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13/03/2024

André du Bouchet, Enclume de fraîcheur

                             andré du bouchet, enclume de fraîcheur, chemin

                                   Embâcle

 

S’il fallait aussitôt sorti, rester dehors,

                                                   qu’il n’était plus

temps de reculer. Ici, quand la montagne serait sur

nous. Mais il est temps de reculer.

 

                           Le chemin court, m'éclaire, dès le

jour, comme il prend sans faire halte. De retour déjà,

il emporte.

 

         Oh, la route que l’inaction de l’air envahit !

 

André du Bouchet, Enclume de. fraîcheur, La Dogana,

2024, np.

12/03/2024

Frédéric Forte, Transformation de la condition humaine dans toutes les branches d'activité

Frédéric Forte.jpegaction de la

   « La forme 99 notes préparatoires est un couteau suisse » (p. 119, note 43)

 

Le titre est emprunté à une allocution radiodiffusée et télévisée du général de Gaulle, le 4 octobre 1962, que l’on peut écouter sur le site de l’INA, indication donnée par l’auteur page 158 ; ce titre aurait déjà été celui d’un « sonnet perdu » de Jean Queval (p. 101, note 70). Le livre est construit en quatre parties les parties I et II comptent chacune quatre « 99 notes réparatoires » et, après un interlude (« au jeu de mah-jong »), III et IV en rassemblent chacune trois. Les thèmes semblent des plus variés, des notes préparatoires — toujours 99 — à la reconstruction d’Okinawa à celles, les dernières, au vert, en passant par les « 99 notes préparatoires aux 99 notes préparatoires ». À partir de ce bref descriptif, on rapproche sans peine Frédéric Forte de l’Oulipo et les nombreux emprunts, marqués comme tels dans le texte et attribués dans les Notes à la fin du livre, confirment son appartenance au groupe ; on y lit notamment les noms de Perec, Queneau, Roubaud, etc., et le recours à La Bibliothèque oulipienne, à Lewis Carroll, Marcel Duchamp, etc., mais aussi la liste de ceux et celles qui ont publié des textes titrés 99 notes préparatoires à...., avec la référence de publication — cette liste, sans référence cette fois, fait l’objet de la note 84 de III, 1.

 

Ce qui précède oriente vers un travail de la forme particulier aux écrivains qui, comme Frédéric Forte, se réclament de l’Oulipo. Le livre est construit sur le modèle du sonnet (4+4+3+3), en quatre parties numérotées (I, II, III, IV) deux ensembles de quatre « 99 notes préparatoires » en précèdent deux de trois notes. En outre, les "quatrains" s’opposent aux "tercets" : I ne compte que des notes préparatoires à propos d’éléments de fiction ou hors de portée (« à la reconstruction d’Okinawa / au Renard, série policière / aux Pays des Merveilles ») ou justement titrées « à l’impossible ». Le groupement III, à l’inverse, ne retient dans les « notes » que des éléments qui appartiennent à une réalité, ou le prétendent : « aux 99 notes préparatoires / à un livre de poésie contemporaine / à un objet de mon bureau ». On lit un décalage analogue entre II et IV. Entre les deux ensemble I, II et III, IV prend place un interlude : « 99 notes préparatoires au jeu de mah-jong » : les 45 images du jeu traditionnel comptent pour les notes 1-45, celles de 46 à 99 se résument en « Ou bien le jeu de mah-jong n’existe pas » : le double point de vue est respecté. Cette partition complexe est explicitement présentée dans les « Notes préparatoires aux notes préparatoires », « 92. Le livre Transformations de la condition humaine dans toutes les branches de l’activité sera un « sonnet » de poèmes composés dans la forme 99 notes préparatoires. »

 

Lire dans le détail est constamment réjouissant, tant Frédéric Forte tire des effets des répétitions, d’une connaissance approfondie des œuvres qu’il utilise mais aussi de la sociologie de la lecture. Frédéric Forte établit par exemple la liste des « 33 fonctions » du couteau suisse (III, 3), objet devenu le symbole de la transdisciplinarité ; ce faisant il a rajouté des fonctions aux douze traditionnelles, le couteau devenant un objet utilisable pour les soins du corps (« cure-dents », « cure-ongles », « pince à épiler », « repousse-cuticules »), la communication (« stylo à bille) », les déplacements la nuit (« lampe LED »), etc.  Le « tercet » à propos de la poésie contemporaine, en même temps qu’il avance dans quelques notes l’importance de la relation "son / sens", relève à peu près tout ce que l’on peut entendre sur le sujet : l’incompréhension due à l’absence de lecture et de l’enseignement sur le sujet, mais aussi la bêtise à encadrer, digne de Bouvard et Pécuchet (qui sont cités ailleurs) ; au hasard :

 

« 5. Premièrement, les phrases ne veulent rien dire », « 19. L’auteur lance un peu tout ce qui lui passe par la tête. », « 32. Pas de ponctuation correcte, quand il y en a une ; l’ordre des mots n’est pas respecté ; il n’y a pas de proposition subordonnée relative. », « 46. Je ne nie pas qu’il s’agit d’une expérience intéressante. » ; « 99. Il faut aussi aimer la poésie, bien sûr. »

 

 On lira des banalités analogues dans IV, 2, « 99 notes préparatoires à moi (en vrai), le « je » du texte pouvant être un homme (« Cela me rend nerveux de sentir quelqu’un marcher derrière moi (même en plein jour »), une femme (96. « Je regarde ma mère faire la cuisine pour devenir plus tard "femme au foyer" »). Les reprises d’une phrase, littéralement ou non, ou d’un motif, courantes dans l’ensemble du livre, introduisent un sentiment d’absurde — toute "logique" d’un texte étant en défaut : « Dans le cahier de leçons, une liste de mots à apprendre » (IV, 3, note 21) est transformé en « autre liste de mots à apprendre » (note 54), puis en « encore une liste de mots à apprendre » (note 79) avant, simplement, « Liste de mots à apprendre » (note 96). Une note peut être réduite à un seul mot (« oui »), qui n’apporte pas d’information, être seulement un renvoi à une note précédente (p. 134, « 92. Cf. note 1) ou disparaître : il ne reste que la numérotation (p. 134, « 94. … », « 95. … », « 96. … », « 97. … »), ce qui illustre la proposition de la note 89., « Ces notes préparatoires ne préparent à rien. ».

 

On renonce à relever les énoncés qui rappellent, par exemple, l’univers de Lewis Carroll et, notamment, la tradition littéraire du "nonsense", mais pas seulement : Frédéric Forte a co-traduit Oskar Pastior et traduit Guy Bennett. Si l’on veut caractériser en peu de mots ces 99 notes préparatoires, on reprend l’exergue du livre : « Ce n’est pas un jeu — sauf le sens où on peut dire que les éléments d’un corps (vivant, social, musical) jouent ensemble » (Michelle Grangaud).

 

Frédéric Forte,

 

   « La forme 99 notes préparatoires est un couteau suisse » (p. 119, note 43)

 

Le titre est emprunté à une allocution radiodiffusée et télévisée du général de Gaulle, le 4 octobre 1962, que l’on peut écouter sur le site de l’INA, indication donnée par l’auteur page 158 ; ce titre aurait déjà été celui d’un « sonnet perdu » de Jean Queval (p. 101, note 70). Le livre est construit en quatre parties les parties I et II comptent chacune quatre « 99 notes réparatoires » et, après un interlude (« au jeu de mah-jong »), III et IV en rassemblent chacune trois. Les thèmes semblent des plus variés, des notes préparatoires — toujours 99 — à la reconstruction d’Okinawa à celles, les dernières, au vert, en passant par les « 99 notes préparatoires aux 99 notes préparatoires ». À partir de ce bref descriptif, on rapproche sans peine Frédéric Forte de l’Oulipo et les nombreux emprunts, marqués comme tels dans le texte et attribués dans les Notes à la fin du livre, confirment son appartenance au groupe ; on y lit notamment les noms de Perec, Queneau, Roubaud, etc., et le recours à La Bibliothèque oulipienne, à Lewis Carroll, Marcel Duchamp, etc., mais aussi la liste de ceux et celles qui ont publié des textes titrés 99 notes préparatoires à...., avec la référence de publication — cette liste, sans référence cette fois, fait l’objet de la note 84 de III, 1.

 

Ce qui précède oriente vers un travail de la forme particulier aux écrivains qui, comme Frédéric Forte, se réclament de l’Oulipo. Le livre est construit sur le modèle du sonnet (4+4+3+3), en quatre parties numérotées (I, II, III, IV) deux ensembles de quatre « 99 notes préparatoires » en précèdent deux de trois notes. En outre, les "quatrains" s’opposent aux "tercets" : I ne compte que des notes préparatoires à propos d’éléments de fiction ou hors de portée (« à la reconstruction d’Okinawa / au Renard, série policière / aux Pays des Merveilles ») ou justement titrées « à l’impossible ». Le groupement III, à l’inverse, ne retient dans les « notes » que des éléments qui appartiennent à une réalité, ou le prétendent : « aux 99 notes préparatoires / à un livre de poésie contemporaine / à un objet de mon bureau ». On lit un décalage analogue entre II et IV. Entre les deux ensemble I, II et III, IV prend place un interlude : « 99 notes préparatoires au jeu de mah-jong » : les 45 images du jeu traditionnel comptent pour les notes 1-45, celles de 46 à 99 se résument en « Ou bien le jeu de mah-jong n’existe pas » : le double point de vue est respecté. Cette partition complexe est explicitement présentée dans les « Notes préparatoires aux notes préparatoires », « 92. Le livre Transformations de la condition humaine dans toutes les branches de l’activité sera un « sonnet » de poèmes composés dans la forme 99 notes préparatoires. »

 

Lire dans le détail est constamment réjouissant, tant Frédéric Forte tire des effets des répétitions, d’une connaissance approfondie des œuvres qu’il utilise mais aussi de la sociologie de la lecture. Frédéric Forte établit par exemple la liste des « 33 fonctions » du couteau suisse (III, 3), objet devenu le symbole de la transdisciplinarité ; ce faisant il a rajouté des fonctions aux douze traditionnelles, le couteau devenant un objet utilisable pour les soins du corps (« cure-dents », « cure-ongles », « pince à épiler », « repousse-cuticules »), la communication (« stylo à bille) », les déplacements la nuit (« lampe LED »), etc.  Le « tercet » à propos de la poésie contemporaine, en même temps qu’il avance dans quelques notes l’importance de la relation "son / sens", relève à peu près tout ce que l’on peut entendre sur le sujet : l’incompréhension due à l’absence de lecture et de l’enseignement sur le sujet, mais aussi la bêtise à encadrer, digne de Bouvard et Pécuchet (qui sont cités ailleurs) ; au hasard :

 

« 5. Premièrement, les phrases ne veulent rien dire », « 19. L’auteur lance un peu tout ce qui lui passe par la tête. », « 32. Pas de ponctuation correcte, quand il y en a une ; l’ordre des mots n’est pas respecté ; il n’y a pas de proposition subordonnée relative. », « 46. Je ne nie pas qu’il s’agit d’une expérience intéressante. » ; « 99. Il faut aussi aimer la poésie, bien sûr. »

 

 On lira des banalités analogues dans IV, 2, « 99 notes préparatoires à moi (en vrai), le « je » du texte pouvant être un homme (« Cela me rend nerveux de sentir quelqu’un marcher derrière moi (même en plein jour »), une femme (96. « Je regarde ma mère faire la cuisine pour devenir plus tard "femme au foyer" »). Les reprises d’une phrase, littéralement ou non, ou d’un motif, courantes dans l’ensemble du livre, introduisent un sentiment d’absurde — toute "logique" d’un texte étant en défaut : « Dans le cahier de leçons, une liste de mots à apprendre » (IV, 3, note 21) est transformé en « autre liste de mots à apprendre » (note 54), puis en « encore une liste de mots à apprendre » (note 79) avant, simplement, « Liste de mots à apprendre » (note 96). Une note peut être réduite à un seul mot (« oui »), qui n’apporte pas d’information, être seulement un renvoi à une note précédente (p. 134, « 92. Cf. note 1) ou disparaître : il ne reste que la numérotation (p. 134, « 94. … », « 95. … », « 96. … », « 97. … »), ce qui illustre la proposition de la note 89., « Ces notes préparatoires ne préparent à rien. ».

 

On renonce à relever les énoncés qui rappellent, par exemple, l’univers de Lewis Carroll et, notamment, la tradition littéraire du "nonsense", mais pas seulement : Frédéric Forte a co-traduit Oskar Pastior et traduit Guy Bennett. Si l’on veut caractériser en peu de mots ces 99 notes préparatoires, on reprend l’exergue du livre : « Ce n’est pas un jeu — sauf le sens où on peut dire que les éléments d’un corps (vivant, social, musical) jouent ensemble » (Michelle Grangaud).

 

Frédéric Forte,, P.O.L., 2023, 150 p., 17 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 11 février 204.

, P.O.L., 2023, 150 p., 17 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 11 février 204.

11/03/2024

Georges Perros, Œuvres

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                                      X 

Que les hommes se suicident, c’est assez logique. On comprend. Qu’ils deviennent fous, c’est beaucoup plus troublant. Que la folie puisse constituer l’issue d’une pensée trop vécue — court-circuitée — cela met en cause l’authenticité de tout homme pensant qui ne devient pas fou. Penser est fou. S’installer dans cette région minée, la rationaliser, comme on dit, et dès lors travailler… hum !

Le travail ne vaut que dans la mesure où il retient les cavales de la folie. « Si je ne travaille pas, je deviens fou », se dit l’homme. Or combien sont devenus fous malgré leur travail, ce dernier au cœur même de leur existence.

Il y a donc une folie organisée. Qui bouche les trous. Répare en vitesse les lézardes. Puis la mort naturelle arrange tout.

Je n’aime pas les déclarations d’avant-mort. En général, c’est : « tant mieux, y en a marre ». Formule généralement soufflée par ceux qui ont fait preuve d’un optimisme débordant. Pour faire croire quoi ? à qui ?

 

Georges Perros, Œuvres, Quarto/Gallimard, 2020, p. 960.

10/03/2024

Georges Perros, Une vie ordinaire

 

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Les femmes vieillissent trop vite

à force d’hommes sur leur ventre

mais elles valent mieux que nous

qui passons entre leurs genoux

comme on entre dans un tunnel

seulement fiers de bien saillir

afin de satisfaire filles

à prendre  et bientôt à laisser

je me dégoûte d’être un homme.

 

Georges Perros, Une vie ordinaire, dans

Œuvres, Quarto/Gallimard, 2020, p. 698.

09/03/2024

Georges Perros, Une vie ordinaire

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Je fus longtemps impressionné

par les gens ayant l’air de croire

à leur réalité D’où vient

qu’on puisse faire de ce rien

qu’est notre présence sur terre

un monument ? Ce ne serait

qu’à moitié absurde si tête

en avant l’autre n’y jetait

ce qu’on nomme encor son complexe

Les hommes mutuellement

se font si peur les uns les autres

Ils ne l’avouent qu’à peu près sûrs

de mourir sur l’heure Après quoi

parler de masques de pudeur

de caractère de froideur

est à tout prendre plus malin

que de choisir banalité

la revêche et pauvre parure

 

Georges Perros, Une vie ordinaire, dans

Œuvres, Quarto/Gallimard, 2020, p. 727.

08/03/2024

Georges Perros, Œuvres

georges perros, œuvres, ciel, mer

Les poissons nagent dans l’eau

Bien mieux que l’homme sur terre

Savoir nager c’est misère

Quand on n’est pas maquereau

 

La mouette dans le ciel

Mieux que l’homme vole, vole,

Ah ! voler manque de sel

Quand on n’est pas un oiseau.

 

La mer est toujours à boire.

Le ciel à prendre d’assaut.
Mais si vous voulez m’en croire

Restons-en là.

          Ken Avo !

 

Georges Perros, Œuvres, Quarto/

Gallimard, 2020, p.528.

07/03/2024

Georges Perros, Œuvres

                      georges perros, œuvres, mondanité, Pascal, goût

On rencontre parfois des hommes de la vie brillante, mondaine, et qui, vous prenant dans un coin, à la fin d’un repas, vous disent profondément : « Mon auteur favori, c’est Pascal ». Ah ! et de vous questionner sur le lieu Pascal en eux. Pascal, c’est leur luxe. D’autre encore parlent d’Artaud, de Rimbaud. Leur vie n’en est nullement influencée. Ce sont des goûts qu’ils ont plus amusants à faire connaître que celui qu’on éprouve pour la saucisse de Francfort. » Mais Pascal, jeune homme, quel grand homme ! ».

 

Georges Perros, Œuvres, Quarto/Gallimard, 2017, p. 524.

06/03/2024

Georges Perros, Œuvres

 

Georges perros, Œuvres, changement, influence

La vie active, le frottement avec les autres, etc., nous feraient croire qu’on peut changer, c’est-à-dire qu’un mot d’autrui, une opinion sur notre compte, etc., sont capables de nous influencer autrement que dans cette mesure affectueuse ou maligne. Bref, qu’on peut perdre — ou gagner — sa vie, en faisant ceci plutôt que cela. C’est absurde.

 

Georges Perros, Œuvres, Quarto/Gallimard, 2017, p. 522.

 

 

05/03/2024

Pierre Alferi, Divers chaos

pierre alferi, divers chaos, poème, maladie

on demande un poème

sur l’affaissement des chairs

l’assèchement des peaux

un poème qui se penche

sur les taches de la gale

un autre sur les signes

précurseurs de la gangrène

un poème coulant

épais comme le pus

un poème

lit médicalisé

qui sent l’urine

un poème qui touche

la crasse et creuse

la faim

qui engourdisse les doigts

un poème d’épandage

élémentaire

liquide empoisonné

gazeux irrespirable

terreux toxique

qui serre la gorge

quand il se consume

avant l’heure

 

Pierre Alferi, Divers Chaos,

P.O.L ; 2020, p.245-246.

04/03/2024

Pierre Alferi, Divers chaos

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un tissu de pas grand-chose

innombrables

je t’embrasse à pleine bouche

ça le chauffe

c’est ignoble

il rougeoie

sous mes paupières

mon désir

ton sauveur !

combien de fois

t’a-t-il évité le pire

univers ?

 

Pierre Alferi, Divers chaos,

P.O.L, 2020, p. 63.

03/03/2024

Pierre Alferi, Divers chaos

 pierre alferi, divers chaos, voiture

chaque voiture

sur la chaussée

trempée réveille

et son crépi-

tement de sable

le souvenir

net d’une vague

sur la grève

 

Pierre Alferi, divers chaos,

P.O.L, 2020, pp. 218.

02/03/2024

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls

Étienne paulin,poèmes pour enfants seuls,chat

                Chats

 

plusieurs chats se rassemblent

pour parler d’un regret

leurs moustaches s’effleurent

on voit qu’ils s’aiment bien

ils repartent guéris

 

                Chat

 

le chat quand même est solidaire

tout ce qu’il fait paraît en l’air

mais qui pour exprimer

plus douce indifférence

 

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls,

Gallimard, 2023, p. 97 et 101.

01/03/2024

Denise Le Dnatec, La poésie est sur la table

Denise Le Dnatec, La poésie est sur la table, Ariane, Thésée

La porte ne mène nulle part

Les anges sont indisponibles

Ariane casse son fil

Les dormeurs s’éveillent à l’intérieur

                                            de leurs rêves

Les mots roulent au milieu des fossés

La fille a une pierre au poing

 

J’ai un stade terrestre et un stade aérien

un habit aux couleurs ventre de biche, amarante & jonquille

 

Sommes-nous des bateaux de Thésée dont toutes les parties

peuvent être échangées pendant notre vie ?

 

Révéler un marqueur racial dans le poème est-ce comme révéler un sein dans une danse ?

 

 Denise Le Dantec, La poésie est sur la table, 2ditions unicité », 2023, p. 51.

29/02/2024

Terrance Hayes, Sonnets américains...

Terrance Hayes, Sonnets américains pour mon ancien et futur assassin

On connaît différentes formes de sonnets, italien, français, anglais, mais le sonnet américain ? La préface de Pierre Vinclair explique en détail de quoi il s’agit. Le mot a d'abord été employé par la poète afro-américaine, citée en exergue, Wanda Coleman (1946-2013), à propos d’un ensemble de ses poèmes. Partant de la forme de 14 vers, chacun devrait considérer le sonnet comme « un espace possible d’émancipation et de réussite individuelle ». Pas de rupture donc avec l’apparence classique mais un usage différent ; Terrance Hayes utilise ce qui existe dans le sonnet classique, le retournement (la volta) qui oppose (plus ou moins) les quatrains aux tercets ou les douze premiers vers aux deux derniers, en faisant « coexister (…) des points de vue et des réalités opposés ». De là une variété de tons à propos des « questions identitaires et raciales », thème essentiel de ses poèmes. Un personnage apparemment étranger à ce motif, Orphée, y joue cependant un rôle.

 

Orphée, figure présente dans tous les arts, notamment dans le premier opéra, Orfeo de Monteverdi, apparaît deux fois dans le livre. Dans le premier poème, Terrance Hayes estime que son discours amoureux n’a pas été compris parce que trop ambigu ; « le croquis d’un œil avec un X planté dedans » signifiait qu’il était aveugle sans Eurydice, mais son aimée crut qu’il ne voulait plus la voir — « il est probable qu’il ait voulu dire ça aussi ». Dans un autre sonnet, Eurydice est vue comme la vraie poète, Orphée aurait été trop tourné vers lui-même, « Comme si ce qu’on apprenait en se faisant l’amour seul comptait / Plus que ce qu’on apprend en aimant quelqu’un d’autre ». La décision d’Orphée de ne plus aimer une femme vient après avoir perdu Eurydice pour la seconde fois. Ce qui importe dans cette lecture du mythe, c’est l’idée d’une rupture d’avec l’autre, le semblable, l’idée d’un aveuglement quant à ce qui forme une société. Le personnage d’Orphée est ici une forme pour dire ce que peut être le repli sur soi et c’est avec des formes que Terrance Hayes écrit. À propos du raciste : « je te coince dans un sonnet américain (…) Je te coince dans une forme », et ensuite : Je fais de toi un paquet de noir avec en son cœur un oiseau » et, enfin : « Ce n’est pas assez /Pour t’aimer. Ce n’est pas assez pour vouloir te détruire ».

 

Détruire ? Ce qui est présent, hier et maintenant, c’est la haine destructrice de beaucoup de Blancs pour les Noirs, c’est le lynchage d’un adolescent de 14 ans, le meurtre d’Emmett Till, celui par étouffement de George Floyd en mai 2020 par un policier, longue liste de Noirs abattus, longue liste d’assassins. Il y a pourtant parfois quelque humour désabusé dans ce qui semble ne jamais avoir un terme : "D’un côté le crépuscule / C’est le noir. Un côté de ce pays / Ne sait pas distinguer le fait d’être Noir du soir ». Extirper ce qui écarte et tue depuis des siècles une partie de la population semble impossible ; les assassins, aujourd’hui, ne restent pas impunis, mais d’autres assassins agissent, et rien ne change. La société dans son ensemble accepte la ségrégation de fait qui n’empêche pas « des hommes / Qui savent faire de l’argent mais rien d’autre » de prospérer. Dans ce monde, « un négro peut-il survivre ? ». Terrance Hayes rappelle encore ce qu’est le mouvement de la vie, commun à tous, Noirs comme à « ces garçons blancs qui deviendront des assassins » : tous disparaîtront, bientôt réduits en poussière bientôt mêlée à la terre qui, devenue terre fertile, produira des céréales pour d’autres vivants.

 

L’affirmation du sort commun des humains est un motif sous-jacent, comme le fait que le pays n’appartient pas à une partie de la population, « Ce pays est autant le mien que la maison de l’orphelin est la sienne ». Les hommes noirs, les femmes noires qui l’ont illustré sont légion. Dès l’entrée, Terrance Hayes donne les noms de Langston Hugues (1901-1967) et de Phillys Wheatley (1753-1784), esclave affranchie par ses acheteurs qui lui firent faire les mêmes études qu’à leurs filles et se dépensèrent pour que ses poèmes soient édités — sa poésie conventionnelle (P. W. s’était convertie à un christianisme puritain) — ne peut être un début de la littérature afro-américaine. Un sonnet est consacré à Toni Morrison, dont le prix Nobel a certainement facilité la traduction et la connaissance de la littérature afro-américaine, un autre à James Baldwin (1924-1987) dont le corps même est composé de la terre où il est né :

 

                       (…) la boue est faite

                      De pluie simple et de sol, ces mêmes flaques et collines

                       Baptismales de terre dont est fait James Baldwin.

 

Sont également cités LeRoi Jones, James Wright et quelques écrivains blancs, notamment Sylvia Plath, Rilke, Virginia (Woolf), Neruda et Lorca, à côté des peintres Van Gogh, Dali et Georgia (o’Keefe). Les noms ne sont pas indifférents tout comme l’importance accordée aux chanteuses de jazz (Aretha Franklin, Nina Simone) qui ont donné une valeur politique à leur art, tout comme les musiciens de jazz (Monk, Miles (Davis), John Coltrane, Bird (Charlie Parker), Herbie Hancock). Rien de surprenant, comme l’écrit Guillaume Condello, « la musicalité emporte tout et le sens avec elle par le truchement des affects ».

 

Il analyse dans la postface  sa propre traduction, pointant les difficultés, parfois l’impossibilité, de restituer le texte, quand, par exemple, « la répétition de la nasale » produit un « affect de sidération, de lassitude, de dégoût » dans un poème à visée politique. Toujours, « le rythme est essentiel », ce que le lecteur reconnaît la plupart du temps ; par exemple quand un sonnet est presque uniquement construit avec des répétitions de noms et de groupes nominaux — en voici les derniers vers :

 

                       Les pseudo-potes, les rats morts, les gros rats et les micro

                       Rats, ceux qui sont embarrassés, les serpents, l’ensemble des sept mers,

La sciatique, les abeilles tueuses, les tornades et avalanches,

Les wouhou !, le chant du cygne, toi, de temps à autre, la maladie.

 

La forme est restituée quand le passage d’un lexique à l’autre est aisé, comme avec cette série « your palms to the palms & palm », mais ce n’est pas courant. « L’important », conclut Guillaume Condello, « a toujours été de produire une musique et un jeu verbal en accord avec le geste de l’auteur, tendant la main comme un poing, une main ouverte ou un geste chaque fois différent, à son assassin. » Passant de la traduction au texte original, on constatera que le pari est gagné.

Terrance Hayes, Sonnets américains pour mon ancien et futur assassin, traduction Guillaume Condello, préface Pierre Vinclair, Collection Sing, Le Corridor Bleu, 2023, 176 p., 16 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 9 février 2024.

 

 

28/02/2024

Esther Tellermann, Votre écorce

esther tellermann, votre écorce, soudain, corps

Car je n’ai rien 

une mèche 

           un cil 

le plus ténu 

        fut votre 

corps

la façon d’un 

murmure où 

je m’ensevelis 

et m’attarde 

        et m’endors.

Nous étions si 

frêles contre ce qui 

               soudain ne 

craint plus 

               l’ombre.

 

Esther Tellermann, 

Votre écorce, La Lettre volée,

2023, p. 88.