25/02/2023
Pascal Quignard, Sordidissimes
L’art n’est pas grand-chose. Dans ce monde ce n’est vraiment pas grand-chose pour peu qu’on compare tous les arts à la nature sur la terre.
L’art est un pas grand-chose qui hérite du Vieux Sac .
L’art est l’arrivée trop tardive.
Créer c’est chercher son hôte. Pour les animaux il s’agit de trouver un lieu pour le succès de la ponte. Pour les oiseaux il s’agit de le construire. Pour les fleurs et les arbres obtenir une terre où fleurir. Un site. Un bout de muraille rongée. La corniche d’une falaise. Un intervalle dans le temps. Un lapsus du temps ou plutôt un fragment d’Eden du temps, une petite branche ou une feuille — un petit folio de l’arbre prélapsaire.
Pascal Quignard, Sordidissimes, Folio/Gallimard, 2005, p. 168.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, sordidissimes, art, lieu | Facebook |
23/01/2022
Pascal Quignard, Sordidissimes
Chapitre XXXIV
Lieu perdu. Objet perdu. Océan perdu. Cité perdue. Errant sans retour.
Comme Dante allait de petites cours en petites cours.
Navire sans voiles, sans but, sans astres sous les nuages,
avançant à l’aveugle dans la nuit de sa langue.
Homme qui même dans la nuit de sa langue ne s’avançant que dans le souvenir d’une nuit qui précède la nuit.
Car ils se souviennent d’une nuit d’avant la nuit, tous les hommes, poissons perdus, eau perdue, chaleur perdue, pénombre perdue.
Au gouvernail non pas un ni deux ni trois
rois
un amas de pilotes morts
les uns sur les autres, le ventre nu.
Car ils ont tous le ventre nu pour qu’ils se succèdent ceux qui se suivent dans le temps.
Pascal Quignard, Sordidissimes, Golio/Gallimard, 2007, p. 121.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, sordidissimes, perte, nudité | Facebook |
31/08/2011
Pascal Quignard, Sordidissimes
Lien perdu. Objet perdu. Océan perdu. Cité perdue. Errant sans retour.
Comme Dante allait de petites cours en petites cours.
Navire sans voiles, sans but, sans astres pour les nuages,
avançant à l’aveugle dans la nuit de sa langue.
Hommes qui même dans la nuit de la langue ne s’avancent que dans le souvenir d’une nuit qui précède la nuit.
Car ils se souviennent d’une nuit d’avant la nuit, tous les hommes,
poissons perdus, eau perdue, chaleur perdue, pénombre perdue.
Au gouvernail non pas un ni deux ni trois
rois
un amas de pilotes morts
les uns sur les autres, le ventre nu.
Car ils ont tous le ventre nu pour qu’ils se succèdent ceux qui se suivent dans le temps.
C’est une masse d’autres mondes nus inextricablement imbriqués sur le pont,
lisant, aimant, écrivant, parlant, errant,
inquiets des paysages, des lumières, du flot, des ombres,
ouvrant les jambes nues, ouvrant toujours les jambes nues, les cuisses nues, les femmes nues, désirant, défaillant, découvrant
vieilles odeurs, vieux trésors.
Pascal Quignard, Sordidissimes, Dernier royaume,V, chapitre XXXIV, Folio/ Gallimard, 2007 [Grasset & Fasquelle, 2005], p. 121-122.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascla quignrad, sordidissimes, le perdu | Facebook |