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05/10/2025

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ? : recension

laurent fourcaut, sacrée marchandise, hein ? : recension

Comme le titre l’indique, Laurent Fourcaut a réuni des dizains (137), tous de dix syllabes et rimés. Renouant avec la tradition de la poésie française, il est aujourd’hui un des grands artisans du sonnet en alexandrins dont il a publié de nombreux recueils ; comme quelques écrivains du XXe (Valéry, Aragon) et du XXIe siècles (Cliff, Roubaud), il visite une autre tradition, celle du dizain ; il justifie avec humour cette infidélité à son vers favori dans le poème d’ouverture, "Palinodie" : « voici qu’un plus court amour vous hèle ». Presque tous ses poèmes sont de mini récits, parfois autobiographiques, régulièrement à propos de la nature, mais aussi autour des choses du monde — la langue, les mœurs, les inégalités sociales et autres malheurs dus au capitalisme triomphant. 

L’un des plaisirs de la lecture des dizains de Laurent Fourcaut naît de sa maîtrise de la forme et de son jeu avec les contraintes qui y sont liées. L’organisation classique des rimes (ABABBCCDCD) est respectée et très peu sont fautives, comme « médecine-décime-mesquine » ou « étouffe-touffes-soufre ». Quand besoin est, un mot est coupé à la rime pour satisfaire la règle, parfois avec humour : « pas » rime avec « pa/rent » et « pac/se » ; pour la même raison, la finale -ique devient -ic (music, logic, etc.). On ne trouvera pas de fantaisie dans l’ordre des mots, est exceptionnelle cette construction : « où le monde des cartes que nous fûmes / rebat indifférent », manière d’écrire que l’auteur n’adopte pas. À l’inverse, une transformation morphologique patoisante comme : « seule chose à faire : qu’on se bougions / », s’accorde avec le choix de mêler les "niveaux de langue", on trouvera donc des élisions (v’là, c’te castration, vit’fait,, etc.) et un vocabulaire familier ou argotique (seulabre, cézigue, chibre, etc.).

Cette forme évoque ces bazars qui contenaient tout ce qui permettait les petits bricolages de la vie quotidienne, unité du fourre-tout propre à ces dizains. On y rencontre des figures de la mythologie (Vénus, Apollon, les Vestales, Pan, etc.) qui voisinent avec les noms de musiciens et d’interprètes appréciés de Fourcaut (Bach et Glenn Gould, Couperin et Monk, Erroll Garner, etc.), ceux de peintres (Chardin, de Staël, etc.) et d’écrivains (Ponge, Prigent). Un dizain peut être consacré à un musicien (Monk) ou à un écrivain (William C [Cliff]) ; le nom de Proust appelle une précision (« il narra la fin d’un monde qui croule »). De nombreux titres de dizains évoquent des œuvres variées, des pratiques (Art poétique ou catabase), des manières de parler (Vas-tu foutre ton camp), un standard de jazz (In the mood chanson de Glenn Miller), etc. Si « Qu’on voit danser » renvoie — plus ou moins facilement — à une chanson de Charles Trenet, la source de « mon sang se coagule » (Cyrano de Bergerac de Rostand) est moins évidente et les titres en latin, comme Et in Arcadia ego, requièrent une certaine complicité. C’est encore le cas pour Rosebud, nom de la luge qui symbolise l’enfance de Kane et ses jeux dans la neige, dans le film d’Orson Welles, Citizen Kane. Jeux culturels, certes, mais la littérature est partage d’un patrimoine et le lecteur y prend ce qui lui convient.

La neige est présente dans les dizains, comme ce qui est propre à chaque saison. Laurent Fourcaut est attentif aux changements de temps, il note la venue d’un orage, les variations de la lumière, les effets du vent, enthousiaste devant le ciel de l’aube et de ses couleurs le soir. Plusieurs poèmes commencent par une observation météorologique qui, souvent, donne sa forme à la journée (« vent pluie violente contre les vitres / », « Par dix degrés mais au soleil c’est sûr/ »). Une attention analogue est portée aux animaux, chassés, voués aux abattoirs alors qu’ils sont « en plein accord muet avec le monde ». Restent encore dans la campagne du Cotentin les oiseaux que l’auteur observe (mésange, bouvreuil, chardonneret), la plupart familiers — « un merle tout noir va sur la pelouse ». La ville, elle, a progressivement éliminé l’essentiel de la vie sauvage, « le vrai monde elle l’a réduit / ce qui fut libre et nu est cuit ». Il n’a pas pour autant un refus de la vie urbaine, Laurent Fourcaut vit en partie dans le XXe arrondissement de Paris et y apprécie les cafés, la bière (la Leffe), la vue des jeunes femmes, éléments de sa vie récurrents dans ses livres. Il évoque aussi bien de petits incidents (une chute après une marche ratée, la carte bancaire avalée) que les souvenirs d’enfance à Alger (« l’esplanade / où nous jouions au foot années cinquan / te »), l’achat d’un fauteuil et sa remise en état ou la commémoration de la Commune au Père Lachaise. Il revient plusieurs fois sur la longue durée du Covid qu’il analyse comme « premier symptôme majeur / du grave dérèglement planétaire / dû au capitalisme ravageur ». Ce sont ces ravages dans tous les domaines que les dizains explorent, fustigeant régulièrement « les gens du CAC ». Tous les aspects de la vie sont atteints, la consommation avec les "Grandes surfaces", « prédateurs voraces », le rêve des gens d’avoir « à domicile /leur bassin à eux à eux dans leur coin », la fiction des "réseaux sociaux" et des "amis", les divers « fesse bouc », lieux de l’égo avec leurs « accablantes niaiseries », le productivisme généralisé d’où les produits chimiques sur tout ce qui est consommé, l’illusion de la maîtrise de son petit domaine avec la prolifération des mots de passe… Le vocabulaire est aussi atteint avec l’introduction par les médias de mots dont l’air savant séduit, comme résilience, employés à tort dans les contextes les plus divers. Laurent Fourcaut rassemble une bonne partie des dégâts provoqués dans la société par le fait que l’argent est devenu à peu près la seule "valeur" ; l’immigré, par exemple, représente l’envers inacceptable d’une société repue et il n’y a pas de place possible pour lui — « les tentes des migrants sont découpées par les flics

Les dizains de Laurent Fourcaut présentent une société malade, incapable de voir, par exemple, quand elles sont là ces « feuilles neuves d’inespéré printemps » ; quand tout semble aller à vau-l’eau il faut cependant avec lui garder ses « propres mythes » : « il faut qu’ils tiennent (…) face (…) à l’informe du réel » et, refusant le désastre, répéter « à toi de jouer merle moqueur ».

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein,       Le Merle moqueur, 2025, 156 p., 12 €. Cette revendion a été publiée par Sitaudis le 15 juillet 2025.

29/06/2025

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?

laurent fourcaut, sacrée marchandise, hein ?, décadence

            Aux Champs Élyséens

 

Sur les Champs Élysées de Marcel Proust

les marronniers endurent une foule

hétéroclite et veule il eût dit : oust !

l’enfant au cerceau dont perdu le moule

il narra la fin d’un monde qui croule

sous la poussée de barbares nouveaux

ont fait depuis longtemps rôtir le veau

d’or pour convertir tout en marchandise

tout jusques à vos rêves vous est vo

lé reste une uniforme bâtardise

 

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?,

La Rumeur libre, 2025, p. 95.

28/06/2025

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?

 

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      Compte tenu des mots

 

Deux perdrix font un trou dans la poussière

du hangar s’y vautrant en un nid

la faune vous a de ces mœurs princières

dommage qu’on en ait été bannis

ce non  pas suite d’un décret éni

gmatique mais du fait de la parole

vu qu’elle abstrait on n’est plus à la colle

avec le « monde muet » qu’il prisait

Ponge remonté contre le symbole

pas pour autant le gars qu’il se taisait

 

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?

Le Merle moqueur, 2025, p. 54.

27/06/2025

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?

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Hors de question d’aller sur fesse bouc

où se débonde libre un tombereau

d’accablantes niaiseries c’est un souk

nauséabond où se montrent les crocs

où s’exhibent les fesses des héros

du jour mais tenez-vous voici le pire

on se soumet de facto à l’empire

des sens prostitués : à la canto

nade on divulgue son minable dire

version abâtardie du bel canto

 

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?

Le Merle moqueur, 2025, p. 34.

26/06/2025

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?

 

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               Rosebud

 

Regard de qui reconnaît son désir

après avoir troué les subterfuges

comme il s’embue qui voulait se durcir

tant qu’il n’avait remémoré sa luge

- s’arcbouter sur sa lésine vous gruge

serré dans son bouton la rose attend

que l’enclos de ses larmes se déten

de et les laisse s’écouler et les laisse

l’ouvrir elle la rose tant et tant

que la haine de soi plus ne la presse

 

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?

Le Merle moqueur, 2025, p. 43.

25/06/2025

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?

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              La messe est dite

 

L’espère humaine occupe tout l’espace

urbain ses maisons ses rues tout rempli

à bloc elle est le seul grand rapace

flingués autres vivants jusqu’à l’oubli

mais voilà qu’à la fin elle faiblit

les animaux refoulés lui refilent

un truc à décimer les grandes villes

rongées jusqu’au trognon de passions viles

où ça pullule avec obscénité

l’a-t-on assez dédaignée la sibylle

que peut-elle dire sinon : ite

missa est ?

 

Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?

                                     Le Merle moqueur, 2025, p. 47.