qui soutient les vers ; sans qu’il soit nécessaire de les recouvrir de gloses, il est opportun d’éclairer le contexte et d’éclaircir certains choix syntaxiques. Un exemple : toujours dans ce premier poème, Vinclair détaille le jeu complexe des pronoms et note l’emploi de « he » (il) pour « pain » (douleur), de « She » (elle) pour « Summer » (= l’été) ; comment traduire ? Si on peut substituer le masculin « affre » à "douleur", mais  il n’est pas de mot féminin pour « été » — donc Vinclair change la morphologie et retient Étée. On peut objecter que l’emploi de « affre » au singulier est rarissime en français (dans le Trésor de la langue française, trois exemples, Verhaeren, Verlaine et Eugénie de Guérin) et le mot est normalement au féminin ; quant au choix de « Étée », on hésiterait à approuver cette "licence poétique" pour restituer le jeu avec la langue d’Emily Dickinson et, dans le quatrain, le rythme 8-6-8-6.

 

Plutôt que de suivre chaque ensemble et reconnaître toutes les questions de poétique abordées, on s’attardera à lire un autre exemple de commentaire et de traduction où Vinclair met en valeur ce qui s’accorde avec ses pratiques et sa conception du poème. Notamment dans un poème2, « ce qu’apporte la musique » : « c’est justement l’arabesque (avec ses structures) qui redonne l’unité (d’un mouvement) à la multiplicité (d’une signification ouverte par les superpositions) ». Le poème s’ouvre sur le pays des morts — une tombe ouverte, allusion au sépulcre vide du Christ ressuscité —­, et c’est de là que s’impose un nouveau rapport au temps, ce qu’éclaire un commentaire cité : la tombe n’est qu’une « matière première », « l’histoire d’Emily Dickinson n’est pas divine mais humaine, elle dit que ce n’est qu’à la mort de quelqu’un que nous comprenons sa vraie valeur. » Vinclair élimine toute équivoque dans la lecture de cette première strophe en rétablissant une syntaxe et une ponctuation "normales", mais c’est surtout la seconde strophe qui arrête avec Compound Vision, « Vision composée », expression reprise pour titrer le livre : elle est essentielle car elle affirme la possible « co-présence des contraires » dans un poème, sans contradiction : The Finite — furnished / With the Infinite », « Le Fini — contenant l’Infini ». La mise en regard de l’original et de sa version française laisse imaginer la nécessité et l’intérêt d’un commentaire :

 

’Tis Compound Vision                                   La Vision Composée

Light — enabling Light —                             Lumière — autorisant

The Finite — furnished                                  Lumière — le Fini

With the Infinite —                                        Et l’Infini dedans —

Convex — and Concave Witness —             Esprit Convexe — et   Concave     

Back — toward Time —                                Revient — vers le Temps — et

And Forward —                                            S’avance — vers

Toward  the God of Him —                          le Dieu qu’il est.

 

 

Ce qui retient dans Vision composée, c’est une démarche qui sollicite constamment le lecteur, invité à accompagner chaque moment de la traduction. Certes, mieux vaut avoir une bonne pratique de l’anglais et avoir déjà (un peu) lu Emily Dickinson mais, ceci étant, on accordera que « Vision et musique sont (...) les deux objets d’une sorte d’enquête critique et traductologique », que Vinclair a « voulu mener ici, en invitant la lectrice et le lecteur, non pas à lire des traductions, mais à traduire avec [lui] » et, ainsi, « faire à leur tour une expérience de l’œuvre d’Emily Dickinson ». Qui a déjà lu la poète d’Amherst découvrira dans ce livre bien des raisons de la relire.

 

1 Emily Dickinson, Poésies complètes, édition bilingue, traduction Françoise Delphy, Flammarion, 2020.
2 n° 830, dans The Poems of Emily Dickinson : Reading Edition, édition par R. W. Franklin, 1999, Harvard University Press.

 Pierre Vinclair, Vision composée, 20 poèmes d’Emily Dickinson traduits et commentés, Exopotamie, 2024, 124 p., 17 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 17 mai 2024.

 

 

09/07/2024

Paul de Roux, Les intermittences du jour

paul de roux, les intermittences du jour

Avoir porté des œillères qui faisaient partie du harnachement conçu par le vouloir-vivre.

 

La vie est comme un lacet qui se resserre.

 

Aime ne rien attendre. Oui fais-en ton amour — autant que tu le peux.

 

Respirer, voir, entendre, sentir, et pour cela se défaire de toute idée de possession, de toute assurance, est-ce imaginable ? Peut-être pas. Mais c’est une direction.

 

Paul de Roux, Les intermittences du jour, Le temps qu’il fait, 1989, p. 109, 112, 126, 143.

08/07/2024

Paul de Roux, Les intermittences du jour

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Ce qui est merveilleux est éphémère (éphémère en nous la possibilité de l’accueillir, l’ouverture). 

 

Au nombre des biens suprêmes : s’étonner.

 

Les petits coquillages ramassés à marée basse, s’ils parviennent jusqu’à nos repaires, ce ne sera que pour s’y empoussiérer. Simplement, nous ne prendrons pas le temps de les regarder.

 

Le manque de confiance en soi fait que l’on reste dans la situation qui concourt à nourrir cette méfiance.

 

Paul de Roux, Les intermittences du jour, Le temps qu’il fait, 1989, p.36, 43, 52-53, 65.

07/07/2024

Paul de Roux, La halte obscure

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Apocalypse dans les feuilles

 

Un jour on s’est dit que l’aventure

était peut-être plus belle ainsi —

tout disparaîtra

— les choucas aussi et la falaise

où ils rentrent le soir avec de petits cris

et l’eau vive et les guerres

intestines où s’use une vie

— cela c’est le vent qui l’inspire

en jouant dans les feuilles

à la fin d’un beau jour

lumineux sur la terre.

 

Paul de Roux, La halte obscure, dans

Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 344.

06/07/2024

Paul de Roux, Entrevoir

                   paul de roux, entrevoir, souffle, réel

Sueur d’agonie, sueur de l’étreinte

une cloison les sépare

ou une année dans la vie d’un homme

à un autre étage de la maison

la moiteur d’un enfant qui dort

avec un souffle égal contre l’oreiller

et voilà trois états physiologiques

analysables et bien répertoriés

et trois fragments du « réel »

qui m’étonnent toujours.

 

Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard,

2014, p. 63.

Paul de Roux, Entrevoir

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                   L’enfance

 

La nuit dans les grands arbres on entendait le vent

ou pour ainsi dire rien, et c’était pire ;

comme un bruit de pas trop près des murs

puis escaladant la façade — est-ce possible ?

Les volets sont fermés

la lourde porte verrouillée

mais la peur tombe en piqué sur le cœur

qui bat soudain plus fort que tout.

 

Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 143.

05/07/2024

Paul de Roux, Entrevoir

paul de roux, entrevoir, stèle pour un corbeau

Stèle pour un corbeau

 

Lui aussi menait sa vie, ce corbeau

dont je n’ai vu que le cadavre efflanqué

les plumes noires collées à la terre gluante

sous la frondaison des châtaigniers en fleur

— c’était en mai. Ce matin de septembre

parmi les premières bogues chues

je ne retrouve pas une plume.

Mais tandis que je bats les feuilles mortes, soudain

dans le bois de la Montagne de Reims

un croassement s’élève, comme en écho

à ma rêverie mélancolique.

 

Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 105.

 

04/07/2024

Paul de Roux, Entrevoir

 

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                   Zone de fracture

 

Et de même qu’un homme arrive à sa fin

soudain une époque est révolue

et ce n’est que longtemps après qu’on s’en aperçoit

une nouvelle génération s’étonne du passé

mais ceux-là qui vécurent au moment fatal

s’ils souffrirent, eux, ne s’en étonnèrent pas

et le charme de la nouveauté était passé :

il avait été pour les aïeuls, le délassement de leur âge mûr

quand ils souriaient à un avenir gracieux, quand pas une tasse

ne manquait encore au service de porcelaine fine.

 

Paul de Roux, Le front contre la vitre, dans Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p.196.

03/07/2024

Michel Leiris, La ruban au cou d'Olympia

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A l’inverse d’Olympia nue, Nana corsetée et juponnée n’a auprès d’elle pour l’honorer ni domestique d’une autre raee ni animal d’une autre espèce mais seulement  montré assis et de profil dans la partie droite du tableau — un bourgeois d’êge moyen à haut de forme ,habit noir et plastron blanc, miché par qui la femme objet semble jaugée tout comme l’œuvre elle-même le sera par l’amateur.

 

Olympia, Nana : nullement femmes fatales mais fabricantes de plaisir comme il y a des gens qui fabriquent des armes et d’autres du chocolat.

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 259.

 

02/07/2024

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

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Le colza dont le jaune agace les dents et qu’on rangerait du côté du citron plutôt que de celui de l’huile.

 

 Innombrables sont les choses qui ne ressemblent pas à ce qu’elles sont (une feuille, par exemple, que rien ne révèle poumon, un avion qu’on dirait trop lourd pour imiter l’oiseau, un ordinateur que rien n’indique cerveau) et nombreuses celles qui ont un aspect trompeur (l’ours à l’air bonasse, le serpent corde sur le sol, le poisson dont les ouïes ne sont pas des oreilles, la lune disque haut suspendu, l’arbre fantôme, le mort homme endormi)

 

Ne pas brouiller les cartes mais tailler dans le vif, ne pas biaiser mais prendre l’équivoque par les cornes ou la trancher comme un nœud gordien, voilà ce qui est peut-être l’ABC de la poésie.

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 121.

01/07/2024

Michel Leiris,

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Souveraine fuite

 

Éveil des mains secrètes

aux replis du courage rapide,

cabrée la trajectoire corporelle des urnes,

sens incurvé sur les abîmes.

 

L’évidence des retraites

agite le frein vagabond.

 

vaste seuil de couronnes frôlant le total nu.

 

Michel Leiris, Simulacre (1925), dans Mots sans mémoire,

Gallimard, 1969, p. 23.

 

7

Entre chien et loup,

quand le pauvre ne sait quelle mouche se pose

ou quelle encre le pique,

l’alphabet s’émancipe.

En route mauvais troupe !

 

Michel Leiris, Marrons sculptés pour Miró (1956), dans

Mots sans mémoire, Gallimard, 1969, p. 141.

30/06/2024

Polina Barskova, Chaque ville ne sera plus jamais mienne

potina barskova, chaque ville ne sera plus jamais mienne, emily dickinson

Célébration du 9 mai 2022 sur la pelouse devant la maison d’Emily Dickinson

 

Dans ma vie

ai-je fini par me dire

il y a eu moins de sexe que souhaité :

amoureux morts disparus peu conformes

changés en rivières ou pierres

crapauds lézards cendres outils de jardinage.

Mieux qu’avec des humains ma curiosité s’aiguise,

je me sens comblée et plus complexe

en flirtant

avec des villes.

 

Me voici revenue

dans la ville qui n’est pas mienne.

Un carrefour, la tombe

d’une femme ravissante monstrueuse spirituelle.

Une autre maison toute pareille.

Surplombant la tombe un faucon bouffe un écureuil.

Que vois-tu de là, faucon ?

Aperçois-tu ma maman ?

— Peu probable, elle n’était pas de celles

qui aiment rester plantées au même endroit.

 

Que vois-tu de ton grenier

poète exaltée arrogante

éprise des fillettes, des rats, des scarabées, des racines de plantes  printanières

Vois-tu ma maman ?

— Bien sûr que non, sourit-elle,

ta maman est devenue faucon, écureuil,

un vers que j’ai biffé trois fois.

 

La ville qui n’est pas mienne

empeste embaume terrasse

par ses lilas et ses latrines toujours bouchées

par la neige qui n’a cessé de tomber,

elle sent la peau vieillissante de Nonna et celle toute fraîche de Frossia,

elle sent mes larmes honteuses

de gratitude humiliation orgasme pertes tourments.

Chaque ville ne sera plus jamais mienne

D’autant plus forte l’odeur, plus vive la mèche repoussée derrière l’oreille,

plus élargi le regard s’enfuyant on ne sait vers où,

là où la carte s’achève,

où il n’y a rien à voir et ne pas voir

si tu es toi-même — Celui qui s’enfuit.

 

Polina Barskova, Chaque ville ne sera plus jamais mienne, traduction du russe Henri Abril, dans La Revue de belles-lettres, 2024-I, p. 105.