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08/04/2014

Pierre Chappuis, Entailles

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                       Paysage brouillé

 

Vents plutôt que pluie hachurent ciel et terre.

 

Issu de la nuit, de l'échevèlement de la nuit, tremblé, confus et net (résurgence), un paysage brouillé, un brouillon de paysage refuse à contre-jour de se fixer, du coup (un négatif, une épure) ne parvient pas jusqu'à la couleur. Dans le révélateur où il serait à tremper, une main délicatement l'agite.

 

Tempétueusement, beau temps.

 

Quoique ne tenant pas en place, joie de se sentir en place ici chez soi en pleine turbulence.

 

Lumineuse effervescence dévalant la colline en tous sens, balayant coteaux et ravins. Qui, désormais, déferle abondamment, noire, oui (vertu éclairante du noir, plus clair vu de plus loin) remue, traverse, raye le papier de mille traits aussi fins que pattes de mouches, ou cheveux — une ample chevelure emmêlée et défaite.

 

Pierre Chappuis, Entailles, éditions Corti, 2014, p. 9.

06/04/2014

Bashô, Seigneur ermite, L'intégrale des haïkus

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Toutes ces fleurs écloses

dans le vent printanier,

éclat de rire

 

Mes yeux étincellent

d'avoir tant désiré la floraison —

Cerisiers pleureurs

 

Regagnant la côte

sur une feuille, le petit insecte

où dort-il ?

 

Oreiller d'herbes —

est-il triste, trempé par l'averse d'hiver,

ce chien hurlant à la nuit ?

 

Blanc coquelicot —

en souvenir du papillon

aile arrachée

 

Lune éclatante —

je tourne autour de l'étang

toute la nuit

 

Bashô, Seigneur ermite, L'intégrale des haïkus, édition bilingue par Makoto Kemmoku et Dominique Chipot,

La Table ronde, 2012, p.50, 57, 79, 111, 126, 133.

 

 

 

 

 

 

03/04/2014

Jean-Baptiste Para, Laromira

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                        Laromira

 

Pardonne-moi si je te dis à l'oreille des choses tristes

Quand j'entends le bruit de mes pas dans mes os

 

Un silence m'a sauvée du mot

Un autre silence sauvera le mot

 

Et le vent sera ma demeure

 

 

J'ai vu nager les étoiles et j'ai vu les beaux reins du lièvre

J'ai appris qu'en allant de rivière en rivière

Rien n'était véritablement loin

J'ai longtemps tourné une bague  à mon doigt

J'ai appris que l'on pensait autrement dans le froid

 

Et le vent sera ma demeure

 

 

Il pouvait neiger dans toute l'étendue de mes veines

La patience était en moi comme le pain sur la table

Mes pouces façonnaient des visages d'argile

De la main gauche je savais aérer le lait

Il y avait dans mes yeux un peu d'ambre

Un peu de vert de nos marais

 

Et le vent sera ma demeure

 

 

Comme le merle et l'abeille sauvage

J'étais l'amie du sureau noir

J'aimais la nonchalante fierté

Des hommes et des tournesols

Le rire où rebondit

La petite perle d'un collier défait

 

Et le vent sera ma demeure

 

[...

Jean-Baptiste Para, Laromira dans Rehauts, n°32,

second semestre 2013, p. 39-32.

22/03/2014

Yves di Manno, Champs (2)

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                              L'été, I

 

Qu'une fenêtre s'ouvre, que le vent

S'y engouffre et déjà, immobile

La main s'élance, voudrait suspendre

Tel mouvement de branche. Une plume

Tombe du corps d'un oiseau. Un enfant

La ramasse. Les paniers sont emplis

De fruits. Le long des routes, des

Noyers inclinés par des siècles de

Bourrasque désignant un Sud hypothétique

Hors d'atteinte. Le temps n'y est pour

Rien.

 

         Un fauteuil immuable tend ses bras

Dans le vide. La soucoupe est pleine

De mégots où les lèvres de femme ont

Laissé une empreinte étonnée. Près

d'elle un journal aux pages effeuillées

Par le vent : une main posée sur l'angle

D'un buffet : une clef que l'on hésite à

Tourner.

 

Yves di Manno, Champs, Poésie / Flammarion,

2014, p. 101.

20/02/2014

Henri Droguet, Variations saisonnières, dans PO&SIE

Henri Droguet, Variations saisonnières, dans PO&SIE, soir, papillon, vent, ombre

               À perte

 

C'est un soir et le temps

qui court   Dame souris

trotte et chicote

à la maison du nouveau mort

étendu dans la chambre

plus ou moins noire où sphinx

(tête idoine) et bombyx

cernent la lampe et demain

seront miettes et poudres

 

déjà l'enfant perdu

court au jardin sauvage

ça sent le frai la laine et l'argile

 

le vent revient de loin

un ange passe

                                     13 août 2007

  

             Voyures

 

Quoi s'éloignait là ? disais-tu

le vent fouettard à son branle

qui tombait dans l'éparse grâce de la mer

le soleil entre l'ombre et l'ombre

tout feu tout flamme déboulé

dans un panier de nuages

la neige à venir et l'herbe à Robert

un improbable accès aux replis des collines

les menues semences

l'eau douce à la saulaie

les grandes nuits lointaines

C'est ça le vrai jour et l'aboi neuf

ça râpe et ça rit

ça rabote

                                       2 mai 2008

 

Henri Droguet, Variations saisonnières, dans PO&SIE

n°136, 2ème trimestre 2011, p. 41 et 48.

18/08/2013

Jacques Réda, Hors les murs

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                                Terminus

 

Sournoisement quelqu'un se lève dans la lumière

Soudain plus foncée, et les feuilles ne bougent pas.

Mais l'espace ouvre d'un coup ses invisibles portes

Et dans chacune on voit frémir la face du vent

Qui remue à son front désolé de lourdes roses

D'octobre s'illuminant dans l'ombre des jardins.

 

Car dans les sentiers en dédale tous les jardins

Ont à la longue dérouté si bien la lumière

Aveugle trébuchant parmi les lampes des roses

Qu'on pourrait la toucher qui respire et ne fuit pas

Mais se tient sans bouger sous le lierre, entre le vent

Et les voix prises du côté paisible des portes.

 

Elle n'ose pas comme le vent heurter aux portes

Ni s'ouvrir de force un passage dans les jardins :

Bientôt l'obscurité l'aura saisie. Et le vent

Commence à flairer les épaules de la lumière

Qui voudrait de nouveau s'échapper et ne peut pas

Sortir de ce halo dont l'enveloppent les roses.

 

De proche en proche on aperçoit encore ces roses

Penchant vers la chaleur qui chaque fois sourd des portes

Et des fenêtres dont les lampes ne craignent pas

D'affronter dans l'ombre où s'épaississent les jardins

Les derniers soubresauts indécis de la lumière

Seule devant la face indifférente du vent.

 

Et sur les maisons qui vont disparaître, le vent

Bâtit une maison noire où s'éteignent les roses

Et, secouant à son front leurs gouttes de lumière

Déclinante, il se rue à travers le flot des portes

Qu'on devine qui battent sans bruit. Et les jardins

Ne font plus qu'un seul remous de feuillages, et pas

 

La moindre lueur maintenant sous les roses, pas

De lampe sous la houleuse toiture du vent.

On se perdra peut-être à jamais dans ces jardins,

Sans fin leurré par la flamme équivoque des roses

Et toujours enfonçant tel le vent de fausses portes

Pour retrouver la trace ultime de la lumière.

 

N'abandonnez pas le passant au dédale, roses

D'octobre, au vent qui vous effeuille devant les portes

Et répand votre semence aux jardins sans lumières.

 

 

Jacques Réda, Hors les murs, "Le Chemin", Gallimard, 1982, p. 74-75.