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29/01/2023

Basho Seigneur ermite, l’Intégrale de haïkus

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Jardin d’hiver —

minces comme un fil, la lune

et le chant des grillons qui survivent

 

Ce corbeau

pourquoi pat-il en ville

à la fin de l’année ?

 

Tous ces villageois

seraient-ils les descendants

des gardiens de fleurs ?

 

Es-tu un papillon

ou suis-je Tchouand-tseu

rêvant d’un papillon ?

 

Tourne-toi de ce côté !

je suis également seul

dans le soir d’automne

Basho Seigneur ermite, édition  bilingue par Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 241, 244, 249, 259, 253

28/01/2023

Basho Seigneur ermite

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Lune éclatante —

je tourne autour de l’étang

toute la nuit

 

Impossible de dormir

dans la nuit le bruit d’une jarre

brisée par le gel

 

Première neige —

jusqu’à ployer

les feuilles de narcisse

 

Parmi les feuilles

des cerisiers en fleur

un nid de cigogne

 

Dormir ivre

sur les graviers

fleuris d’œillets 

Basho, Seigneur ermite, l’Intégrale des haïkus,

édition bilingue par Makoto Kemmoku et

Dominique Chipot, La Table ronde, 2012,

p.133, 134, 135, 139, 143.

27/01/2023

Basho Seigneur ermite, l’Intégrale de haïkus

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Bruyante grêle —

mon vieux corps

comme les vieilles feuilles d’un chêne

 

 

La mer sombre dans la nuit —

les cris des canards

vaguement blancs

 

Réveille-toi, réveille-toi,

je veux devenir ton ami

papillon endormi !

 

Sur le chemin montagneux

une violette me fascine

sans raison

 

Quelques papillons

leurs ombres voltigent

sur les champs 

 

Basho, Seigneur ermite, l’Intégrale des haïkus,

édition bilingue par Makoto Kemmoku et

Dominique Chipot, La Table ronde, 2012,

p. 96, 112, 113, 121, 123.

26/01/2023

Basho Seigneur ermite

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Espérant le chant du coucou,

j’entends les cris

du marchand de légumes.

 

L’automne est venu —

sur l’oreiller

le vent me salue.

 

Sous une couverture de gelée,

un enfant abandonné

sur un matelas de vent.

 

Regagnant la côte

sur une feuille, le petit insecte

où dort -il ?

 

Basho, Seigneur ermite, l’Intégrale des haïkus,

édition bilingue par Makoto Kemmoku et

Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 64, 66, 69, 79.

25/01/2023

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets

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Sonnet sur les beautés d’une autre

 

Son poil tout hérissé et bien long le visage,

Les deux yeux écaillés et un nez tout puant

La bouche bien fendue, par où va dégoutant

Une certaine humeur sentant le vieux fromage ;

Velue par le corps comme un monstre sauvage.

Le tétin avalé, graissé d’huile et d’onguent

L’aisselle du venin va toujours coulant ;

L’estomac enfoncé, le ventre plat et large ;

En descendant plus bas, un trou sanglant on voit,

De peaux moites autour, un landi qui paroit

De chancre revêtu, de farcins plein les bords ;

Les cuisses de Gigot et les jambes tremblantes

Pleines d’ulcères, loups, de mulets et de fentes :

Au reste elle se dit belle par tout le corps.

 

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt

profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,

Poésie/Gallimard, 2023, p.97

24/01/2023

Jodelle

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               Sonnet  XLIII

 

Je ne suis de ceux-là que tu m’as dit se plaindre,

Que leur Dame jamais ne leur donne martel :

Vu l’âme véhémente, un dur martel m’est tel,

Qu’il peut plus à la mort qu’à l’amour me contraindre.

S’il peut donc l’amour avec ma vie éteindre,

En tout amour je chasse un poison si mortel,

Humble et petit, pourrais-je en moi tel mal empraindre ?

Mais las ! d’avoir peur d’être en ton cœur effacé,

Craindre qu’un Delta double en chiffre* entrelacé,

Ne soit plus pour mon nom, craindre qu’en ton absence

Tu ne me fasses plus tes lettres recevoir,

Ce n’est pas un martel, c’est d’amour le devoir,

Qui montre en froide peur ardente révérence.

 

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt

profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,

Poésie/Gallimard, 2023, p. 75.

 

*Le chiffre désigne le nom d’une personne

23/01/2023

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt  profonde, Sonnets

 

Sonnet XXX

 

Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde

Loin de chemin, d’orée, et d’adresse, et de gens ;

Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents,

Se voit presque engloutir des grands vagues de l’onde ;

Comme un qui erre aux champs, lorsque la nuit au monde

Ravit toute clarté, j’avais perdu longtemps

Voie, route, et lumière, et presque avec le sens,

Perdu longtemps l’objet, où plus mon heur se fonde.

Mais quand on voit (ayant ces maux fini leur tour)

Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour,

Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire.

Moi donc qui ai tout tel en votre absence été,

J’oublie en revoyant votre heureuse clarté,

Forêt, tourmente, et nuit, longue, orageuse, et noire.

 

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt

profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,

Poésie/Gallimard, 2023, p. 62.

22/01/2023

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets

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                   Sonnet XLII

 

Je me trouve et me perds, je m’assure et m’effroie,

En ma mort je revis, je vois sans penser voir,

Car tu as d’éclairer et d’obscurcir pouvoir,

Mais tout orage noir de rouge éclair flamboie.

Mon front qui cache et montre tristesse, joie,

Le silence parlant, l’ignorance au savoir,

Témoigne mon hautain et humble devoir,

Tel est tout cœur, qu’espoir et désespoir guerroie.

Fier en ma honte et plein de frisson chaleureux,

Blâmant, louant, fuyant, cherchant, l’art amoureux,

Demi-brut, demi-dieu je suis devant ta face,

Quand d’un œil favorable et rigoureux, je croi,

Au retour tu me vois, moi las ! qui ne suis moi

Ô clairvoyant aveugle, ô amour, flamme et glace !

 

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt

profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,

Poésie/Gallimard, 2023, p. 74.

21/01/2023

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets

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                      Sonnet II

 

Des astres, des forêts, et d’Achéron l’honneur,

Diane, au Monde haut, moyen et bas préside,

Et ses chevaux, ses chiens, ses Euménides guide,

Pour éclairer, chasser, donner mort et horreur.

Tel est le lustre grand, la chasse, et la frayeur

Qu’on sent sous ta beauté claire, prompte, homicide,

Que le haut Jupiter, Phébus, et Pluton cuide,

Son foudre moins pouvoir, son arc, et sa terreur.

Ta beauté par ses rais, par son rets, par la crainte

Rend l’âme éprise, prise et, au martyre étreinte.

Luis-moi, prends-moi, tiens-moi, mais hélas ne me perds

Des flambants, forts, et griefs, feux, filets, et encombres,

Lune, Diane, Hécate, aux cieux, terre, et enfers

Ornant, quêtant, gênant, nos Dieux, nous, et nos ombres.

 

Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt

profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,

Poésie/Gallimard, 2023, p. 34.

20/01/2023

Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir

 

                  Le passé

 

Comme une vieille échelle pourrie

Qu’on a jeté d’une scierie désaffectée

Et qui flotte, émergeant seulement par le haut,

Tandis que, tout imprégné d’eau, le reste baigne,

Rongé par les tarets, encroûté de bernacles

Et de moules accrochées en papillotes bleues ;

Puante, alourdie d’algues et de ces curieux êtres

Qui vivent de la mort et de la marée basse,

Route vermiculée, en proie à l’helminthiase :

Telle est ma conscience.

De temps en temps, je la sèche au soleil,

Je l’appuie (contre rien du tout,

Puisqu’elle ne monte nulle part) ;

Mais je la garde, on ne sait jamais, ça peut servir.

Qui sait si elle n’est pas récupérable,

Si on ne pourrait pas la radouber un peu ?

Et chaque nuit sans raison ma cervelle

Monte et descend les barreaux de l’échelle. 

Malcom Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction de J.-M. Lucchioni, préface de Bernard Noël, éditions de La Différence, 1976, p. 97.

 

19/01/2023

Jacques Moulin, Corbeline : recension

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Ne cherchez pas "Corbeline" dans un dictionnaire contemporain, ni même dans le Littré, il faut remonter à l’ancien français pour trouver trace du mot. Sans préciser de quelle herbe il s’agit, le dictionnaire de Frédéric Godefroy (1880-1895, ancien et moyen français), donne un exemple d’emploi : « Les corbeaux, quand il se sentent empoisonnez de la graine de Naples, cherchent l’herbe nommée corbeline pour leur remede et garison ». C’est cet emploi que conserve Jacques Moulin dans le premier quatrain du livre : « La corbeline est herbe de gravité / Corbeau la cueille / À la nuit tombée / Pour la mort déjouer » ; il propose ensuite d’en découvrir la nature qui ne peut être que liée à la mort, ce serait « l’herbe noire qui pousse au pied des gibets », antidote pour l’ensemble des corvidés.

Non, le livre n’est pas une enquête autour d’un remède propre à certains oiseaux, mais, pour commencer, une suite de variations autour de la corbeline et d’un oiseau en général peu apprécié, le corbeau, variations en courtes proses et en vers souvent rimés, parfois comptés et formant strophes. L’ensemble occupe la moitié du livre, l’autre consacrée à d’autres oiseaux, de la grue au martinet, du héron au vautour et à la mésange. Les notations à propos des uns et des autres, toujours précises, prouvent un observateur averti de la nature, même si elles sont souvent données comme en passant, tout comme les tableaux plus larges de l’espace : « C’est encore nuit petite. Avril repose sur l’étang. La lune est ronde. Le taillis inextricable. Les ronces agressives. Premières lueurs du jour. [etc.] » Jacques Moulin, attentif aux oiseaux comme à la faune observable* ne cherche pas à écrire en naturaliste : les oiseaux ne sont pas qu’un prétexte, ils sont bien présents, mais cette présence conduit à des combinaisons de mots des plus variées.

 

On ne saura pas ce qu’est exactement la corbeline, est repris le discours ancien qui définissait son action, « Herbe qui sauve », qui « lève le poison comme on lève la brûlure d’amour meurtri ». On apprendra l’existence de "corbelinier" et, dans l’une des premières proses, "corbeline" entraîne "cor(beau), "cour(bure), "or(be) , "cou", "(ja bot", à quoi s’ajoutent peu après "cro(assantes) et la proximité de "jabot et "bec" ; à d’autres moments du texte "corbin" (inusité pour "corbeau", et "corbine". Cette herbe aux corbeaux est associée à la jonquille — ce qui inspire une chanson ; elle vivrait au milieu d’autres plantes comme la panprée et le corblet : c’est là le plaisir particulier d’introduire des mots peu communs, ici le nom du panais sauvage et une désignation régionale du pavot cornu ; on lira aussi parmi d’autres "blaude", "tabard", "bollard", "cochoir".

On notera un développement où est imaginée une relation étroite entre l’oiseau et son nom, la séquence phonique K-R-B étant supposée restituer ce qu’est le corvidé, le [B] par exemple « par la saisie du bec braille et clabaude » ; le corbeau a perdu son "i" dans le mot "oiseau" : il est seulement « oseau » dont, remarque Jacques Moulin, on ne connaît « Ni gazouillis ni pépiement ni / Sifflotis ». Mais pour le cri des corvidés la liste des mots est étoffée, « croaillement, coraillement, craillement, [etc.] », et de courts descriptifs complètent une longue série, le cri comparé à « dans la nuit du gravier / le bruit d’évier », et ce cri est répété trois fois, « Trois trois trois / Lez corbeau fait nombre / Tierce / Dans sa voix ».

 

Le lecteur relève que le plaisir des sons guide souvent la construction des textes. À côté du (trop) classique « j’écris – je crie », on peut apprécier « corps vidé » ou « un chant a krâpella », ou encore quand on passe à la grue, « La grue n’est pas greluche ne grignote pas égraine avec soin le plant gobe des grenouilles (etc.] ». Un relevé exhaustif des jeux de mots nécessiterait de donner chaque fois le contexte, signalons-en cependant quelques-uns : « broyé-bruyant », « craille-braille », « graves-craves », « criarde-braillarde-raillarde », « Appeau appelle /appâts de mots » « la magie des oiseaux-la manie des corbeaux », etc. Par ailleurs, Jacques Moulin pratique régulièrement l’énumération — « Tu fais des listes sur ta page », reconnaît-il : liste de noms d’oiseaux chacun suivi d’une caractéristique, « La linotte mélodieuse / La mouette rieuse / Le bruant bruyant / Le martin triste [etc.] »

Les nombreuses remarques sur le cri des oiseaux sont souvent liées à la forme choisie pour l’écriture du poème ; ainsi, pour les grues :

« Se taire pour bien entendre. Effacer forme d’homme. N’être qu’un pavillon. Voir après. Un poème qui donne le son avant la forme. Une forme de cri en vol. Un envol d’onomatopées vivantes. Charivari. Tapagerie. »

Les formes choisies tendent à restituer quelque chose de la vivacité de l’oiseau ou de son cri, qu’il s’agisse du choix des phrases nominales ou de la fréquence de l’usage du rondel — pour le martinet, Jacques Moulin en écrit avec la rime -i- et commente : « Rondel en i / Pour le marti- / Net dans son cri ».

 

Jacques Moulin aime tous ces oiseaux, y compris le mal aimé corbeau ; couleur de charbon, certes, mais il faut percevoir sa lumière intérieure, comme s’il était peut-être oiseau de Soulages, et l’on comprend alors que « le corbeau est blanc au profond de la nuit ». On trouve cette lumière dans les monotypes d’Ann Loubert qui donne à voir des espaces possibles pour les oiseaux, le noir et blanc parfois subtilement rehaussé d’une couleur pastel.

Jacques Moulin, Corbeline, Monotypes d’Ann Loubert, L’Atelier contemporain, 2022, 176 p. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 27 décembre 2022.

 

 

 

 

 

18/01/2023

Raymond Queneau, Les Ziaux

 

Averse averse averse averse averse averse

pluie ô pluie ô pluie ô ! ô pluie ô pluie ô pluie !

gouttes d’eau gouttes d’eau gouttes d’eau gouttes d’eau

parapluie ô parapluie ô paraverse ô !

paragouttes d’eau paragouttess d’eau de pluie

capuchons pélerines et imperméables

que la pluie est humide et que la pluie mouille et mouille !

mouille l’eau mouille l’eau mouille l’eau mouille l’eau

et que c’est agréable agréable agréablet de pliue et de gouttes

d’eau de  pluie et d’averse

d’avoir les pieds mouillés et les cheveux humides

tout humides d’averse

 

 Raymond Queneau, Les Ziaux, dans Œuvres complètes,I,

Pléiade/Gallimard, 1090, p. 67.

 

 

 

17/01/2023

Adrienne Rich (1929-2012), dans Olivier Apert, Une anthologie bilingue de la poésie féminine américaine du XXe siècle

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D'une vieille maison en Amérique

 

16.

« De telles femmes sont dangereuses

pour l'ordre des choses »

 

et bien oui nous serons dangereuses

à nous-mêmes

 

avançant à tâtons parmi les épines du cauchemar

(datura s'enchevêtrant à une herbe simple)

 

car la ligne séparant

la lucidité des ténèbres

 

st encore à tracer

 

Isolement, le rêve

de la femme de la frontière

 

mettant en joue sa carabine derrière

la clôture de la ferme

 

piège encore notre vanité

- Une feuille suicidaire

 

s'étend sous le verre brûlant

de l'œil du soleil

 

La mort de toute femme me diminue.

 

From an old house in America

 

"Such women are dangerous

in the order of things"

 

and yes, we wille be dangerous

to ourselves

 

groping through spines of nightmare

(datura tangling with a simple herb)

 

because the line dividing

lucidity from darkness

 

is yet to be marked out

 

Isolation, the dream

of the frontier woman

 

levelling her rifle along

the homestead fence

 

still snares our pride

—a suicidal leaf

 

laid under the burning-glass

in the sun eye

 

Any woman death diminishes me.

 

Adrienne Rich (1929-2012), dans Olivier Apert, Une anthologie bilingue de la poésie féminine américaine du XXe siècle, Le Temps des Cerises, 2014, p. 183 et 182.

16/01/2023

Victor Hugo, Choses vues

 

9 septembre 1845

Les maraîchers fruitiers de Paris, marchands de primeurs femmes de la halle ne veulent envelopper ce qu’ils vendent, fruits, poissons, etc., que dans du papier imprimé. On leur a fait et offert du papier blanc au même prix que le papier maculé ; ils n’en ont pas voulu, ils disent que le papier imprimé pare la marchandise.

 

27 octobre 1846

Les élégants de Paris copient en ce moment de hideuses modes anglaises. Ils n’ont jamis été plus laids et n’ont jamais eu l’air plus bête qu’aujourd’hui.

 

2 novembre 1846

Un barbare contemplait le Capitole tout rêveur.

Un Romain l’aborde : « Sue fais-tu là, barbare ? »

« Je regarde, dit le barbare, le lieu où est le joug de l’univers. »

 

19 novembre 1846

La police autrichienne vient de saisir Le Dante dans la poche d’un voyageur français entrant en Lombardie, comme œuvre pestilentielle de l’esprit français contemporain.

  

Victor Hugo, Choses vues, Quarto/Gallimard, 2002, p. 241, 276, 278, 281.

 

15/01/2023

Selima Hill, Portrait de mon amant en animal étrange

 

Portrait de mon amant en animal étrange

 

Ne me demandez pas pourquoi

mais je me suis bientôt mise à nourrir l’animal,

de chenilles, de crottes en chocolat, de baies sucrées —

ou autre, tant que c’était petit.

Sa bouche était aussi petite et serrée qu’une alliance.

Les nuits de clair de lune il aimait regarder les étoiles

et se blottir contre moi comme un flan géant.

Puis vint la nuit où il m’a semblé l’entendre parler.

Il prononçait mon nom !

Mon Dieu, comme c’était beau !

Mais il est vrai qu’alors l’épuisement m’avait fait perdre la tête.

Je m’étais laissée tomber à genoux sur le sable tant j’étais épuisée.

Et les sacs que j’avais portés ne contenaient sue des racines.

Quant à mon nom —

ce n’était que le bruit de ses mâchoires

broyant le corps

de son dernier roitelet.

 

Selima Hill, dans L’Île rebelle, Anthologie de poésie britannique au tournant du XXIe siècle,

Édition bilingue, choix de Martine De Clerq, Préface de Jacques Darras,

tous deux traducteurs, Poésie/Gallimard, 2022, p. 237.