01/05/2024
James Sacré, Une petite fille silencieuse
À côté des iris sans fleur
Je voudrais que tes joues
Brillent comme au loin, dans le souvenir que j’en ai,
La tuile un peu vieille d’une ou deux maisons seules
Au fond du mot Poitou,
Ou pareil que dans soudain la campagne américaine
Un grand manège où tu t’en vas, charpente en bois peinte roller-
Coaster sa construction savante et fine à travers les arbres...
On entend des cris, on entend
Le silence aussi.
Pendant toute une journée que le beau temps
A été là, quelle impatience quel genou tendre
Sur la pelouse qui dégèle !
Que faut-il oublier pour mieux t’aimer ?
(Pour qu’un poème soit un bas de robe légère
À ta jambe.)
Des petites filles qui t’ont connue sans doute
Ont dit le mot bonjour, de loin
Et comme en riant dans ce paysage où tu pourrais courir.
Un jour le monde avait ton sourire
En octobre en automne quel plaisir d’oublier
D’aimer le temps dans les saisons, le monde
Avait tes joues dans sa couleur,
Ta jambe griffée dans un buisson donne-
Moi la main, donne.
Mais tout s’incline comment dans ce poème,
Où va la jambe du temps ?
Et qu’est-ce qui saigne ?
[...]
James Sacré, Une petite fille silencieuse, André Dimanche, 2001, p. 39-41. Photo T. H, 2007.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Sacré James | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james sacré, une petite fille silencieuse | Facebook |
29/04/2024
Franz Kafka, Lettres à Felice, II
Chacun se hisse à sa manière hors du souterrain, moi je me hisse grâce à la littérature. C’est pourquoi, si je dois me maintenir en haut, je ne puis le faire qu’à l’aide de la littérature, et non pas à l’aide de repos et de sommeil. J’obtiendrais plutôt le repos par la littérature que la littérature par le repos.
Franz Kafka, Lettres à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1972, p. 681.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Kafka Franz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : franz kafka, lettres à felice, littérature, repos | Facebook |
28/04/2024
Franz Kafka, Lettres à Felice, II
Pour écrire j’ai besoin de vivre à l’écart, non pas « comme un ermite », ce ne serait pas assez, mais comme un mort. Écrire en ce sens, c’est dormir d’un sommeil plus profond, donc être mort, et de même qu’on ne peut pas arracher un mort au tombeau, de même on ne peut pas m’arracher à ma table de travail dans la nuit. Ce n’est pas directement lié à mes rapports avec les gens, il se trouve simplement que je ne puis écrire, et vivre par conséquent, que de cette façon systématique, continue, stricte. (...) Depuis toujours j’ai eu peur des gens, non pas des gens eux-mêmes à proprement parler, mais de leur intrusion dans mon être débile, voir ceux auxquels j’étais le plus lié pénétrer dans ma chambre m’a toujours causé de l’effroi, c’était plus que le pur symbole de cette peur.
Franz Kafka, Lettre à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1990, p. 470.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Kafka Franz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : franz kafka, lettres à felice ii, ermite, effroi | Facebook |
Franz Kafka, Lettres à Felice, II
Pour écrire j’ai besoin de vivre à l’écart, non pas « comme un ermite », ce ne serait pas assez, mais comme un mort. Écrire en ce sens, c’est dormir d’un sommeil plus profond, donc être mort, et de même qu’on ne peut pas arracher un mort au tombeau, de même on ne peut pas m’arracher à ma table de travail dans la nuit. Ce n’est pas directement lié à mes rapports avec les gens, il se trouve simplement que je ne puis écrire, et vivre par conséquent, que de cette façon systématique, continue, stricte. (...) Depuis toujours j’ai eu peur des gens, non pas des gens eux-mêmes à proprement parler, mais de leur intrusion dans mon être débile, voir ceux auxquels j’étais le plus lié pénétrer dans ma chambre m’a toujours causé de l’effroi, c’était plus que le pur symbole de cette peur.
Franz Kafka, Lettre à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1990, p. 470.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Kafka Franz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : franz kafka, lettres à felice ii, ermite, effroi | Facebook |
Franz Kafka, Lettres à Felice, II
Pour écrire j’ai besoin de vivre à l’écart, non pas « comme un ermite », ce ne serait pas assez, mais comme un mort. Écrire en ce sens, c’est dormir d’un sommeil plus profond, donc être mort, et de même qu’on ne peut pas arracher un mort au tombeau, de même on ne peut pas m’arracher à ma table de travail dans la nuit. Ce n’est pas directement lié à mes rapports avec les gens, il se trouve simplement que je ne puis écrire, et vivre par conséquent, que de cette façon systématique, continue, stricte. (...) Depuis toujours j’ai eu peur des gens, non pas des gens eux-mêmes à proprement parler, mais de leur intrusion dans mon être débile, voir ceux auxquels j’étais le plus lié pénétrer dans ma chambre m’a toujours causé de l’effroi, c’était plus que le pur symbole de cette peur.
Franz Kafka, Lettre à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1990, p. 470.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Kafka Franz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : franz kafka, lettres à felice ii, ermite, effroi | Facebook |
27/04/2024
Franz Kafka, Lettres à Felice
(...) Je répugne absolument à parler. Du reste ce que je dis est faux à mon sens. A mes yeux la parole ôte à tout ce que je dis importance et sérieux. Il me semble qu’il ne peut en être autrement, étant donné que mille choses et mille pressions extérieures ne cessent d’influencer le discours. Je suis donc taciturne par nécessité, mais aussi par conviction. L’écriture est la seule forme d’expression qui me convienne.
Franz Kafka, Lettres à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1972, p. 511.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Kafka Franz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : franz kafka, lettres à felice, parole, écriture | Facebook |
25/04/2024
Pascal Quignard, Petits traités, III
Supposé que l’espoir nous prenne de compenser le peu de nécessité que nous trouvons dans les choses du monde et dans l’ordre désordonné de la nature en écrivant des livres, l’ordre que nous imposons à ce que nous écrivons n’aboutit jamais à élever le livre au niveau du réel, au statut d’une région où le phantasme, le symbole, le sens soient enfin arrachés. Au contraire. Tout l’artifice que nous introduisons à cette fin s’accroît au fur et à masure que nous lisons, fait hyperboliquement retour, et l’existence d’un livre nous apparaît à chaque fois particulière, disproportionnée, chétive, risible, infiniment touchante. Tout l’ordre et l’intention et la maîtrise et la beauté s’effondrent infiniment à tout instant dans l’absence de nécessité de tout livre. Nul n’est jamais contraint de faire un livre. Même les dieux des religions révélées. Et infiniment ils nous semblent vains.
Pascal Quignard, Petits traités, III, Maeght, 1990, p. 78-79.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, petits traités, ordre, désordre, livre | Facebook |
24/04/2024
Pascal Quignard, Petits traités, II
Au fond de chacun de ceux qui ouvrent la bouche, non pas une histoire propre (leur plus privé et profond « ego » n’étant n’étant précisément qu’une catégorie propre à la langue qu’ils utilisent, et sans existence universelle, ni matérielle). De plus, « langue solitaire », individu sans communauté », etc., sont des cercles carrés, des échelles sans échelons) que traduirait une sourde mélopée autistique : mais un tassement, une combinaison temporelle s’un caractère irréversible et dont les éléments sont moins singuliers que leur ordre, leur épaisseur, leur sédimentation.
En ce sens, chaque langue, c’est-à-dire chaque parleur, est incommensurable, sans que tous soient pour autant personnels, ni ne relèvent pourtant d’une unanimité. Il n’y a pas, entre eux, une « unité » de langue qui soit une ressource mise à leur disposition, ni une mesure indiscutable, ni même un élément « national ».
Pascal Quignard, Petits traités, II, Maeght, 1990, p. 16-17.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal guignard, petits traités, langue | Facebook |
23/04/2024
Pascal Quignard, Petits traités, VII
Les vieilles maisons sont des fées. Les vieilles maisons de famille sont invendables parce qu’elles ne sont plus des objets. Les « lèvres velues » disent le sexe féminin. Ridiculement, la moustache au-dessus de la bouche des hommes cherche à les rappeler comme un enfant imite les manies de sa mère.
Pascal Quignard, Petites traités, VII, Maeght ; 1990, p. 75.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, petits traités, sexe, manie | Facebook |
22/04/2024
Pascal Quignard, Petits traités,VI
Là où est le silence, celui qui se tait, il lui appartient. Le silence entraîne, de la part de celui qui se tient en lui, le défaut de maîtrise. Car lui-même est cette maîtrise. Sans qu’on puisse dire de lui : « Il gît », ou bien « Il pâtit », il est pourtant sujet à une passion.
Il se sait : il ne se saisit pas du silence. De lui le silence ne se saisit pas. Dans le silence il se dessaisit au silence.
Pascal Quignard, Petits traités, VI, Maeghy, 1990, p. 52.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal guignard, petits traités, vi, silence, passion | Facebook |
21/04/2024
Pascal Quignard, Petits traités, V
Il ne nous appartient pas de lire absolument. Nous ne lisons pas dans la connaissance que nous lisons. La si curieuse expérience de la lecture n’appartient qu’aux circonstances qui ont procuré, selon certaines civilisations, selon certains siècles, à certains d’entre nous, 1. Une voix tournée vers son silence, 2. L’usage de l’écriture et des livres pour nous maintenir dans ce désir, et dans l’oubli de ce désir, par la disposition si « autistique » et si curieuse — tournée vers soi, mais un soi hors de soi — de lire. D’être dans la langue seul et en silence.
Pascal Quignard, Petits traités, V, Maeght, 1990, p. 10-11.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, petits traités, lecture | Facebook |
20/04/2024
Pascal Quignard, Petits traités, II
La langue n’est pas liée à la « vie ». Le langage ne répond pas à un besoin. Son usage ne remplit pas une fonction. Le langage dit plus qu’il n’est besoin qu’on dise. Le fait de parler n’est pas un acte nécessaire. Aristote écrivait : la voix est un luxe sans lequel la vie est possible. Tout l’exprimable est sans rapport à ce que suppose la survie d’une espèce — à supposer que l’on ait jamais songé que la survie d’une classe animale suppose l’exprimable.
Luxe, déséquilibre, excès qui les fondent. Qui les entraînent sans qu’une fin les ordonne.
Pascal Quignard, Petits traités, tome II, Clivage, 1982, p. 15-16.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, petits traités, déséquilibre, langage, parole | Facebook |
19/04/2024
Paul Klee, Paroles sans raison
Rêve
Je trouve ma maison vide,
et tout le vin bu
détournée, la rivière
ma nudité volée, —
effacée l’épitaphe.
Blanc sur blanc.
Paul Klee, Paroles sans raison, traduction
Pierre Alferi, éditions Hourra, 2022, p. 20.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul klee, paroles sans raison, rêve | Facebook |
18/04/2024
Ossip Mandelstam, Simple promesse
Armé de la vision des guêpes étroites ;
Qui sucent l’axe de la terre, l’axe de la terre ;
Je pressens tout ce qu’il m’a fallu connaître,
Je m’en souviens par cœur et vainement.
Et je ne dessine pas, ne chante pas,
Ne guide pas l’archet à la voix noire :
Je me contente de boire la vie et j’aime
À envier les guêpes fortes et rusées.
Oh, qu’un jour vienne, n’importe quand,
Où la piqûre de l’air et la chaleur de l’été
M’obligent, une fois franchi soleil et mort,
À entendre l’axe de la terre, l’axe de la terre.
8 février 1937, Voronèje
Ossip Mandelstam, Simple promesse
(choix 1908-1937), traduction P. Jaccottet,
L.Martinez, J-C/ Schneider, La Dogana, p. 138
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ossip mandelstam, simple promesse, guêpe, vanité | Facebook |
17/04/2024
Ossip Mandelstam, Simple promesse
Le poirier a tiré sur moi, le merisier,
De leur force friable, sans jamais me rater.
Les rappes et les étoiles, les étoiles et le feuillage,
Dans quelle floraison le vrai ? quel est ce pouvoir en partage ?
Que ce soit aile ou fleur — blancheur d’air, cela frappe
Contre l’air, assommé par la massue des grappes.
Et de ce parfum double la farouche suavité
Bataille, se prolonge, mélangée, fragmentée.
4 mai 1937, Voronèje
Ossip Mandelstam, Simple promesse
(choix 1908-1937), traduction P. Jaccottet,
L.Martinez, J-C/ Schneider, La Dogana, p. 140.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ossip mandelstam, simple promesse, arbre, floraison | Facebook |