13/03/2011
Franck Venaille, C’est nous les modernes
Faut-il chercher à comprendre la poésie ? Oui ! mais au prix d’une lecture active et créative. Donc d’un effort certain. C’est tout le problème de la communication poétique qui est posé là, avec cette question sous-jacente : comment un poème peut-il circuler le mieux possible entre l’auteur et son lecteur ? Comment peut-il ne rien perdre de sa puissance émotionnelle, mentale, intellectuelle, en chemin ? Avons-nous le droit (nous, poètes) à l’hermétisme et au secret ? Quelle part donner à ce qui demeure à jamais indicible ? […] Faut-il donc toujours comprendre la poésie ? Je crois que ma réponse est négative. Je demande à ce que l’on se méfie de l’impérialisme du sens, à ce qu’on se laisse guider par le rythme, la construction illogique, la langue dans tous ses états, l’humour passé et à venir, une dose de rêve et accepter de pactiser avec l’incompréhensible.
Franck Venaille, C’est nous les modernes, Flammarion, 2010, p. 153-154.
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Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines, 102 sonnets
Aminta, que se cubrió los ojos con la mano
Lo que me quita en fuego, me da en nieve
lo mano que tus ojos me recata ;
y no es menos rigor con el que mata,
ni menos llamas su blancura mueve.
La vista frescos los incendios bebe,
y, volcán, por la venas los dilata ;
con miedo atento a la blancura trata
el pecho amante, que la siente aleve.
Si de tus ojos el ardor tirano
le pasas por tu mano por templarle,
es gran piedad del corazón humano ;
mas no de ti, que pude, al ocultarle,
pues es de nieve, derretir tu mano,
si ya tu mano no pretende belarle.
À Aminta, qui s’est couvert les yeux de la main
M’ôte le feu, neige me fait faveur
la main sous qui tes yeux ont disparu ;
n’est pas moins dure avec qui elle tue,
ni moins de flammes anime sa blancheur.
Le regard boit d’incendies la fraicheur,
et volcan aux veines les distribue ;
le cœur amant d’une peur prévenue,
craint tout ce blanc, car il le sent trompeur.
Si de tes yeux le brasier souverain,
tu le passes en ta main pour l’apaiser,
c’est là grande pitié du cœur humain ;
mais pas de toi, car il peut, éclipsé,
puisqu’elle est neige, liquéfier ta main,
si cette main ne veut pas le glacer.
Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines, 102 sonnets, Choix, présentation et traduction de Jacques Ancet, édition bilingue, Poésie/ Gallimard, 2010, p. 134-135.
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01/12/2025
Luis Cernuda, La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo)

Cimetière dans la ville
Derrière la grille ouverte entre les murs,
la terre noire sans arbres, sans une herbe,
les bancs de bois où vers le soir
s’assoient quelques vieillards silencieux.
Autour sont les maisons, pas loin quelques boutiques,
des rues où jouent les enfants, et les trains
passent tout près des tombes. C’est un quartier pauvre.
Comme des raccommodages aux façades grises,
le linge humide de pluie pend aux fenêtres.
Les inscriptions sont déjà effacées
sur les dalles aux morts d’il y a deux siècles,
sans amis pour les oublier, aux morts
clandestins. Mais quand le soleil paraît,
car le soleil brille quelques jours vers le mois de juin,
dans leur trou les vieux os le sentent, peut-être.
Pas une feuille, pas un oiseau. La pierre seulement. La terre.
L’enfer est-il ainsi. La douleur y est sans oubli,
dans le bruit, la misère, le froid interminable et sans espoir.
Ici n’existe pas le sommeil silencieux
de la mort, car la vie encore
poursuit son commerce sous la nuit immobile.
Quand l’ombre descend du ciel nuageux
et que la fumée des usines s’apaise
en poussière grise, du bistrot sortent des voix,
puis un train qui passe
agite de longs échos tel un bronze en colère.
Ce n’est pas encore le jugement, morts anonymes.
Dormez en paix, dormez si vous le pouvez.
Peut-être Dieu lui-même vous a-t-il oubliés.
Tras la reja abierta entre los muros,
La tierra negra sin árboles ni hierba,
Con bancos de madera donde allá a la tarde
Se sientan silenciosos unos viejos.
En torno están las casas, cerca hay tiendas,
Calles por las que juegan niños, y los trenes
Pasan al lado de las tumbas. Es un barrio pobre.
Tal remiendosde las fachadas grises,
Cuelgan en las ventanas trapos húmedos de lluvia.
Borradas están ya las inscripciones
De las losas con muertos de dos siglos,
Sin amigos que les olviden, muertos
Clandestinos. Mas cuando el sol despierta,
Porque el sol brilla algunos dias hacia junio,
En lo hondo algo deben sentir los huesos viejos.
Ni una hoja ni un pájaro. La piedra nada más. La tierra.
Es el infierno así ? Hay dolor sin olvido,
Con ruido y miseria, frío largo y sin esperanza.
Aquí no existe el sueño silencioso
De la muerte, que todavia la vida
Se agita entre estas tumbas, como una prostituta
Prosigue su negocio bajo la noche inmóvil.
Cuando la sombra cae desde el cielo nublado
Y del humo de las fábricas se aquieta,
En polvo gris, vienen de la taberna voces,
Y luego un tren que pasa
Agita largos ecos como un bronce iracundo.
No es el juicio aún, muertos anónimos.
Sosegaos, dormid ; dormid si es que podéis.
Acaso Dios también se olvida de vosotros.
Luis Cernuda, La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo), édition bilingue, traduction de l’espagnol par Robert Marrast et Aline Schulman, choisis et préfacés par Juan Goytisolo, Gallimard, 1969, p. 87-89.
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