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08/07/2022

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent

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             les lignes indéfiniment se poursuivent

 

mais les lignes transversales — les branches des arbres qui passent au-dessus des murs, les rivières qui courent au-dessous des ponts, les ronces qui vont partout comme les bêtes à quatre pattes, les oiseaux qui sillonnent le ciel bas tout à leur aise, les nuages, les éclaboussures, les brises — ne nous ont pas encore traversée, elles continuent prises dans leur élan de s’éloigner, vers l’ubac et vers l’adret

 

si l’image de l’éléphant, si les sonorités du piano nous ont éloignée transversalement de notre route bordée de murs longs et étroits, au moins aurons-nous écrit, au moins cette durée vaine de vie aura été comblée par cette écriture qui n’a  pas plus de sens que les tracés des vers de bois sous l’écorce desquamée, qui nous semblaient  une écriture des temps reculés, quand les humains n’étaient pas encore des humains, et qu’ensuite nous n’avons fait que penser à cette écriture des vers sur le bois, nous nous sommes résignée à l’écouter, à la retranscrire, à refuser son silence et son insignifiance, à espérer qu’elle retienne notre mémoire

[...]

 

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent, dans la revue de belles-lettres, 2022, I, p.77.

20/12/2011

Henti Michaux, Moments, Traversées du temps

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                                                         Lignes

 

                Sur des lignes tracées sans but sur le papier ; sur des pages de

                lignes. 


                                                      

 

Ennoblie par une trace d'encre, une ligne fine, une ligne, ou plus rien ne pue

 

Pas pour expliquer, pas pour exposer, pas en terrasses, pas monumentalement

 

Plutôt comme par le Monde il y a des anfractuosités, des sinuosités, comme il y a des chiens errants

 

une ligne, une ligne, plus ou moins une ligne...

 

En fragments, en commencements, prise de court, une ligne, une ligne...

... une légion de lignes

 

Alevins de l'eau nouvelle d'un sentiment qui point, parle, rit, ravit ou qui déjà par moments poignarde

 

Échappées des prisons reçues en héritage, venues non pour définir, mais pour indéfinir, pour passer le râteau sur, pour reprendre l'école buissonnière, lignes, de-ci de-là, lignes,

 

Dévalantes, zigzagantes, plongeantes pour rêveusement, pour distraitement, pour multiplement... en désirs qui s'étirent, qui délivrent.

 

Débris sans escorte, le réel déminé,

Souris du souvenir indéfiniment se profilant à 'horizon de la page,

ou bien tracés légers d'avenir incertain.

 

D'aucune langue, l'écriture —

sans appartenance, sans filiation

Lignes, seulement lignes.

 

Henri Michaux, Moments, Traversées du temps, "Le Point du jour", Gallimard, 1973, p. 29-31.