01/09/2011
Jacques Serena, Fleurs cueillies pour rien
Klimt, Le Baiser
Ça recommence, on dirait, d’autres respirations, lentes. Et, comment dire. Oscillantes. Pour commencer, recommencer. Ou pour, qui sait, cette fois, peut-être, finir. Non. Pas encore. D’accord, pas encore. On a le temps. Et microclimats, donc, et teintes sourdes. Semblant à peu près se figer. Bouts de corps se frôlant, entraperçus. Sans bruit, et peut-être une espèce de musique, ou putôt de sons diffus, c’est peu dire que dire aux confins de l’audible. À en douter. En prendre son parti. Au point où j’en suis. Voyons voir, si moyen que, oui. Ça se précise. De la joie, cette fois, dans l’air. De l’air, donc. Avec, dedans, des tourbillons de. Disons de silence, de ces infimes sons qui, interférant, font le silence. C’est moi, encore, au centre, à ce qu’il semblerait, mais elles. Parce que ces corps, oui, c’est encore elles, souvent. Ce qui frappe, là, c’est l’or, la sensation d’ineffable que ça donne, pour ne as dire de céleste à cause de. Elles passent à portée. J’en frôle, j’en touche, au passage. Je n’en touche plus. N’en toucherai plus. Si, encore. Il faudrait qu’elles sachent que jamais je n’ai touché de corps plus voluptueux. De plus réel, jamais.
En bas, un bois, troncs de bouleaux luisants faiblement, troupes de vieille cavalerie s’entrechoquant, antiques revenants encombrés d’armes rouillées, entrant en collision maladroite les uns contre les autres, silhouettes de fosse commune tondues, projetées déguisées à travers la nuit, au bas des pentes au fond invisible, entre le noir et la noirceur pire pressentie. Et rires, clameurs de carnaval. Je sens avec la lucidité du fou la nature périssable de ma chair. Des prostituées laides appellent dans la nuit, mal drapées dans des hardes voyantes. Vieilles poupées sorties d’un rêve scabreux.
La dernière bougie flanche, la mèche penche, s’affaisse dans un mince sifflement. J’en perds mes propres limites. Ne sais plus où je finis et où commence le monde. Devenu grand comme l’atelier. Ou aussi bien petit, infiniment. Sentant le sol. Mon poids sur le sol. Sentant sous moi la terre aspirer mes os.
Jacques Serena, Fleurs cueillies pour rien, Gustav Klimt, éditions Flohic, 1999, p. 43-44 et 77-78.
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