28/08/2017
Jean Richepin, La Chanson des gueux
Épitaphe pour n’importe qui
On ne sait pourquoi cet homme prit naissance.
Et pourquoi mourut-il ? On ne l’a pas connu.
Il vint nu dans ce monde, et, pour comble de chance
Partit comme il était venu.
La gaîté, le chagrin, l’espérance, la crainte,
Ensemble ou tour à tour ont fait battre son cœur.
Ses lèvres n’ignoraient le rire ni la crainte.
Son œil fut sincère et moqueur.
Il mangeait, il buvait, il dormait ; puis, morose
Recommençait encor dormir, boire et manger ;
Et chaque jour c’était toujours la même chose,
La même chose pour changer.
Il fit le bien, et vit que c’était des chimères.
Il fit le mal ; le mal le laissa sans remords.
Il avait des amis ; amitiés éphémères !
Des ennemis ; mais ils sont morts.
Il aima. Son amour d’une autre fut suivie,
Et de plusieurs. Sur tout le dégout vint d’asseoir.
Et cet homme a passé comme passe la ie :
Entrez, sortez, et puis bonsoir !
Jean Richepin, La Chanson des gueux, Orphée/ La
Différence, 1990, p. 99.
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15/04/2014
Georges Lambrichs (1917-1992), Les rapports absolus
Le mensonge à refaire
Mon malaise est affichage. Comme si je ne protégeais pas mon intériorité en lui ménageant les artifices, les marches de mes actes, parfois le secret, de toute manière le mystère de ce que je suis amené à faire. Comme si mes liaisons avaient été des empêchements, des calculs, des choix, des impostures. L'amour n'est pas qu'échange, il est sacrificiel. Et puisqu'il vaut mieux que je déclare ce qui à mes yeux prendrait trop d'importance à être tu, je ne me sens actuellement aucune aptitude aux adhésions par accolement. Mon univers personnel est une opacité qui ne se partage pas, et surtout pas avec les sources de lumière et de raison qui s'écoulent chez nos femmes à l'endroit de quelque régime glandulaire. Le circuit de toute vie maritale est un luxe d'une insoutenable négligence.
Que peut bien me faire, dés lors, celle qui, sans éclat, me regarde ? ou m'accompagne, comme on dit, dans mes pensées, dans mon avidité, dans mon pathétique ? Celle qui me demande à boire, à l'aimer, à rencontrer mes amis, à vivre nue, à partir pour la mer, à faire un feu, à l'étreindre, qui calcule mon argent, qui m'en apporte ? Celle qui me demande ce que je fais pour le savoir ? Et ce que je pense pour rien. Il faut croire, n'est-ce pas, qu'elle est vraiment ce qu'elle dit. Elle parle du sens de sa vie. Alors que le sens de la mienne, évidemment, est celui d'être coupé de ce qui me décide à inventer d'autres rapports avec le monde.
Comme si je ne connaissais plus que la passion de trahir ce que j'ai sous la main qui me plaît, qui somnole fraîchement.
C'est le moment de quelque grande tricherie attendue par ceux qui ne coïncident pas avec la vérité de l'histoire parce qu'ils ont trouvé le moyen de séduire.
Il ne s'était agi pour eux, à première vue, que de se cacher.
Georges Lambrichs, Les rapports absolus, collection Métamorphoses, Gallimard, 1949, p. 61-63.
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