14/11/2018
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Paysage mauvais
Sable de vieux os — Le flot râle
Des glas : crevant bruit sur bruit.
— Palud pâle, où la lune avale
De gros vers, pour passer la nuit.
— Calme de peste, où la fièvre
Cuit… Le follet damné languit
— Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit
— La lavandière blanche étale
Des trépassés le linge sale,
Au soleil des loups… — Les crapauds
Petits chantres mélancoliques
Empoisonnent de leurs coliques
Les champignons, leurs escabeaux.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
Dans C. Cros, T. C., Œuvres complètes,
Pléiade / Gallimard, 1970, p. 794.
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13/11/2018
Joël Cornuault, Tes prairies tant et plus
L’amour rectifie les paysages
L’amour est la meilleure
des mises au point.
Il y a des amis haut placés
parmi les hirondelles de passage
bas placés chez les fourmis d’ici
partout placés dans le lit des rivières
la lie des marais
la sève des platanes
tes anneaux d’or
ta langue de feuille
ta langue de Brésil
tes légères morsures de daim
sur mes nervures
L’amour dépasse les bornes
Avec lui les maisons se retournent
marchant sur le toit
les pierres gelées rebroussent la pente
le temps reflue
les rues se cabrent
toi tu te cambres
origine et fin
Joël Cornuault, Tes prairies tant et plus,
Pierre Mainard, 2018, p. 57.
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12/11/2018
Victor Hugo, Choses vues
1848
Égalité, traduction en langue politique du mot envie.
Académie française. Quarante exemplaires des armoiries de Bourges.
[Les armoiries de Bourges portaient trois moutons en leur centre]
On m’a dit : « Fermez cette porte ! Vous voyez bien que n’importe qui ou n’importe quoi peut entrer : un coup de vent, une femme… »
Je me suis recueilli un instant. « N’importe qui ou n’importe quoi ? » ai-je pensé. Alors je me suis tourné vers celui qui me donnait ce sonseil et j’ai dit : »Ne fermez pas cette porte. » Et j’ai ajouté : « Entrez ! »
Victor Hugo, Choses vues, Quarto / Gallimard, 2002, p. 488, 490, 493.
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11/11/2018
Quelques oiseaux
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10/11/2018
Olivier Domerg, La méthode Vassivière : recension
Vassivière ? On rapporte volontiers, depuis un siècle, que les Français ne connaissent pas la géographie et, en particulier, celle de leur pays, plus familiers des paysages du Maroc ou du Cambodge que du Limousin. Le grand lac artificiel de Vassivière, en Haute-Vienne, porte une île où est construit le Centre international d’art et du paysage, lieu de résidence qui a accueilli Olivier Domerg. Quant à la "méthode", elle résulte de l’association « de la lecture du paysage » et de la lecture des poésies du poète américain George Oppen (1908-1984), régulièrement cité dans le livre. Il y a bien une proximité de projet entre Oppen et Domerg, qu’un vers de ce dernier résume, « Impossible de douter du monde : il est visible », et la tâche du poète consiste à parcourir cette visibilité inépuisable : « Tout poème débute avec le monde ».
Le livre explore en effet le lieu "Vassivière" — le lac, l’île, la colline, la forêt, les prés —, sous forme de vers brefs, touches minuscules, variations à propos du paysage qui pourraient se poursuivre puisque tout ce qui est vu demeure toujours d’une certaine manière dans l’étrangeté. Certes, « ce que nous voyons est là », mais il faut comprendre que « regarder les choses, c’est ouvrir un abîme ». L’entreprise du regard est difficile ; le fait d’ignorer le nom des plantes ou à quel oiseau attribuer tel chant n’est pas ce qui pourrait gêner : qui regarde les choses du monde chaque jour (arbres, eaux, etc.) éprouve un sentiment d’impuissance analogue à celui de Domerg, ce qui est vu, « comment le dire / dans le langage ordinaire ? ». Le regard peine souvent à distinguer et isoler la variété des formes et des couleurs (l’abondance des verts, par exemple), saisi par la « sensualité » des formes, des « ondulations du relief ». Domerg exclut, comme Oppen, la métaphore, essayant ici et là l’allitération et l’assonance pour restituer le « plénitude saturée » avec, par exemple, « frondeuses frondaisons », « buissons (…) bruissant », « fouillis de fougères et de feuilles ». Le plus souvent, il emploie les mots les plus courants pour "donner à voir", « Troupeaux dispersés / sur les pentes ou // au creux des combes // ou soudain rassemblés / sous l’arbre unique / ou bien à l’orée du bois, / du bosquet, // pour s’abriter / de la pluie. » On suit dans ces vers la lenteur du regard, la tentative de s’imprégner de tout le visible.
« Ne cours pas », écrit Domerg, et si l’on prend le temps de regarder, on sera autour de Vassivière surpris par la présence partout de la lumière ; les notations à ce sujet sont si abondantes qu’elles contribuent à donner au texte son unité. La lumière est étroitement liée à l’air (« l’air / est la lumière nue / du soleil » ; « Dans la clarté/ lumineuse de l’air »), également à la couleur verte visible partout (« la lumière semble sourdre du vert », « le vert est le fruit de la lumière »). Lumière du lac, lumière qui « soude les choses entre elles » — ce qui ne signifie pas une transparence du monde. Il y a une « merveille de l’évidence », dont le regard s’emplit, mais bien que l’on devine la présence animale, on ne voit rien autre que les familiers — le héron, l’écureuil ; pour les autres, « ils sont là, quelque part ! ». Rien de transparent non plus dans la pourriture des troncs ; pas de lumière alors, mais le sombre que l’on évite de mettre en relation avec notre vie pour ne pas y voir une image de ce qu’elle deviendra.
Dans La méthode Vassivière comme dans d’autres livres d’Olivier Domerg, le lecteur reconnaît le « désir / de saisir / (…) / Ce qu’il y a ». La poésie aurait d’abord pour tâche de trouver une forme « pour dire qu’il y a quelque chose / à nommer », et en même temps le monde est « impénétrable » ; c’est cette difficulté qui est sans cesse affrontée avec la volonté d’épuiser le « besoin de voir », d’aller au-delà de l’apparence, sachant bien qu’il faudra sans cesse recommencer à ouvrir les yeux.
Olivier Domerg, La méthode Vassivière, Dernier Télégramme, 2018, 208 p., 15 €.Cette note a été publiée sur Sitaudisle 17 octobre 2018.
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09/11/2018
Marcel Cohen, Sur la scène intérieure, Faits
David Salem, convoi du 30 mai 1944
Arrêté en même temps que sa femme Perla à Béziers où ils avaient créé une petite fabrique de textile, ils sont déportés par le même convoi alors que le débarquement allié en Normandie est imminent. Sélectionnés tous deux pour le travail on sépare David de Perla sur la rampe de Birkenau David ne supporte pas d’être sans nouvelles de sa femme, détenue, peut-être ; à quelques centaines de mètres seulement. À peine s’est-il fait une idée des lieux qu’il tente de s’évader pour la rejoindre. Il meurt sur les barbelés électrifiés sous les yeux des détenus qui tentaient de le retenir. Pour que sa mort serve de leçon aux nouveaux arrivants, les SS pendent son cadavre au milieu de l’allée qu’empruntent matin et soir les déportés allant au travail et en revenant. Son corps reste suspendu là plusieurs jours, peut-être davantage. C’est moins en pensant à sa sa mort qu’aux illusions qu’il n’avait pas eu le temps de perdre que les détenus l’ont surnommé le « pauvre petit David ».Aucun de ceux qui ont survécu à l’évacuation du camp, en janvier 1945, peu avant la libération par l’Armée rouge, n’a oublié le corps du « pauvre petit David » se balançant au-dessus des têtes. David avait trente-six ans.
Marcel Cohen, Sur la scène intérieure, Faits, Folio / Gallimard, 2015, p. 135-136.
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08/11/2018
Rolando Alberti, Magique, extrêmement
Érection
De petits flocons de neige
descendent du ciel gris
fondant à terre comme de petits désirs.
Tu es mon petit flocon de neige
une pente sans terre
un regard sans rencontre.
Être qui vécut dans ma petite éternité
voyageant dans les méandres comme la prière d’un dieu,
pensée qui devient chair
comme l’acte fécondateur
déesse ensorceleuse qui te montra dans l’autre
à l’homme en marche noyé dans les océans du temps.
Rolando Alberti, Magique, extrêmement, traduit de l’italien
par François Bordes, dans L’étrangère, n° 47-48, automne 2018, p. 167.
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07/11/2018
Terrance Hayes, Sonnets américains, traduction Guillaume Condello
Sonnet américain pour Wanda C.
Qui je sais sait pourquoi tous ces squelettes si sexy, ces filles éreintees,
Poussent des cris vers là où devrait être la lune, la paupière colmatée
Par sa clarté. Personne ne la voit sans ses créoles embrasées
Aux oreilles parce que personne ne voit rien.
Tatouée sur sa poitrine c’qu’elle clame
C’est EMMÈNE-MOI OÙ MON SANG COULE et je veux être emmenée
Là où je suis son fils, parqué dans l’ombre, lâchant la bride au calme
De la nuit, laissant le même sang s’embraser en moi. Dans sa coupe afro en pétard, implantés :
Des obus de tonnerre ; dans sa bouche : les doigts de quelque calamité,
Quelqu’un d’assez fou pour l’aimer follement. Ceux qui n’entendaient
Pas sa musique n’écoutaient pas – et dire ça, c’est comme clamer
Qu’elle est une élégie. Ça rime, à cause d’elle, avec effigie. À cause d’elle, entendez,
S’il n’y a pas de fumée, il n’y a pas de fête. Je pense à toi, Dame Calamité,
Chaque dimanche. Je pense à toi le lundi. Je pense à toi, ta souffrance envoyée
Vers là où devrait être la lune, entrant dans nos ténèbres, d’un pas lourd, calme.
Terrance Hayes, Sonnets américains, traduit de l’anglais (USA) par Guillaume Condello, dans Catastrophes, revue en ligne, novembre 2018, p. 12.
*
Catastrophes, revue amie annonce :
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13 poètes qui déménagent
256 pages de boum sonique*
15 euros au lieu de 20 euros
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Sortie prévue mi-décembre. Nous fêterons l'événement à la Maison de la Poésie, le 20 décembre 2018, avec des lectures et performance d'Ivar Ch'Vavar, Guillaume Condello, A.C. Hello et Pierre Vinclair. Votre souscription nous aidera à supporter le coût de l'impression (pour mieux en faire rompre la barrière*). Le livre, édité par Pierre Vinclair avec la collaboration de Guillaume Condello, Laurent Albarracin et Charles-Mézence Briseul, contient des textes et traductions inédites de :
Laurent Albarracin
Serge Airoldi
Fabrice Caravaca Dernier Télégramme
Ivar Ch'Vavar & Pierre Lenchepé
Guillaume Condello
Alexander Dickow
Joshua Ip
Clément Kalsa
Pierre Lafargue
Madeleine Lee
Julia Lepère & Fanny Garin
Pierre Vinclair
Eliot Weinberger
Phillip B. Williams
Cyril Wong
Si vous aimez Catastrophes mais ne pouvez pas souscrire, donnez-nous un coup de pouce en envoyant cet appel à souscription à vos amis susceptibles d'être intéressés.
Merci ! Euh... BOUM !
* "They break the print-barrier, as it were, and make their sonic boom within the ear" disait Seamus Heaney à propos de quelques poètes qu'il admirait...("Ils brisent la barrière de l'impression, pour ainsi dire, et viennent produire leur boum supersonique à l'intérieur même de l'oreille")
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06/11/2018
Édith Azam, PoOki c'est PoOnk, dessins Sylvie Durbec
PoOki copain ?
Tu prends un infini silence et une infinie volupté
tu prends une nuit noire qui a mangé ses étoiles
tu prends un feu de bois
des grains de sable
un grand cri d’oiseau
un homme et une femme-silex
Et là
là y a pas mal de chances
que lePoOki
tu l’apprivoises
Tu l’apprivoises et puis
qu’il te laisse poOner
poOponer à souhait !
Édith Azam, PoOki c’est PoOnk, dessins Sylvie Durbec,
Lanskine, 2018, p. 19.
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05/11/2018
Frédérique Germanaud, Intérieur nuit
L’aiguille de la pendule gonfle l’espace ou le rétrécit
Le début du jour manque
De précision
J’attends
Le changement de rythme
Le premier chant d’oiseau
La première ombre
À l’heure prévue rien ne se passe
J’ai raclé la nuit jusqu’à ces mots mal écrits
Il faut savoir rompre
Éteindre la lampe
Lever le camp
Mettre la nuit
Dehors
À quoi se décide le jour
Frédérique Germanaud, Intérieur nuit, le phare du cousseix, 2018, p. 14.
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04/11/2018
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Carnets 1949-1955
On ne peut pas tout le temps manger, dormir comme les plantes que je vois ondoyer à travers la fenêtre. « Ondoyer », minime satisfaction imaginaire. Juste ce qui suffit pour m’empêcher de me tuer.
Jouissance bornée. On ne peut pas écrire des poèmes qui donnent de la jouissance. Ils deviennent incompréhensiblement faibles, s’étiolent immédiatement. La nourriture visible répugne. Les racines, les sources doivent être invisibles. Pas d’odeur de nourriture.
Dans le manque de satisfaction. C’est un travail de longue haleine.
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Carnets 1949-1955, Le bruit du temps, 2011, p. 5.
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03/11/2018
Paul de Roux, Entrevoir
Les chats
Entre leurs regards jaunes, leurs bâillements
chats assis sur la table, sur les papiers
ou dressés, hiératiques, comme les chevaux d’ivoire
mais contre lesquels on peut poser la tête
l’oreille contre leurs flancs soyeux et tièdes
eux se lèchent les pattes, apparemment
indifférents à la sottise de nos peines :
un preste coup de patte renverse
si promptement rois et cavaliers !
Parmi eux passe encore l’ombre des grands arbres
où ils s’étiraient à la brise du soir.
Paul de Roux, Entrevoir, préface de Guy Goffette,
Poésie / Gallimard, 2014, p. 167.
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02/11/2018
Au bord de l'étang
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01/11/2018
Sanda Voïca, Trajectoire déroutée : recension
Quand l’être aimé disparaît à jamais, rien ne comble l’absence, les mots de deuil ne peuvent que dire le vide qui s’est créé, la douleur de la perte. Ici, la "trajectoire déroutée" est celle d’une jeune femme à qui est dédié le livre, la fille de l’auteure, décédée à 21 ans en 2015. Le livre d’un bout à l’autre dit la souffrance éprouvée, impossible à apaiser parce que pour toujours la fille disparue est devenue « inatteignable ».
L’absence — le mot revient plusieurs fois — est d’autant plus difficile à supporter que le visage de la jeune fille est sans cesse présent, que la vie passée avec elle n’a pas à être oubliée ; la faille entre aujourd’hui et hier, entre présence et absence, ne peut être comblée et tout essai de reconstruire un ordre acceptable échoue : « Que faire de la fille disparue ? / Je la mets ci, / Je la mets là, / Jamais à la bonne place. », « Sans place. Sans endroit. » À la fille s’est substitué le vide, ainsi l’escarpolette au « fer rouillé » se balance-t-elle sans personne, jusqu’à ce que la narratrice s’y installe. Ainsi le temps météorologique n’est plus perceptible qui ne renvoie plus à des activités partagées, à des projets, « Il n’y a plus qu’une saison, / celle de son absence », et la succession même du jour et de la nuit est remise en question puisque « Le soleil roule / sur la rue étroite, la nuit ». Au désordre du temps et de l’espace répond celui du corps.
Tout se passe comme si les repères les plus courants de l’existence s’étaient dissous, à commencer par la conscience du corps et de ce qui lui est proche. La perte de l’Autre provoque la perte de soi et, dans l’imagination, le corps change de forme (« mon corps gonfle »), n’habite plus l’espace, devient « baudruche géante / errante ». Gigantisme de la paume qui se fait alors protectrice de la nuit, gigantisme du corps entier et le monde alors est « en bas », modification des doigts, bientôt « sourds et aveugles », ou métamorphose en insecte (« Mes élytres frémissent »). En même temps, l’environnement perd ses caractéristiques familières, des algues rouges apparaissent dans le jardin et les pierres du jardin prennent l’aspect de pierres tombales. Le seul souvenir de la disparue suffit à tout désorganiser, il ravive sans cesse la douleur et empêche le retour à un état d’équilibre — « je me défais en morceaux », dit la narratrice quand l’image de sa fille ressurgit. En outre rien, dans ce monde qui s’est déréglé, n’accueille la douleur, « Chemin ou serpent / La même menace ». Une esquisse de mise à l’écart de la disparition, avec l’emploi de « la fille », « la jeune fille », est difficile à maintenir, et Sanda Voïca écrit, dans la dernière partie du livre, « Ma fille — elle mon talon ».
Il n’y a pas ici incapacité à éloigner le désordre, mais accepter le fait de vivre « Un monde d’avant et d’après / toute mort » exige en premier lieu de « sortir du jour où la fille revient, / sortir de sa nuit qui est la mort ». Cela peut-il se faire par l’écriture ? Le lecteur peut toujours le penser, qui tourne les pages, mais si le livre publié tient sans doute à distance pour son auteure le drame vécu, il ne l’annule pas : au cours de son élaboration, « la douleur ronge / les crayons / les feuilles / mon clavier », et il faut lentement redonner de la chair aux « mots évidés ». Cela est d’autant plus difficile que la mort de la fille a suscité le souvenir de paradis perdus, des caresses anciennes, images de l’enfance elle aussi disparue, images de la neige ou d’une alouette — tout ce qui surgit que l’on croyait complètement dans l’oubli.
Chaque page écrite est certainement une « fenêtre / vers une vallée » et Trajectoire déroutée, qu’il faut lire comme un long poème fragmenté, est à sa manière un chant de vie ; « J’ai vu le noir se répandre », écrit Sanda Voïca, mais elle a su écarter par l’écriture ce que cela a de négatif.
Sanda Voïca, Trajectoire déroutée, Lanskine, 80 p., 14 €.Cette note a été publiée par Sitaudis le 5 octobre 2018.
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