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07/01/2013

Aurélie Loiseleur, Gens de peine (à paraître aux éditions NOUS)

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                                               Tailleurs de noms 

                                               I.

 

 

                            Gens courants

sont tout chose                         

                             Gens connus

pour obéir augmentent l’obscurité en se multipliant                            

                             Gens fameux

pour s’effacer se voient oubliés sans appel                           

                             Gens brillants       

rêvent d’être élus réputés aussi célèbres que Soleil

 

                              éteints jamais ne seront renommés  

  

 

                                       II.

 

 

                 Jean statue

 

                            « autrui me dénomme tu aussi je tais mon nom qui suis je

 

on me pronomme on

je proteste « j’ai quelqu’un » 

                              acte échoué

on me dénonce comme personne 

 

je pense que je pense que je pense que je pense que je                                                   

suis qui suis-je

je me suis surpensé aujourd’hui 

 

je somme « existez-moi » 

rien à faire  

je suis compris dans la masse

d’on tous

 

(oh que mon on

me plombe / aucune ombre

n’est plus lourde à porter) »  

 

                    

                                    III.

                           

 

Gens de peu portent devant eux le beau nom ombreux

allons qu’on se prosterne à la queue   

 

                                                   font courir la rumeur

« c’est Jean-Luc Delarue animateur » excite

les molécules du Grand Public fabrique

des visages à base de regards 

 

Gens se battent contre les anonymaux histoire

de 

  

à la fin certains ont du nom éclatant en Pays de Gloire                        

                                                    la dit-on mort leur profite

à moins de porter le coup fatal

 

                                             Noms sont insignifiants

 

 

                                     IV.

 

 

Madame Magloire se produit au Théâtre de l’Éphémère

 

Gens sans pitié se taillent un nom au jugé  

dans la masse musculeuse

                                       aspirent à n’être

que noms (corps seconds costumes ami-

donnés) les gênent aux entournures

de la condition         

 

majesticulent à se démettre (tant

ce sont des on) Gens reculés

pour être distingués coûte

que coûte se masculent

                                                laissent traîner leurs fils font sauter

les coutures

                                                                               membres les dé-

                                                                               mangent à la naissance

                                                                               du nom se défont  

 

                     Aurélie Loiseleur, inédit, à paraître dans Gens de peine,

                      aux éditions NOUS en 2014.

 

 

 

 

 

 

06/04/2012

Aurélie Loiseleur, extrait de Nomme

aurélie loiseleur,nomme,gens

 

                     Hôtel du Grand Miroir

 

La vie cloche

Donc donc

Gens s'adressent en masse

à la bête à bon Dieu

                 au Dieu à bon dos.

Ces syndiqués de la sainteté les voici comme

                                         je vous vois exprimer force revendications oratoires

par courrier timbré avec accusé de réception.

 

Sans répit frappent à la porte

                          à la Face principielle.

Est-ce qu'On zieute par le judas ? Le Grand Vacancier est-il

pas revenu ?

 

                                            Gens s'alpaguent

                                            se gueulent à contrevent :

                                            « Attendons-nous au Déluge ! »

 

Vacarme des vies sème la confusion.

Récolte sera cruelle.

Dans le malentendu font comme s'ils s'étaient dit entre on quelque chose à comprendre.

Gens c'est connu

ça se nourrit de queues d'absolu.

 

Gens de vaquer.

On foule.

On va       en colonie

On vire

vertigine sur talons.

On se récure la cavité buccale machinalement

on s'interroge.

On se couche.

On lit dans les signes.

Moutons béent. Doute demeure ;

bête espoir de réponse résonne      crucial.

 

[...]

 

Aurélie Loiseleur, extrait de Nomme (livre futur), dans

Fusées n° 20, éditions Carte blanche, 2011, p. 109-110.

13/10/2011

Aurélie Loiseleur, Gens de peine, Vieux jeux

Aurélie Loiseleur, Gens de peine, Vieux jeux

Gens de peine

 

Les Dénommés

 

Gens ne s’appellent pas

 

Gens ne naissent pas        

                                   sont mis bas

 

Gens va tous à l’Abreuvoir de coups à l’Abreuvoir de paroles pesamment

Gens laboure tous les jours Gens

danse la bourrée tous pesamment

 

Gens berçant des demain des doucement Gens

                                   muets mutilés de mots

 

Gens élèvent dans leurs organes des crabes mangeurs d’hommes                   

                                   quand certains meurent de pain

 

Gens puisent dans la pâtenôtre mange les noms du commun Gens ravalés                                    

                                   n’ont pas de quoi.

 

 

             

                      Vieux Jeux

 

 

 

Dit de Françoise Demoisson

 

 

« La nature a des sentiments lents.

Sans cesse il se passe des événements imperceptibles. Mais moi, je les sens. Il s’en passe sans arrêt. Par exemple quand le soleil nénupharde au milieu des nuages et des joncs. Eh bien c’est si précis qu’on peut y lire. On ne sait pas pourquoi il descend si bas. C’est comme ça. Il y a des lois. C’est comme mon amour, il ne disparaît jamais complètement du champ.

– Du soleil, toujours : est-ce qu’il peut en crever, s’il tombe ? Je n’en sais rien. Pourquoi me le demander à moi ? Vous avez des questions gênantes. Depuis le temps, vous auriez pu trouver d’autres solutions.

Je préfère ce que je ne connais pas. J’ai obtenu, par grâce spéciale, une dispense de sens. Le caché me convient à merveille. Ne dissipez pas les nuages. Donnez-moi une clarté qui ne résorbe rien des brumes ni des ombres. Je prends. Inventez-moi le monde comme il est. Ça me va. Faites-moi des dieux les plus discrets possible : qu’on doute de leur existence, qu’ils soient plus ténus que des grains de rien. Qu’on se demande toujours.

Est-ce caprice ? j’ai voulu qu’on convoque le vent, le vent qui beugle dans la conque d’oreille. Il se trouve qu’il veut crier quelque chose, quand on se concentre sur l’écoute. Au fond, c’est trop fort pour faire phrase. C’est au-delà : du souffle. Les machines n’ont pas la même façon de bruire. Elles n’ont pas de secret. 

Vous vous risquez, à peine nus, en plein dehors : vous entrez au musée Lambinet. Votre attention ! La lumière fait dans le velours. Ses peintres jouent du triangle d’or. Tout est en proportion : les perspectives s’activent gentiment pour vous servir. Il fait beau voir que des arbres se posent. Il arrive que les racines feuillent. Les rideaux respirent aux cintres bruts des branches. Des soulèvements les animent : ils rêvent. Ils rythment des scènes qu’ils ourlent de douceur, pour dédramatiser l’action du temps. Par parenthèse, est-il besoin d’autres événements ? Pourquoi reste-t-il du suspens dans une tragédie ? Je vous l’ai dit, je préfère ce que je ne comprends pas : je reste plantée là, à contempler mes questions. Ce sont de bons parents, quand on est grand. Elles me tiennent compagnie, me dévorent l’entre-dans et me nourrissent, on ne voit pas comment.

La mer déborde d’affection. Les poètes s’absorbent sans s’abîmer. Ils suivent leur cours de destin. Des oiseaux jouent tout haut du pipeau. Les pins parasols redoublent les chapeaux des dames offertes cuites, pendant que des enfants sculptent le sable des dunes : détruisant leur œuvre d’un grand coup de pied à la fin… Ils sont si riches ! 

Je vous le disais tout à l’heure : il y a des lois. Tout se vérifie. C’est précis, l’immensité ! Et ce paquet de systèmes se manifeste avec tant de simplicité qu’on douterait presque qu’il soit si complexe… Les bateaux sur la mer sont comme des lettres que les continents s’expédient. Mes poèmes vont ainsi : voguant blancs, on ne les voit qu’à peine, personne ne peut lire s’ils se rapprochent ou s’éloignent.

Bref, l’homme est en devenir secondaire. Il fait la sieste, vexé. »

 

 Aurélie Loiseleur, poèmes extraits d’un livre à venir, Nommeparus dans la revue Fusées, n° 20,  septembre 2011.                        


 

12/04/2011

Aurélie Loiseleur, Entrées en matière

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                            Entrées en corps

 […]

Qui est mal dans sa peau qu’il se gratte : ça desquame.

 

                           Jambes mâchent.

  Démarrage de la souffrance pavoisée de fleurs rougies par grand froid : mourir le démange. Mauvais vouloir

   avec des lentes illusions qui le grouillent.

                                      Sa main intenable.

 

   Il vint : virus.

        Avoir tant cru en son profil borgne qu’il révèlerait

   L’autre côté donne froid : partager savoir la mort à l’œuvre dans ce

    qu’elle couche.

 

    Terre contaminée évolue en théâtre : acteur d’extrême bord

de scène tombe au rang de spectateur connaît tous ses trucs d’avoir déjoué ses rôles.

                                 Comme il se glisse du monde trop lâche. 

 

Se dépecer de ses pensées : impossible
                                   Jambes hachent.

Le harcèlent graissées par grande halte à se quitter.

                                   Pays d’apparence somnolent se dérobe sous lui.

 

Qui en remontre à son écorché (surnu) s’ose plus qu’obscène : suicidé.

 

 

     Atteinte de porose : monde l’entre

mange

              peau est pont

passant dans son perméable idées s’interposent elle

     pense avec ses sens.

 

     Trouvée au pied des montagnes

de son corps dénudé en statue se ronge le devenir

     universel.

      Dort à la merci du monde craint

L’épidermie se déclare.

 

     Qui rêve en non-langue

c’est dur à discourir : chien mis à errer

lui donne à dévorer son reste.

 

     Concepts calcifiés.

     Balle tête pansue.

     Ciel se déverse en vase.

 

Arbres tètent leurs reflets au fleuve de marbre.

 

Aurélie Loiseleur, Entrées en matières, éditions NOUS, 2010, p. 38-39.