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16/01/2013

Georges Perec, Un homme qui dort

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   Tu es seul, et parce que tu es seul, il faut que tu ne regardes jamais l'heure, il faut que tu ne comptes jamais les minutes. Tu ne dois plus ouvrir ton courrier avec fébrilité, tu ne dois plus être déçu si tu n'y trouves qu'un prospectus t'invitant à acquérir pour la modique somme de soixante-sept francs un service à gâteaux gravé à ton chiffre ou les trésors de l'art occidental.

   Tu dois oublier d'espérer, d'entreprendre, de réussir, de persévérer.

   Tu te laisses aller, et cela t'est presque facile. Tu évites les chemins que tu as trop longtemps empruntés. Tu laisses le temps qui passe effacer la mémoire des visages, des numéros de téléphone, des adresses, des sourires, des voix.

   Tu oublies que tu as appris à oublier, que tu t'es, un jour, forcé à l'oubli. Tu traînes sur le boulevard Saint-Michel sans plus rien reconnaître, ignorant des vitrines, ignoré du flot montant et descendant des étudiants. Tu n'entres plus dans les cafés, tu n'en fais plus le tour d'un air soucieux, allant jusque dans les arrière salles à la recherche de tu ne sais plus qui. Tu ne cherches plus personne dans les queues qui se forment toutes les deux heures devant les sept cinémas de la rue Champollion. Tu n'erres plus comme une âme en peine dans la grande cour de la Sorbonne, tu n'arpentes plus les longs couloirs pour atteindre la sortie des salles, tu ne vas plus quêter des saluts, des sourires, des signes de reconnaissance dans la bibliothèque.

 

   Tu es seul. Tu apprends à marcher comme un homme seul, à flâner, à traîner, à voir sans regarder, à regarder sans voir. Tu apprends la transparence, l'immobilité, l'inexistence. Tu apprends à être une ombre et à regarder les hommes comme s'ils étaient des pierres. Tu apprends à rester assis, à rester couché, à rester debout. Tu apprends à mastiquer chaque bouchée, à trouver le même goût atone à chaque parcelle de nourriture que tu portes à ta bouche. Tu apprends à regarder les tableaux exposés dans les galeries de peinture comme s'ils étaient des bouts de murs, de plafonds, et les murs, les plafonds, comme s'ils étaient des toiles dont tu suis sans fatigue les les dizaines, les milliers de chemins toujours recommencés, labyrinthes inexorables, texte que nul ne saurait déchiffrer, visages en décomposition.

 

Georges Perec, Un homme qui dort, 10/18, 1976 [Denoël, 1967], p. 68-71.

15/01/2013

Marie Étienne, Haute lice

Marie Étienne, Haute lice, jeu des sons, allusions, Lewis Carroll,




Rien de plus efficace que l’exergue tiré de Rimbaud, « Moi, j’ai toujours été stupéfait ! Quoi savoir ? » ("Remembrances du vieillard idiot") pour lire ce livre singulier ; c’est dire d’entrée de jeu que le lecteur aura à construire quelque chose — donc à lire ; « Faut-il tout dire afin qu’un jour il ne reste plus rien que la lucidité ? » (p. 124) : certes non. Haute Lice est partagé en sept ensembles de courtes séquences et se ferme sur une postface bien en relation avec l’exergue, sorte de "mode d’emploi" où l’auteur esquisse une poétique : « À proprement parler, le sens ne compte pas vraiment, ou bien ni plus, ni moins, que la sonorité, le rythme et le suspens, c’est ainsi que les choses se passent. » (p. 171) De quoi s’agit-il pour que le lecteur n’ait pas à se préoccuper du sens ?

                  Les ensembles sont liés grâce à la présence du début à la fin d’un personnage, Ava, c’est-à-dire Ève, narratrice des brefs récits dans lesquels elle a un rôle ; ajoutons qu’elle-même devient à l’occasion auteur : « Pour vaincre la tristesse, je m’inventais des fables troubles, dont j’ignorais la signification. » (p.20) Autrement dit, dans cet emboîtement les histoires ne se distinguent pas les unes des autres. Elles mettent en scène Ava, de l’enfance à l’âge adulte, et de nombreux personnages qui n’apparaissent qu’une fois, comme Joachim l’Italien ou Seringa le chimpanzé, ou reviennent à intervalles réguliers, comme Stone (mari d’Ava) ou Nel. Tous font n’importe quoi, le n’importe quoi ne pouvant être toujours défini, et leur apparence même n’est pas fixe. Ainsi, Ava, dans un récit est exhibée au bout d’une laisse, serait-ce dans un cirque ?, et le lecteur retrouve cette laisse bien plus loin, cette fois Ava peut-être sous une forme animale : « La laisse de ma mère, de mauvaise qualité, va céder sous mes crocs. » (p. 117)


Tout peut arriver : les oiseaux ont des dents, des fillettes sont dans des cages suspendues pour le plaisir des curieux, Ava perd sa mère dans un train ou reçoit devant sa porte « face cachée, nuque exposée, une tête sans corps » (p. 94). On multiplierait les exemples, mais ce serait recopier Haute Lice…Si une partie du livre évoque un lieu désigné par Lajenès (à lire "la jeunesse", en créole haïtien), la narratrice se trouve aussi à Paris, monte dans un étrange autobus aux vitres aveugles qui l’emporte nulle part, « dans le milieu d’une étendue d’eau grise, crêtée de loin en loin par une touffe d’herbe. » (p.166) Le lecteur renonce vite à la tentation d’organiser le tourbillon des changements d’apparence, de chercher quelque équilibre dans des récits qui, si minuscules soient-ils, le conduisent dans l’inexploré. On verrait aisément un monde à la Lewis Carroll, une Alice dans Ava, et l’auteur semblerait nous engager dans cette voie, mais il l’exclut immédiatement :  
 
            Petite sœur me conduit au miroir.
            —Passe derrière, me dit-elle.
—Eh, quoi, ne me conduiras-tu ?
Elle rit, fleur goyave. (p. 124)
 
 
 
Le monde de Lewis Carroll a ses lois, qui relèvent somme toute d’une certaine logique, celui de Marie Étienne, qu’on pourrait lire comme relevant uniquement du rêve, est pour beaucoup un univers de mots, j’y reviendrai. 
Cependant Le monde de Lewis Carroll a ses lois, qui relèvent somme toute d’une certaine logique, celui de Marie Étienne, qu’on pourrait lire comme relevant uniquement du rêve, est pour beaucoup un univers de mots, j’y reviendrai. 
            Cet univers n’est pas totalement coupé de l’Histoire ; on y croise par exemple un maçon « admonesté et sous-payé comme c’était la coutume » (p. 39), et les femmes, qui savent distinguer la satisfaction du désir sexuel et l’amour, peuvent surtout être elles-mêmes par le rêve ou l’écriture ; « Je commençais d’écrire c’est-à-dire de migrer vers mes terres intérieures « (p. 75) indique Ava. Mais quand elle entend bien refuser d’être dans le temps (« Je refuse de survivre à l’instant annulé en m’accrochant avide aux basques du suivant »), sa sœur se moque d’elle : « Allons, allons, tu racontes des histoires ! » L’Histoire est présente aussi par les allusions littéraires ; par exemple, "La Ravaudeuse" évoque Margot la Ravaudeuse de Fougeret de Monbron et "Nel" peut-être un personnage de Fin de partie de Beckett, "Marigda" est sans doute une allusion au livre de Viviane Forrester Le corps entier de Marigda, etc. Quant au premier récit, "La dictée", dans lequel Ava se laisse aller à uriner  en classe au point que le liquide forme une grande mare, sans d’ailleurs que l’institutrice s’étonne outre mesure, il renvoie directement à "Remembrances du vieillard idiot" et donc à l’exergue :
 
[…] Quand ma petite sœur, au retour de la classe,
[…] Pissait, et regardait s’échapper de sa lèvre 
D’en bas, serrée et rose, un fil d’urine mièvre… !
 
            La postface introduit un jeu entre lice et lisse, d’où les termes techniques de peausserie lisser et chagriner ; dans les deux cas, le travail de l’artisan — la tapisserie, montage complexe de fils, la préparation des peaux — permet de passer d’une apparence à une autre : impossible de reconnaître dans l’œuvre achevée les matériaux travaillés. Et c’est heureux. De même, les mots sont associés non pas comme dans une fatrasie, mais pour construire des ensembles pas encore vus, pas encore imaginés, pas du tout impossibles … puisqu’ils sont décrits. Voici par exemple le début d’une scène dans la loge d’une maison d’Ava :
 
« La femme est belle, moi je sucre, elle a les doigts qu’il faut, on lui en mangerait son cratère de plaisir, d’autant qu’elle sait ce qui convient : détecter en dansant mais sans colle ni buée les écrans de fumée qui séparent du bleu, et lire dans les yeux le tintamarre des culs. » (p. 97)
 
Le seul changement de position des mots (qui entraine modification du statut grammatical) produit des effets, ainsi dans ce passage : « or voilà que la terre se bombe, or voilà que les bombes se terrent » (p. 30) ; on notera les nombreux jeux avec les sons, minuscules (« je suis en pantalons, pantoise ») ou non : Ava aime une femme qu’elle nomme "Missive" ou "Mélisse" ou "Réglisse", noms qui portent le sens « de délice (ou supplice ?) », et il n’est pas surprenant que la rivale de cette femme ait pour nom "Céline" — la finale ne peut entrer dans la série….Au jeu des sons s’allie le rythme ; on prendra plaisir à entendre le mouvement de la voix dans ce passage :
 
« Musique en fête, en tête, en crête, en kiosque, en dents calquées sur les montagnes, en tournevis, en tour de roue, musique saoule sur les terrains poudreux, éclatée à dessein, flûtes en verve. Musique verte. (p. 80)
           
Il y a dans Haute Lice un amour de la langue (comment dire autrement ?) que l’on voudrait plus répandu, une jubilation que l’on partage sans peine, un humour constant — et une manière malicieuse de l’auteur d’être présente : "Marie" et "Ava/Ève" sont deux origines culturelles, et ne reconnaît-on pas "Marie" dans les noms de personnages "Mariquido" et "Marigdar" ?
 
Marie Étienne, Haute lice, José Corti, 2011.

Paru dans Les Carnets d'eucharis en 2011.

 

14/01/2013

Paul Valéry, "Littérature", Œuvres II

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   Dès qu'un écrivain est bon pour beaucoup de gens je me méfie de lui comme je me méfie de beaucoup de gens. (1901)

 

   Il faut, pour faire un roman, être assez bête afin de confondre les ombres simplifiées (qui seules se peuvent décrire et mouvoir) avec les vrais personnages humains — qui sont toujours insusceptibles d'un point de vue unique et uniforme. C'est en quoi la poésie pure est supérieure à la prétention du romancier moderne : elle comporte moins d'illusion. (1910)

 

   L'évolution de la littérature moderne n'est que l'évolution de la lecture qui tend à devenir une sorte de divination d'effets au moyen de quelques mots vus presque simultanément et au détriment du dessin des phrases.

   C'est le télégraphisme et l'impressionnisme grossier dû aux affiches et aux journaux. L'homme voit et ne lit plus. (1918-1919)

 

   Le roman répond  à un besoin bien plus naïf que le poème — Car il demande croyance, crédulité, abstention de soi — et le poème demande collaboration active. (1926-1927)

 

Paul Valéry, "Littérature", dans Cahiers, II, édition établie, présentée et annotée par Judith Robinson, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1974, p. 1147, 1158, 1183, 1206.

13/01/2013

Jean Tardieu, Margeries, poèmes inédits 1910-1985

Jean Tardieu, Margeries, devinette, le langage

                                                  À deviner

 

— Est-ce que c'est une chose ?

— Oui et non.

­— Est-ce que c'est un être vivant ?

— Pour ainsi dire.

— Est-ce que c'est un être huain ?

— Cela en procède.

— Est-ce que cela se voit ?

— Tantôt oui, tantôt non.

— Est-ce que cela s'entend ?

— Tantôt oui, tantôt non.

— Est-ce que cela a un poids ?

— Ça peut être très lourd ou infiniment léger.

— Est-ce que c'est un récipient, un contenant ?

— C'est à la fois un contenant et un contenu.

— Est-ce que cela a une signification ?

— La plupart du temps, oui, mais cela peut aussi n'avoir aucun sens.

— C'est donc une chose bien étrange ?

— Oui, c'est la nuit en plein jour, le regard de l'aveugle, la musique des sourds, la folie du sage, l'intelligence des fous, le danger du repos, l'immobilité et le vertige, l'espace incompréhensible et le temps insoutenable, l'énigme qui se dévore elle-même, l'oiseau qui renaît de ses cendres, l'ange foudroyé, le démon sauvé, la pierre qui parle toute seule, le monument qui marche, l'éclat et l'écho qui tournent autour de la terre, le monologue de la foule, le murmure indistinct, le cri de la jouissance et celui de l'horreur, l'explosion suspendue sur nos têtes, le commencement de la fin, une éternité sans avenir, notre vie et notre déclin, notre résurrection permanente, notre torture, notre gloire, notre absence inguérissable, notre cendre jetée au vent...

— Est-ce que cela porte un nom ?

— Oui, le langage.

 

Jean Tardieu, Margeries, poèmes inédits 1910-1985, Gallimard, 1986, p. 297-298.

12/01/2013

Camille Loivier, Nausicaa de la vallée du vent

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  Nausicaa de la vallée du vent

 

                                                     en souvenir de Zia

 

Un endroit sans intérêt dans un endroit

étranger

on en imagine tant

des villes moyennes avec parfois

un seul élément qui retient l'attention

 

un bord de fleuve un peu sale mais

qui donne envie d'approcher

 

un arbre seul près d'une route

entourée de champs

une maison

 

on a du mal à empêcher

un pincement au cœur

— être là pour rien —

une vie a-t-elle tant d'importance ?

 

le partage dont on rêve

un chien dans la paille mouillée

se meurt

l'âne braie dans le pré

avec une belle tarte aux pommes

 

la gourmandise

jusque dans les larmes

qui tombent sur le poil

à pas savoir quoi

le calme de la certitude

se perd dans l'espoir qui rend fou.

 

Camille Loivier, dans Contre-allées, n° 29-30,

automne-hiver 2011, p. 32-33.

 

11/01/2013

Giorgio Caproni, Le Mur de la terre

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          Condition

 

 

Un homme seul,

enfermé dans sa chambre.

Avec toutes ses raisons.

Tous ses torts.

Seul dans une chambre vide,

à parler. Aux morts.

 

           Condizione

 

Uno uomo solo,

chiuso nella sua stanza.

Con tutte le sue ragioni.

Tutti i suoi torti.

Solo in una stanza vuota,

e parlare. Ai morti.

 

                                  *

 

              L'emmuré

 

« Vous m'avez fusillé

la bouche », dit-il. « J'ai tant

aimé (id est cherché

l'amour que je me retrouve

maintenant emmuré

dans cette tour. Au-dehors

est le désert du soleil,

des orties — le gel

ébloui du jour

est le glacier. À l'intérieur,

sur mon égoïsme

tout entier rimé, le four

aveugle de mon altruisme

effaré et non regretté. »

 

                 Il murato

 

« M'avete fucilato

la bocca, » disse « Ho tanto

amato (idest cercato

amore) ch'ora

io mi trovo murato

in questa torre. Fuori,

è il deserto del sole

e delle ortiche — il gelo

abbagliato del giorno

sul ghiacciaciaio. Dentro,

rimato tutt'intero

col mi egoismo, il forno

cieco del mio sgomentato

illacrimato altruismo. »

 

Giorgio Caproni, Le Mur de la terre, traduit de l'italien

par Philippe Di Meo, Atelier La Feugraie, 2002, p. 25

et 24, 113 et 112.

10/01/2013

Yanette Delétang-Tardif, Vol des oiseaux

Yanette Delétang-Tardif, Vol des oiseaux, oiseau de nuit

                          Oiseau de nuit

 

Seul, il s'envole dans la nuit

Plus lourd que l'ombre qui le porte,

Près du vent, du froid, des mortes,

À la recherche du cristal du jour...

Mais la nuit est plus grande que la lumière,

La pulsation des ailes,

Cette peut ne pourra te fermer les paupières ;

Un vol a mordu les ténèbres,

Troué les forêts, les nuages,

Creusé le paysage...

Il tourbillonne autour des mondes,

Autour des nuits, autour des mers,

Aspiration de gouffre vers

La monstrueuse sonde,

Seuil de l'attente humaine, cœur

Que nulle aurore ne soulève,

Ailes glacées de la peur d'elles-mêmes,

Mains voyantes du rêve, Cœur blessé du sommeil !

 

Yanette Delétang-Tardif, Vol des oiseaux, Aristide Quillet,

1931, p. 63-64.

 

09/01/2013

Michel Deguy, Poèmes de la presqu'île

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                                   Le pommier

 

  J'ai attendu, comme un amant aux champs prend rendez-vous sous le pommier rigide, et dans l'herbe qui jaunit, attend tout l'après-midi sous des tonnes de nuages. L'amante ne vient pas.

 

   Ce qui est rien, peut-il être entouré en l'âme et ainsi deviné — margelle des poignets tordus ; tresse des yeux de plusieurs amis en rond ; spirale des croassements qui vrillent, défoncent ; anneau de voix ; mon mal, mon mal, transcendance qui irrompt, jetant à terre ici le fourbu geignant de cette naissance, déposé, Ulysse rustique (il chasse les poules ataxiques) aux yeux charnus, du vent plein la face, l'évanoui qui ne cesse « où suis-je, où suis-je ? » Faire mémoire de ce don des choses prudentes qui tâtonnent sur la mince couche de glace du monde.

 

   Sous un pommier charmant, étendu mais trop bavard pour le poème (pourtant la marée grimpe dans les branches basses cherchant un nid dans l'abri vert), est-ce notre lot de ne plus avoir à méditer que des conflits d'hommes ?

 

Michel Deguy, Poèmes de la presqu'île, collection "Le Chemin", Gallimard, 1961, p. 40-41.

08/01/2013

Philippe Beck, Poésies didactiques

 

Et la prose

 

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Prose :

de la masse absorbante

supposant trop les nerfs

fragiles de l’enfantine poésie ?

De la poésie enfantine d’aujourd’hui ?

Véhicule insouciant

véhiculé.

Ce qui est serré

et qu’aère la poésie,

ou la trame sérieuse

de la vie dont les mailles

sont assouplies ou bien relâchées

par de la poésie oxygénée ?

 

La vertu est prose,

et l’innocence est poésie ?

Hum.

Le monde des corps est prosaïque

et l’espace est poème du commencement,

puis, quand formé, p. de la fin ?

Donc, la santé vraie est prose ?

Et la poésie médicament ?

Mais la santé absolue

est absolument prosaïque,

et il n’y a plus la poésie

si tout est santé

paradisiaque (hypothèse d’alcool),

car les divertissements règnent

là-bas, sans délai.

Là-bas = absolu pays des jouets.

Des poupées.

Le Non

au pur devoir de diversion

est un problème musical.

De la médecine musique.

 

Philippe Beck, Poésies didactiques,

Théâtre typographique, 2001, p. 119.

07/01/2013

Aurélie Loiseleur, Gens de peine (à paraître aux éditions NOUS)

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                                               Tailleurs de noms 

                                               I.

 

 

                            Gens courants

sont tout chose                         

                             Gens connus

pour obéir augmentent l’obscurité en se multipliant                            

                             Gens fameux

pour s’effacer se voient oubliés sans appel                           

                             Gens brillants       

rêvent d’être élus réputés aussi célèbres que Soleil

 

                              éteints jamais ne seront renommés  

  

 

                                       II.

 

 

                 Jean statue

 

                            « autrui me dénomme tu aussi je tais mon nom qui suis je

 

on me pronomme on

je proteste « j’ai quelqu’un » 

                              acte échoué

on me dénonce comme personne 

 

je pense que je pense que je pense que je pense que je                                                   

suis qui suis-je

je me suis surpensé aujourd’hui 

 

je somme « existez-moi » 

rien à faire  

je suis compris dans la masse

d’on tous

 

(oh que mon on

me plombe / aucune ombre

n’est plus lourde à porter) »  

 

                    

                                    III.

                           

 

Gens de peu portent devant eux le beau nom ombreux

allons qu’on se prosterne à la queue   

 

                                                   font courir la rumeur

« c’est Jean-Luc Delarue animateur » excite

les molécules du Grand Public fabrique

des visages à base de regards 

 

Gens se battent contre les anonymaux histoire

de 

  

à la fin certains ont du nom éclatant en Pays de Gloire                        

                                                    la dit-on mort leur profite

à moins de porter le coup fatal

 

                                             Noms sont insignifiants

 

 

                                     IV.

 

 

Madame Magloire se produit au Théâtre de l’Éphémère

 

Gens sans pitié se taillent un nom au jugé  

dans la masse musculeuse

                                       aspirent à n’être

que noms (corps seconds costumes ami-

donnés) les gênent aux entournures

de la condition         

 

majesticulent à se démettre (tant

ce sont des on) Gens reculés

pour être distingués coûte

que coûte se masculent

                                                laissent traîner leurs fils font sauter

les coutures

                                                                               membres les dé-

                                                                               mangent à la naissance

                                                                               du nom se défont  

 

                     Aurélie Loiseleur, inédit, à paraître dans Gens de peine,

                      aux éditions NOUS en 2014.

 

 

 

 

 

 

06/01/2013

James Joyce, Poèmes, traduction Jacques Borel

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Ma colombe, ma belle,

   Lève-toi, lève-toi !

   La rosée d ela nuit

Mouille mes yeux, mes lèvres.

 

Les vents embaumés tissent

   Tout un chant de souirs !

Lève-toi, lève-toi

Ma colombe, ma belle !

 

Je t'attends près du cèdre,

   Ma sœur et mon amour.

   Sein pur de la colombe

Mon sein sera ta couche.

 

La pâle rosée couvre

   Ma tête comme un voile.

   Ma blonde, ma colombe,

Lève-toi, lève-toi !

 

 

My dove, my beautiful one,

   Arise, arise !

   The night-dew lies

Upon my lips and eyes.

 

The odorous winds are weaving

   A music of sight :

   Arise, arise,

My dove, ma beautiful dove !

 

I wait by the cedar tree,

   My sister, my love.

   White breast of the dove,

My breast shall be your bed.

 

The pale dew lies

   Like a veil on my head.

   My fair one, my fair dove,

Arise, arise !

 

 

James Joyce, Poèmes, édition bilingue,

poèmes traduits de l'anglais et préfacés

par Jacques Borel, Gallimard, 1967,

p. 43 et 42.

05/01/2013

Marie Étienne, Le Livre des recels

Marie Étienne, Le Livre des recels, la laide, rêverie

Journal sans bords, 1975-1978

 

1                                                                                 LA LAIDE

 

   Amère, amère. Retombée de citron. Elle est celle qui s'éprend de l'heure reine tôt vécue.

 

   Et marcher dans cette ouate imbibée, quel retard !

Les arbres sans racines se sont trompés de terre, leurs feuilles s'engloutissent, s'engloutissent, n'ayant rien d'autre à espérer. Les pierres sont devenues montagnes, elles-mêmes devenues carnaval incertain que chacun se balance à la tête.

 

   « Ma rivière calme dans sa fête, l'air carnassier, Mère des Trois Pays, ça cogne dans ta tête, tu crois que c'est à la fenêtre.

   Va-nu-pieds sur la digue, sur la digue don daine, tu traînes, corps vautré.

   Sang coulé n'a pas d'odeurs, le tien si car de menstrues.

   Les comptines sont là pour toi, crevasses en sus. »

 

  2

 

   Un homme a sa fenêtre compte les notes disposées sur les fils électriques, tandis qu'un train, si train il y a, refuse sa chanson aux moines paysans qui déversent aux champs leurs surplus de prières ; tandis que les gendarmes prennent la cuisinière en flagrant délit de masturbation.

 

   Ça c'est un à-côté, rien de commun avec la laide, qui s'enfuit en cachant sa pensée, toute rouge dressée, et poursuivie par des soldats casqués en vue de ce travail.

 

   Revêches sont les cerisiers, les épaules, les villages.

 [...]

 Marie Étienne, Le Livre des recels, Poésie / Flammarion, 2011, p. 121-122.

 

                                      

04/01/2013

Paul Éluard, Dignes de vivre

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                La dernière nuit

 

                           I

 

Ce petit monde meurtrier

Est orienté vers l'innocent

Lui ôte le pain de la bouche

Et donne sa maison au feu

Lui prend sa veste et ses souliers

Lui prend son temps et ses enfants

 

Ce petit monde meurtrier

Confond les morts et les vivants

Blanchit la boue gracie les traitres

Transforme la parole en bruit

 

Merci minuit douze fusils

Rendent la paix à l'innocent

Et c'est aux foules d'enterrer

Sa chair sanglante et son ciel noir

Et c'est aux foules de comprendre

La faiblesse des meurtriers.

 

                              II

 

Le prodige serait une légère poussée contre le mur

Ce serait de pouvoir secouer cette poussière

Ce serait d'être unis.

 

                              III

 

Ils avaient mis à vif ses mains courbé son dos

Ils avaient creusé un trou dans sa tête

Et pour mourir il avait dû souffrir

Toute sa vie

 

                                IV

 

Beauté créée pour les heureux

Beauté tu cours un grand danger

 

Ces mains croisées sur tes genoux

Sont les outils d'un assassin

 

Cette bouche chantant très haut

Sert de sébile au mendiant

 

Et cette coupe de lait pur

Devient le sein d'une putain.

 

 [...]

 

Paul Éluard, Dignes de vivre, nouvelle édition

revue et augmentée illustrée par Fautrier,

éditions littéraires de Monaco, 1951, p. 45-49.

03/01/2013

Ariane Dreyfus, La lampe allumée si souvent dans l'ombre

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"La poésie quand nous la faisons"

 

Moi peu importe

 

   « C'est moi ? » Dès que j'écris, cette question ne se pose plus.

   « Qui est-ce ? » Écrire sans le savoir, sans vouloir le savoir.

   Je mets JE si je veux dire « ici maintenant », face au vide donc, et IL ou ELLE pour reculer de quelques pas, inscrire de la présence dans un cadre ou un paysage. De quelque côté que j'écrive, j'y vais avec ce que j'ai et aussi ce que je n'ai pas.

   Un jour, j'ai entendu dans un film1 « Le passé, ce n'est pas ce qui a disparu, c'est ce qui t'appartient », phrase qui m'a bouleversée. Car j'entendais : « Ton passé, il sera ce que tu en fais en ce moment ». Je vis dans le faire, dans un certain volontarisme, énormément. Ainsi n'ai-je vraiment conscience que du présent,  présenr que je ne suis pas seulement en train de vivre, mais d'élaborer. Écrire y contribue. Ce qui fait que je reviens assez souvent à l'enfance, comme on replonge le pinceau dans l'eau pour continuer à peindre, l'enfance étant le moment de l'attente sans bords. Mais attente qui agit : joue. En effet, toute création est un jeu, c'est-à-dire mise à distance du réel pour ne pas constamment le subir, dans une minutie qui peut sembler folle à qui n'y entre  pas. L'enfance étant à la fois l'irréparable et l'espoir, je ne vois pas comment j'écrirais dans un esprit qui ne serait pas d'enfance. Et comme le temps ne s'arrête pas, je ne cesse de poser et reposer cette question : « Est-il trop tard ? », d'où, pour y répondre, mes nombreuses réécritures du Petit Poucet sur lequel s'ouvre d'ailleurs mon premier vrai livre : Les Miettes de décembre. Figure récurrente, et quand j'ai réalisé à quel point, j'ai entrepris de lui offrir un livre entier : La Terre voudrait recommencer. Il est pour moi celui qui ne renonce jamais, celui qui parvient toujours à trouver un chemin, au-delà de l'abandon répété par des parents absurdes, au-delà de l'indifférence des oiseaux qui sont dans leur ciel, au-delà de l'ogre qui aurait pu faire que tout s'arrête. Il trouve toujours une issue ; le conte s'achève d'ailleurs sur des bottes qu'il chausse. Trop grandes ? Non, du seul fait qu'il prenne l'initiative, sans se poser de questions, d'y mettre les pieds, elles lui vont !

   Une des questions les plus justes de l'état  dans lequel on est quand on se lance dans l'écriture d'un poème est donnée par Barthes quand il parle de l'écriture d'une lettre d'amour : « Ce que l'amour dénude en moi c'est l'énergie. Tout ce que je fais a un sens (je puis donc vivre, sans geindre), mais ce sens est une finalité insaisissable : il n'est que le sens de ma force. Les inflexions dolentes, coupables, tristes, tout le réactif de ma vie quotidienne est retourné2 ». J'écris pour ressentir — vérifier ? — que j'ai encore envie.

 

Ariane Dreyfus, La lampe allumée si souvent dans l'ombre, José Corti, 2012, p. 85-86.

© Photo Tristan Hordé.

 



1 Rois et reines d'Arnaud Desplechin.

2 Fragments d'un discours amoureux, "Affirmation".

02/01/2013

Eugène Delacroix, Journal

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    Pourquoi commencer la rédaction d'un Journal quand on a 26 ans et que l'on se voue à la peinture ? Dès les première lignes écrites en 1822, Delacroix se fixait un objectif : « Ce que je désire le plus vivement, c'est de ne pas perdre de vue que je l'écris pour moi seul ; je serai donc vrai, je l'espère ; j'en deviendrai meilleur. Ce papier me reprochera mes variations. ». Le projet de se contrôler, de s'éloigner du monde extérieur pour réfléchir sur le moi, échouera relativement vite puisque la rédaction sera interrompue après trois années et ne sera reprise qu'en 1847. Ce n'est plus alors le même Delacroix qui prend des notes dans des carnets. Il a une œuvre de peintre derrière lui, il a voyagé notamment au Maroc et en Andalousie, il a beaucoup lu, il est devenu selon Baudelaire (Salon de 1846) un « grand artiste, érudit et penseur » et son souci n'est plus de s'interroger sur son identité. Baudelaire encore, rendant compte de  l'exposition universelle de 1855, le définissait ainsi : «  Il est essentiellement littéraire [...] par l'accord profond, complet, entre sa couleur, son sujet, son dessin, et par la dramatique gesticulation de toutes les forces spirituelles vers un point donné ». Ce lien établi entre le littéraire et le pictural est un des motifs récurrents du Journal.

   Tourner autour de ce qui distingue la peinture de l'écriture répondait pour Delacroix au projet d'élaborer une écriture de peintre. Michèle Hannoosh analyse précisément en quoi il rompt avec les idées dominantes ; elle résume la théorisation faite au XVIIIe siècle par Lessing, pour qui la « temporalité de la littérature permet la narrativité, la causalité et donc l'unité » alors que la peinture, entière devant le spectateur, ne pourrait engendrer que des impressions confuses et sans ordre. Pour Delacroix, au contraire, le tableau donne en même temps la vue de la réalité et sa représentation expressive, ce qui provoque « une perception unie de la matière et de l'esprit », idée que souligne M. Hannoosh. Ces réflexions de Delacroix ont des rapports avec la manière dont il rédige son Journal. L'éditrice décrit les manuscrits comme un « document complexe, hybride, chaotique, labyrinthique » ; c'est que la construction du Journal donne au lecteur cette liberté qu'il a devant un tableau, sans suivre les règles d'un genre, règles vigoureusement rejetées dans tous les domaines : «  Sur la ridicule délimitation des genres. Rétrécit l'esprit. L'homme qui ne fait que le trou d'une aiguille toute sa vie ».

   Lisant le Journal, on se repère dans le temps grâce aux dates de rédaction, mais la chronologie est très souvent en défaut dans la mesure où Delacroix laisse parfois plusieurs jours entre ce qu'il a vécu et l'écriture, introduit dans son texte des documents (listes d'adresses, coupures de journaux, billets de chemin de fer, etc.), traces de la vie quotidienne à côté de ses développements sur son travail de peintre, sur ses rencontres, sur les événements. En outre, il renvoie régulièrement à un autre endroit de ses carnets, n'hésite pas à modifier ce qui a été écrit plusieurs mois auparavant et à le commenter.

   Ces pratiques brisent la narrativité et construisent une temporalité complexe ; éloignées de l'écriture habituelle du journal intime, elles aboutissent à multiplier les points de vue du lecteur, ce qui répond à l'idéal de Delacroix, qui notait qu'« Un homme d'esprit sain conçoit toutes les possibilités, sait se mettre, ou se met à son insu, à tous les points de vue ». Défendant sans cesse, à l'exemple de Montaigne, le caprice de la pensée, la nécessité de prendre en compte le caractère divers de l'esprit, il affirmait en moraliste « Il y a dix hommes dans un homme, et souvent ils se montrent dans la même heure ».  En outre, la réécriture de notes font du passé un matériau qu'il est possible d'utiliser dans le présent. La chronologie devient relative, ce qui importe alors est de penser un temps souple, sujet à variation : la continuité temporelle — c'est-à-dire la croyance au progrès ou à la décadence — est exclue, et Delacroix affirme à diverses reprises « la nécessité du changement. Il faut changer : Nil in codem statu permanent ».

   Ce point de vue implique que l'activité intellectuelle occupe une place importante. Certes, Delacroix vivait dans l'institution, fréquentait les cercles officiels, appartenait au Conseil municipal de Paris, mais il allait aussi au concert, à l'opéra, au théâtre, lisait ses contemporains français (Baudelaire, Sand, Balzac) ou non (Dickens, Poe, Tourgueniev), recopiait des extraits, et il écrivait « Je me suis dit et ne puis assez me le redire pour mon repos et pour mon bonheur — l'un et l'autre sont une même chose — que je ne puis et ne dois vivre que par l'esprit ; la nourriture qu'il demande est plus nécessaire à ma vie que celle qu'il faut à mon corps. » Noter ses impressions, c'est en les approfondissant développer ses idées, non pas pour "inventer" du nouveau, mais pour comprendre comment les exprimer de manière nouvelle. Cette vie de l'esprit a parallèlement un autre rôle, souvent souligné dans le Journal, lutter contre l'ennui ; Delacroix vit dans le siècle du chemin de fer, qui réduit les distances et fait "gagner" du temps, ce qui ne change rien au sentiment d'ennui que beaucoup éprouvent. Ces lignes de 1854, « Nous marchons vers cet heureux temps qui aura supprimé l'espace, mais qui n'aura pas supprimé l'ennui », font écho à cet aveu de 1824, « Ce qui fait le tourment de mon âme, c'est la solitude ».

   Écrire, c'est retenir ce qui est vite perdu, la mémoire ne pouvant tout emmagasiner ; un tri s'opère et la plus grande partie de ce qui est vécu, éprouvé, sombre dans l'oubli. Delacroix note à plusieurs reprises l'intérêt de pallier la faiblesse de la mémoire — « Il me semble que ces brimborions écrits à la volée, sont tout ce qui me reste de ma vie, à mesure qu'elle s'écoule ». Ne rien avoir noté,  c'est n'avoir pas existé... C'est la mémoire du Journal qui établit une continuité en fixant ce qui est par nature éphémère, l'expérience du temps, notre « passage d'un moment ». Pour le lecteur d'aujourd'hui, le Journal de Delacroix ne fait pas que livrer le visage d'un peintre, il est aussi un tableau varié et complexe, sans doute partial et lacunaire (et intéressant pour cette raison), de la vie de la bourgeoisie et de milieux intellectuels au XIXe siècle. Il est aussi très souvent l'ouvrage d'un moraliste, sans complaisance pour lui-même et sans illusion sur ses contemporains ; même s'il devient plus mesuré avec l'âge, il ne varie guère dans le jugement noté en 1824 : « Le genre humain est une vilaine porcherie ».

 

   Au Journal proprement dit, l'éditrice a ajouté une masse considérable de textes, qui donnent un éclairage indispensable pour la connaissance de Delacroix. Pendant la rupture d'un peu plus de vingt ans — interrompu en 1824, le Journal ne reprend qu'en 1847— sont écrites les pages du "Voyage au Maghreb et en Andalousie" et de très nombreux textes qui prolongent les réflexions du peintre : carnets et notes variées sur des peintres, des voyages, des lectures, des expositions, carnets et notes parallèles ensuite à la rédaction du journal jusqu'à la mort en 1863. Des pages de Pierre Andrieu, principal assistant de Delacroix et qui joua un rôle important dans la conservation du Journal, rapportent des propos du peintre. Outre les variantes du Journal (dont on connaît plusieurs copies), Michèle Hannoosh a préparé une série d'annexes qui font désormais de cette édition un grand ouvrage de référence, avec notamment un imposant répertoire biographique, un index des œuvres de Delacroix, un autre des noms de personnes, une bibliographie qui complète les indications données dans les notes. Les notes, quant à elles, abondantes et précises, apportent toutes les renseignements nécessaires à la compréhension d'une époque. 


Eugène Delacroix, Journal, nouvelle édition intégrale établie par Michèle Hannoosh, 2 tomes, José Corti, 2009.