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01/01/2013

Samuel Beckett, Molloy

Samuel Beckett, Molloy, chambre, oubli, écriture

                                                I

 

   Je suis dans la chambre de ma mère. C'est moi qui y vis maintenant. Je ne sais pas comment j'y suis arrivé. Dans une ambulance peut-être, un véhicule quelconque certainement. On m'a aidé. Seul je ne serai pas arrivé. Cet homme qui vient chaque semaine, c'est grâce à lui peut-être que je suis ici. Il dit que non. Il me donne n peu d'argent et enlève les feuilles. Tant de feuilles, tant d'argent. Oui, je travaille maintenant, un peu comme autrefois, seulement je ne sais plus travailler. Cela 'a pas d'importance, paraît-il. Moi je voudrais maintenant parler des choses qui me restent, faire mes adieux, finir de mourir. Ils ne veulent pas. Oui, ils sont plusieurs, paraît-il. Mais c'est toujours le même qui vient. Vous ferez ça plus tard, dit-il. Bon. Je n'ai plus beaucoup de volonté, voyez-vous. Quand il vient chercher les nouvelles feuilles, il rapporte celles de la semaine précédente. Elles sont marquées de signes que je ne comprends pas. D'ailleurs je ne les relis pas. Quand je n'ai rien fait il ne me donne rien, il me gronde. Cependant je ne travaille pas pour l'argent. Pour quoi alors ? Je ne sais pas. Je ne sais pas grand-chose, franchement. La mort de ma mère, par exemple. Était-elle déjà morte à  mon arrivée ? Ou n'est-elle morte que plus tard ? Je veux dire morte à enterrer. Je ne sais pas. Peut-être ne l'a-t-on pas enterrée encore. Quoi qu'il en soit, c'est moi qui ai sa chambre. Je couche dans son lit. Je fais dans son vase. J'ai pris s aplace. Je dois lui ressembler de plus en plus. Il ne me manque plus qu'un fils. J'en ai un quelque part peut-être. Mais je ne crois pas. Il serait vieux maintenant, presque autant que moi. C'était une petite boniche. Ce n'était pas le vrai amour. Le vrai amour était dans une autre. Vous allez voir. Voilà que j'ai encore oublié son nom.

 

Samuel Beckett, Molloy, éditions de Minuit, 1951, p. 7-8.

18/12/2012

Robert Duncan, L'ouverture du champ

Robert Duncan, L'ouverture du champ, écriture, amour, désir

Commencement de l'écriture

 

une composition

 

Commencer à écrire.

Continuer enfin à écrire.

Écrire enfin pour continuer à commencer.

 

Surmonter le commencement.

Surmonter l'urgence.

Surmonter l'écriture en écrivant.

 

Ne jamais surmonter le commencement.

Écrire maintenant l'écriture.

Ne pas surmonter en commençant.

 

*

L'amour parfois progresse et admet. L'amour parfois surmonte et ne commence pas. L'amour comme élément permanent de certaines écritures imagine qu'aimer se développe pour admettre le commencement comme continuation.

 

Désir : hors de l'écriture. Urgence : hors de l'écriture. Poser l'attente n'est pas l'écriture. Désir est l'avant non-commençant du commencement. Urgence est un non-sentiment d'enfin commencer.

 

*

Quand je m'imagine ne pas surmonter mais admettre, aimer a lieu au lieu du désirer. Quand je m'imagine le commencement quotidien continuant, l'être n'est plus reformation mais répétition.

 

Le géant de toute la journée c'est l'éveil.

Le géant de toute la nuit c'est le sommeil.

 

Être un univers ! Être un univers !

Pris dans son discours continu.

Être renvoyé au rêve.

 

Quand je m'imagine en amant

L'Amour est revenu, je le dis, ici,

revient encore de Jour

de l'appétit pur, appartenant

au dire.

Le matin prend

le silence quand les mots parlent,

monologue au silence audible.

 

*

Un monologue ! Un monologue !

paroles oisives aux lumières bigarrées, illusions

de personne imaginée, en personne.

 

Le grand Pajambour roule son être éternel comme un roulement

de tambour

aux mesures d'un sommeil désordonné.

Discours désordonné.

 

Robert Duncan, L'ouverture du champ, traduction de Martin Richet,

José Corti, 2012, p. 33-34.