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20/11/2017

Fernando Pessoa, Pour un "Cancioneiro"

 

                                            Fernando Pessoa, Pour un "Cancioneiro", écher, Catulle, résignation

Ma vie aura été, en somme,

   Autant subalterne qu’obscure,

Sans bonne ni mauvaise part,

   Ombres de haillons dans la brume.

 

Comme un caissier je suis resté

   Posté derrière un guichet nul :

Poète ou amant, nul Catulle

   Ne devient conseiller d’État.

 

Et même quand on m’a aimé  

   Il semble que l’on m’offensait.

L’habit humain dont j’ai été lardé

   Ses boutons même ont tous sauté.

 

Me voici calme, un peu plus sûr

   Un tant soit peu moi désormais :

Voyant, après coup, le portail ouvert,

   Mais disant toujours : "Ce n’est pas chez moi".

 

Fernando Pessoa, Pour un « Cancioneiro », dans Œuvres

poétiques, édition Patrick Quillier, Pléiade/Gallimard, 2001.

08/01/2017

Denis Thouard, Pourquoi ce poète ? Le Celan des philosophes

                                         Denis Thouard, Pourquoi ce poète ? Le Celan des philosophes, dieux, Grèce, exclusion, citoyen

   Poétique, philosophie, politique : les trois s’enchaînent, et enchaînés, libèrent. Les bonnes et les mauvaises recettes sont là depuis longtemps.

   Une société très sélective, qui pourrait être une secte littéraire, aussi bien qu’une communauté politique, d’abord. Lucien, auteur grec du IIe siècle de notre ère, né en Syrie, rapporte la proposition de décret que Momus présente à Jupiter pour limiter les nouveaux arrivants de cette assemblée : les dieux qui ne pourront faire la preuve de leur citoyenneté olympienne « seront renvoyés en leur pays, leurs autels profanés et leurs statues renversées, et s’ils s’ingèrent à l’avenir d’entrer dans le Ciel, ou sont trouvés sur le chemin, ils seront précipités dans les Enfers ! » Le rejet est ici sans ménagements. Une société se constitue par la clôture. Elle s’autosacralise en expulsant l’autre hors de soi. Pour faire la preuve de sa bonne foi, ou à tout le moins de papiers en règle, il faut un bon avocat.

[…]

 Denis Thouard, Pourquoi ce poète ? Le Celan des philosophes, ‘’L’ordre philosophique’’, Seuil, 2016, p. 184.

17/11/2016

Paul Celan, La rose de personne, traduction Martine Broda

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Gel, Eden

 

Il y a un pays : Perdu,

où pousse une lune dans le roseau,

mort de froid avec nous,

Il rayonne autour et voit.

 

Il voit, alors il a des yeux,

qui sont de claires terres.

La nuit, la luit, l’alcali.

Il voit, l’enfant-œil.

 

Il voit, il voit, nous voyons,

je te vois, tu vois.

Le gel ressuscitera

avant que l’heure se ferme.

 

Paul Celan, La rose de personne, traduction

Martine Broda, Le Nouveau Commerce,

1979, p 37.

21/09/2016

Paul Celan, Renverse du souffle

                                                          celanphoto1.jpg

L’Écrit se creuse, le

Parlé, vert marin,

brûle dans les baies,

 

dans les noms,

liquéfiés

les marsouins fusent,

 

dans le nulle part éternisé, ici,

dans la mémoire des cloches

trop bruyantes à — mais où donc ?,

 

qui,

dans ce

rectangle d’ombres,

s’ébroue, qui

sous lui

scintille un peu, scintille, scintille ?

 

Paul Celan, Renverse du souffle, traduit

de l’allemand et annoté par Jean-Pierre

Lefebvre, Seuil, 2003, p. 83.

27/03/2016

Jean Daive, Paul Celan, les jours et les nuits : recension

Jean Daive, Paul Celan, les jours et les nuits

 

   La poésie de Celan et sa correspondance sont maintenant, pour une grande partie, disponibles en français et, en France, de nombreux travaux ces vingt dernières années ont exploré différents aspects de l’œuvre — on pense notamment aux livres majeurs de Jean Bollack, aux études de Martine Broda, Alain Suied, Jacques Derrida, Yves Bonnefoy et, récemment, de John. J. Jackson et Stéphane Mosès. Jean Daive a déjà écrit autour de ses relations avec Celan (Sous la coupole, P.O.L, 1996) ; ce dernier livre réunit des textes de dimensions inégales — entretiens, essais, conférence, souvenirs — et qui portent sur des sujets variés : la vie de Celan, ses traductions, ses réflexions sur la poésie, le lien avec Ghérasim Luca, l’affaire Goll. Livre hétérogène donc, qui vise à rappeler ce que furent les activités de Celan et à aborder divers aspects de sa personnalité. C’est aussi le propos de Werner Hamacher, grand lecteur de Celan, qui analyse une partie du texte de Daive, mais il faudrait une chronique entière pour rendre comte de ces ‘’suggestions’’ d’une bonne cinquantaine de pages.

   Jean Daive a connu Celan jusqu’à sa disparition en 1970 ; il a traduit ses poèmes (« La traduction de « Strette » côte à côte au Royal Panthéon. À sa droite », Sous la coupole, p. 17) et, encore avec lui, quelques-uns du poète allemand Johannes Poethen pour la revue L’Éphémère, republiés ici avec le texte original. Il a passé beaucoup de temps dans le bureau de Celan à l’École normale de la rue d’Ulm, en promenades et conversations « sous les marronniers de l’avenue des Gobelins ». Il a choisi d’ouvrir le livre en reprenant un entretien avec Bernard Böschentein qui, spécialiste de Hölderlin, a été un familier de Celan : c’est donner un autre regard sur le poète, qui complète son expérience.

   Dans le portrait très construit que donne Jean Daive est mise en relief la complexité du poète.

On en saisit un aspect dans un chapitre consacré à Ghérasim Luca ; les deux poètes étaient proches, notamment parce que pour eux « une langue se dématérialise, se décompose et la poésie se réalise comme au travers d’un fantôme syllabique qui en serait le titre ». La décomposition donne les moyens, comme l’analyse Bernard Böschentein, « de refaire à partir de zéro une langue qui est d’abord faite d’intervalles, faite de pauses, faite de césures, faite de silences ». La réflexion sur la langue a son accomplissement dans le travail de traduction, essentiel dans la vie de Celan — « véritable combat contre la mort », selon Jean Daive — ; la liste de ses traductions, complètes ou partielles, est impressionnante, des quelques strophes de ‘’La Chanson du mal aimé’’ à Ungaretti, Mandelstam, du Bouchet et Daive, des sonnets de Shakespeare à Michaux. Et Rimbaud ; pour ‘’Le Bateau ivre’’, il s’agissait non d’écrire un équivalent en allemand mais de créer une œuvre originale : hanté qu’il était par l’image de l’abîme, celui où ont disparu les morts des camps nazis, la traduction « métamorphose l’idée du voyage en pensée de la déportation et rend la vérité rimbaldienne (la descente aux enfers) apocryphe. » Pour lui le poème, toujours, « est mémoire ou proximité de l’abîme » et c’est parce qu’il a cette importance que l’ « affaire Goll » a été une épreuve qu’il n’a pu surmonter.

   Après la mort en 1950 du poète Yvan Goll, Claire Goll accusa Celan d’avoir plagié son époux et mena une campagne violente contre lui, alors que le recueil publié par Celan reprenait des poèmes qu’il avait édités en 1948, donc avant de connaître le couple — elle avait introduit dans une édition posthume de Yvan Goll des fragments empruntés à ce recueil. En Allemagne, l’antisémitisme toujours bien vivant s’empara de ces mensonges, bien que le trucage ait été mis au jour et la vérité rétablie par des amis du poète, d’abord par Peter Szondi. C’est l’engrenage : Celan a refusé de minimiser l’affaire, Claire Goll représentant alors pour lui toute l’hostilité du monde, et il a longtemps multiplié les lettres(1) sur l’’’Affaire’’, cherchant sans cesse des appuis et à susciter des pétitions en sa faveur. Il lui fallait l’impossible : que son innocence soit reconnue partout et clamée, l’Affaire rejoignant « une somme de culpabilité, décisive et tragique ».

   Cette extrême difficulté à vivre les attaques calomnieuses de Claire Goll ont contribué à ruiner un équilibre précaire, le souvenir des camps toujours vivant, la tentation de se donner la mort toujours présente : jusqu’à proposer à son épouse de mourir ensemble. Car comment être  ? Daive rapporte le goût qu’avait Celan pour le cirque, c’est-à-dire pour l’activité de ces nomades jamais installés, fixés dans un lieu, lui-même ne voulant pas « être l’habitant et le représentant d’un pays spécifique ». Comment vivre le présent, quand on vit « la souffrance au jour le jour » ? Ingeborg Bachmann a relaté dans un roman autobiographique, Malina, sa relation, d’une certaine manière impossible, avec Celan, qui avait « l’art ou la stratégie de provoquer les circonstances conflictuelles où le pardon joue un rôle actif. »

   On n’a fait qu’aborder ce livre témoin d’une amitié vraie. Daive analyse de manière aiguë aussi bien la complexité de la relation de Celan avec son épouse, Gisèle Lestrange, que le déroulement et le sens des attaques de Claire Goll et la place du Méridien dans l’œuvre. Vingt ans après Sous la coupole, il donne un portrait chaleureux et vivant.

 

  1. On lira par exemple une lettre de 1962 de Celan à René Char sur l’affaire Goll, dans Paul Celan, René Char Correspondance, 1954-1968, édition établie, présentée et annotée par Bernard Badiou, Gallimard, 2015, p. 138-145.

Jean Daive, Paul Celan, les jours et les nuits, suivi de Suggestions, par Werner Hamacher, NOUS, 216 p., 20 €. Cette note de lecture a été publiée dans Sitaudis le 16 mars 2016.

 

Le n° 4 des Carnets d'eucharis, organisé par Nathalie Riera, outre un hommage à Charles Racine, publie un ensemble de portraits d'écrivains.

J'ai proposé un portrait de Jean-Luc Sarré et conduit un entretien avec Claude Chambard.

Jean Daive, Paul Celan, les jours et les nuits

01/03/2016

Paul Celan, Grille de parole

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Avec lettre et horloge

 

De la cire

pour sceller le non-écrit

qui devina

ton nom,

qui chiffre

ton nom.

 

Viens-tu maintenant, nageante lumière ?

 

Des doigts, de cire eux aussi,

passés en d’étranges,

de douloureux anneaux.

Fondus leurs bouts.

 

Viens-tu, nageante lumière ?

 

Vides de temps les alvéoles de l’horloge,

nuptial l’essaim multiple,

prêt au voyage.

 

Viens, nageante lumière.

 

Mit Brief und Uhr

 

Wachs,

Ungeschriebnes zu siegeln,

das deinen Namen

erriet,

das deinen Namen

verschlüsselt.

 

Kommst du nun, schwimmendes Licht ?

 

Finger, wächsern auch sie,

durch fremde,

schmerzende Ringe gezogen.

Fortgeshmolzen die Kuppen.

 

Kommst du, schwimmendes Licht ?

 

Zeitleer, die Waben der Uhr,

bräutlich das Immentausend,

reisebereit.

 

Kommst, schwimmendes Licht.

Paul Celan, Grille de parole [Sprachgitter], traduit

de l’allemand par Martine Broda, Christian Bourgois,

1991, p. 19 et 18.

 

 

 

03/12/2015

Paul Celan, Enclos du temps, traduction Martine Broda

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Viens, explique le monde à ton aune,

viens, laisse-moi vous combler

de toute opinion,

je ne fais qu’un avec toi,

pour nous capturer,

même maintenant.

 

Komm, leg die Welt aus mit dir,

komm, laß mich euch zuschütten mit

allem Meinen,

Eins mit dir bin ich,

uns zu erbeuten,

auch jezt.

Paul Celan, Enclos du temps, traduit par

Martine Broda, Clivages, 1985, np.

 

 

26/10/2015

Paul Celan, Grille de parole (traduction Martine Broda)

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             Un œil ouvert

 

Heures, couleur mai, fraîches.

Ce qui n’est plus à nommer, brûlant,

audible dans la bouche.

 

Voix de personne, à nouveau.

 

Profondeur douloureuse de la prunelle :

la paupière

ne barre pas la route, le cil

ne compte pas ce qui entre.

 

Une larme, à demi,

lentille plus aiguë, mobile,

capte pour toi les images.

 

Paul Celan, Grille de parole, traduction

Martine Broda, 1991, p. 75.

22/12/2014

Paul Celan, La rose de personne, traduction Martine Broda

 

paul celan,la rose de personne,traduction  martine broda

Erratique

 

Les soirs se creusent

sous ton œil. Recueillies

avec la lèvre, des syllabes — beau

cercle en silence —

guident l’étoile qui rampe

vers leur centre. La pierre,

autrefois proche des tempes, ici s’ouvre :

 

auprès de tous

les soleils

dispersés, âme,

tu étais, dans l’éther.

 

 

Erratisch

 

Die Abende graben sich dir

unters Aug. Mit der Lippe auf-

gesammelte Silben — schönes,

lautloses Rund ­

helfen dem Kriechstern

in ihre Mitte. Der Stein,

schläfennah einst, tut sich hier auf :

 

bei allen

versprengten

sonnen, Seele,

warst du, im Äther.

 

Paul Celan, La rose de personne, traduction

Martine Broda, Le Nouveau Commerce,

1979, p. 56-57

12/01/2014

Paul Celan, Pavot et mémoire,

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En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan

 

         Louange du lointain

 

À la source de tes yeux

vivent les filets des pêcheurs d'eaux folles.

À la source de tes yeux

la mer tient sa promesse.

 

Je jette là

un cœur qui a vécu parmi les hommes,

jette bas mes vêtements et l'éclat d'un serment :

 

Plus noir dans le noir je suis plus nu.

Infidèle seulement je suis fidèle.

Je suis tu quand je suis je.

 

À la source de tes yeux

je suis emporté et je rêve de rapine.

 

Un filet a pêché un filet :

nous nous séparons enlacés.

 

À la source de tes yeux

un pendu étrangle sa corde.

 

 

         Lob der Ferne

 

Im Quell deiner Augen

leben die Garne der Fischer der Irrsee.

Im Quell deiner Augen

hält das Meer sein Versprechen.

 

Hier werf ich,

ein Herz, das gewellt unter Menschen,

die Kleider von mir und den Glanz eines Schwures :

 

Schwärzer im Schwarz, bin ich nackter.

Abtrünnig esrt bin ich treu.

Ich bin du, wenn ich ich bin.

 

Im Quell deiner Augen

treib ich und träume von Raub.

 

Ein Garn fing ein Garn ein :

wir scheiden umschlungen.

 

Im Quell deiner Augen

erwürgt ein Gehenkter den Strang.

 

Paul Celan, Pavot et mémoire, traduction de Valérie

 

Briet, Christian Bourgois, 1987, p. 69 et 68.

11/01/2014

Paul Celan, Poèmes, traduction de John E. Jackson

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En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan

 

                        Psaume

  

Personne ne nous pétrira plus de terre et d'argile,

personne ne conjurera notre poudre.

Personne.

 

Loué sois-tu, Personne.

Par amour de toi nous

voulons fleurir.

Vers

Toi.

 

Un rien

étions-nous, sommes-nous, resterons-

nous, fleurissant :

la rose de Rien, la

rose de Personne.

 

Avec

le style clair d'âme,

l'étamine ciel-désert,

la corolle rouge

du mot-pourpre que nous chantions

par-dessus, ô par-dessus

l'épine.

 

                       Psalm

 

Niemand knetet uns wieder aus Erde und Lehm,

niemand bespricht unsern Staub.

Niemand.

 

Gelobt seist du, Niemand.

Dir zulieb wollen

wir blühn.

Dir

entgegen.

 

Ein Nichts

waren wir, sind wir, werden

wir bleiben, blühend :

die Nichts-, die

Niemandsrose

 

Mit

dem Griffel seelenhell,

dem Staubfaden himmelswüst,

der Krone rot

vom Purpurwort, das wir sangen

über, o über

dem Dorn.

 

Paul Celan, Poèmes, traduction de John E. Jackson,

éditions Unes, 1987, p. 37 et 36.

 

 

 

 

10/01/2014

Paul Celan, Voix /Stimmen, traduction Martine Broda

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En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan

 

 

Voix venues du chemin d'orties :

 

Viens à nous sur les mains.

Qui est seul avec la lampe,

pour y lire, n'a que sa main.

 

 

Stimmen vom Nesselweg her :

 

Komm auf den Händen zu uns.

Wer mit der Lampe allein ist,

hat nur die Hand, draus zu lessen.

 

Paul Celan, Voix /Stimmen, traduction

Martine Broda, Lettres de Casse,

 

1984, n. p.

09/01/2014

Paul Celan, Partie de neige

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En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan,

    

À ton ombre, à ton

ombre toute mal-sonnée aussi,

j'ai donné sa chance.

 

elle, elle aussi

je l'ai lapidée à coups de moi-même,

moi le droit-ombré, droit

sonné —

étoile à six branches

à laquelle tu as

adonné ton silence.

 

aujourd'hui

adonne ce silence où tu veux,

 

catapultant du sous-sacralisé par l'époque,

depuis longtemps, moi aussi, dans la rue,

je sors, pour n'accueillir aucun cœur,

jusque chez moi dans le pierreux-

multiple.

 

Deinem, aux deinem

fehldurchläuteten Schatten

gab ich die Chance.

 

ihn, auch ihn

besteinigt ich mit mir

Gradgeschattetern, Grad-

geläutetem — ein

Schsstern,

dem du dich hinschwiegst,

 

heute

schweig dich, wohin du magst,

 

Zeitunterheligtes schleudernd,

längst, auch ich, auf der Straße,

tret ich, kein Herz zu empfangen,

zu mir ins Steinig-Viele

hinaus.

 

Paul Celan, Partie de neige, édition bilingue,

traduit de l'allemand et annoté par Jean-Pierre

Lefebvre, Seuil, 2007, p. 51.

08/01/2014

Paul Celan, Poèmes, traduction André du Bouchet

 

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En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan

 

          Parler, la grille

 

Œil-le-rond entre les ferrures.

 

Paupières, cillant,

qui rames amont,

élargis ce regard.

 

Iris, nageur, rogue et sans rêve :

le ciel, cœur gris, n'est pas loin.

 

Déclive, à ce bec du métal,

l'écharde charbonne.

Où la lumière tire,

tu devines l'âme.

 

(Si j'étais semblable à toi. Toi-même, à moi.

Ne sommes-nous pas debout

dans un même alizé ?

Nous sommes étrangers.)

 

Les dalles. Dessus,

entreserrées, l'une et l'autre

flaques gris-cœur :

deux fois

se taire plein la bouche.

 

              *

 

        Sprachgitter

 

Augenrund zwischen den Stäben

 

Flimmertier Lid

rudert nach oben,

gibt einen Blick frei.

 

Iris, Schwimmerin, traumlos und trüb :

der Himmel, herzgrau, muss nah sein.

 

Schräg, in der eisernen Tülle,

der blakende Span.

Am Lichtsinn

errätst du die Seele.

 

(Wär ich wie du. Wärst du wie ich.

Standen wir nicht

unter einem Passat ?

Wir sind Fremde.)

 

Die Fliesen. Darauf,

dicht beieinander, die beiden

herzgrauen Lachen

zwei

Mundwoll Schweigen.

 

Paul Celan, Poèmes, traduits par André du

Bouchet, Clivages, 1978, n. p.

 

 

07/01/2014

Paul Celan, Enclos du temps, traduit par Martine Broda

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En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan

 

Mon

âme inclinée vers toi

t'entend

orager,

 

dans le creux de ton cou mon étoile

apprend comme on sombre

et devient vraie,

 

des doigts, je la tire au dehors —

viens, entends-toi avec elle,

encore aujourd'hui.

 

 

Meine

dir zugewinkelte Seele

hört dich

gewittern,

 

in deiner Halsgrube lernt

mein Stern, wie man wegsackt

und wahr wird,

 

ich fingre ihn wieder heraus —

komm, besprich dich mit ihm,

noch heute.

 

Paul Celan, Enclos du temps, traduit par

 

Martine Broda, Clivages, 1985, n. p.