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03/12/2024

Zoé Karelli, Contes du jardin

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       Musicalité

 

Beauté musicale des jours

d’automne à Thessalonique

lorsque la pluie tombe drue,

s’éclaircit puis reprend,

pluie d’argent, translucide et fine

comme la musique des voix douces de femmes

à l’automne de leur vie.

De ces femmes qui restent

tranquilles et silencieuses, dirait-on

un peu fières et mélancoliques

zt parfois, quand elles  parlent,

semblent pressées de dire

ce qu’elles souhaitent peut-être oublier.

 

Zoé Karelli, Contes du jardin, dans Poètes de

Thessalonique (1930-1970), traduction du grec

Michel Volkovitch, Le miel des anges, 2024, p. 61           .

09/09/2024

Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses

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— oublie le doute ! oublie

le destin gris !

ceux qui vous tirent à eux sont nombreux

les sûrs les aveugles  les yeux de lynx

les granitiques graticulant

qui ne voient pas de failles dans leurs propos

mais seulement, coûte que coûte, le maintien

dans le contingent servile…

pourtant cette vie limitrophe n’est pas

recherche de la carte perdue

mais une brèche solitaire

un autre remède à la blessure

 

Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses,

traduction Thierry Gillybœuf, Rehauts,

2024, p. 135.

11/04/2024

Monique Laederach, Mots sur le bord de l'être

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Quand parlerai-je encore avec amour

alors qu’il flotte comme une sorte de guirlande sucrée

entre la peau et la veille ?

Langue à moitié de musée, striée de rêves obsolètes —

et c’est vrai son piédestal même

n’était qu’erreur et poudre

aux yeux !

 

Ah ! Laisse ! Oublie !

L’ancien amour non plus

ne réchaufferait mes poignets.

Et maintenant je ferme les yeux

sur son nom,

j’attends seulement

la douceur d’une peau,

d’un souffle,

d’un appel tiède

sur ma nuit.

Et mon noyau resserré

ferait fleur à la bouche

qui me l’offre.

 

Monique Laederach, Mots sur le bord de l’être, dans

La Revue de belles-lettres, 2023-2, p. 57.

 

 

10/04/2024

Monique Laederach, Cette absolue liberté de parole

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Est-ce que j’aime encore ?

Je bouge à peine dans les fils ténus

de ma propre mante,

rongée par les dents de l’oubli,

mensongère assurément — mais qui, encore,

pourrait m’en assigner, qui  m’offrirait davantage ?

On disparaît. On n’est plus femme,

juste ce fantôme aux cartes de crédit,

celle qui occupe, ne devrait pas,

un siège dans l’autobus.

Et cette image dedans

de la jeune femme qu’on est encore.

 

Monique Laederach, Cette absolue liberté de paroles,

dans La Revue de belles-lettres, 2023-2, p. 19.

26/01/2024

Monique Laederach, Mots sur le bord d'être

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Quand parlerai-je encore avec amour

alors qu’il flotte comme une sorte de guirlande sucrée

entre la peau et la veille ?

Langue à moitié de musée,

striée de rêves obsolètes —

et c’est vrai : son piédestal même

n’était qu’erreur et poudre

aux yeux !

 

Ah ! Laisse ! Oublie !

L’ancien amour non plus

ne réchauffait mes poignets.

Et maintenant je ferme les yeux

sur son nom,

j’attends seulement

la douceur d’une peau,

d’un souffle,

d’un appel tiède

sur ma nuit.

Et mon noyau resserré

ferait fleur à la bouche

qui me l’offre.

 

Monique Laederach, Mots sur lebord d’être, dans

La revue de belles-lettres, 2023-2, p. 57.

15/10/2023

Paul Verlaine, La bonne chanson

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Dans le vieux parc solitaire et glacé

Deux formes ont tout à l’heure passé.

 

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,

Et l’on entend à peine leurs paroles.

 

Dans le vieux parc solitaire et glacé

Deux spectres ont évoqué leur passé.

 

­— Te souvient-il de notre extase ancienne ?

— Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne.

 

— Ton cœur bat-il toujours à mon sel nom ?

Toujours vois-tu mon âme en rêve. — Non.

 

— Ah ! les beaux jours de bonheur indicible

Où nous joignions nos bouches ! — C’est possible.

 

— Qu’il était bleu, le ciel, et grand l’espoir !

— L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

 

Tels ils marchaient dans les avoines folles,

Et la nuit seule entendit leurs paroles.

 

Paul Verlaine, La bonne chanson, dans Poésies complètes,

Bouquins/Robert Laffont, 2011, p. 108.

09/06/2023

Esther Tellermann, Ciel dans prise

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Tout à coup

s’était figé

     l’oubli

nous écartions

les persiennes pour

deviner

     un monde

qui palpite un reste de floraison

     des rumeurs

     un nulle part

qui gonfle votre

     force

 

Esther Tellermann, Ciel sans prise,

éditions Unes, 2023, p. 41.

04/03/2023

Bernard Noël, Monlogue du nous

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Nous avons perdu nos illusions et chacun de nous se croit fortifié par cette perte. Fortifié dans as relation avec les autres. Nous savons cependant que nous y avons égaré quelque chose car la buée des illusions nous était plus utile que leur décomposition. Nous oublions ce gain de lucidité dans son exercice même. Nous n’en avons pas moins de mal à mettre plus de raison que de sentiment dans notre action. Nous aurions dû depuis longtemps donner toute sa place au durable, mais la séduction s’est toujours révélée plus immédiatement efficace.

 

Bernad Noël, Monologue du nous, P. O. L, 2015, p. 7-8.

30/07/2022

Jean Tortel, Les Villes ouvertes

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Mon nom fut-il inscrit

Sur le mur dépouillé

De ses pariétaires ?

 

Est-ce bien le mien ? J’ai vécu

Jusqu’ici. Un autrefois

Apparaît et disparaît.

Je ne me souviens pas.

 

Je descends tous les jours.

Je passe par là.

Je trempe mes mains dans l’eau.

 

La rue est sûrement la même

Et sans soleil et rien qui puisse le nier.

 

Son nom et mes initiales

N’ont pas changé. Suis-je si vieux

Qu’un signe écrit me concernant

Près des fontaines

 

Soit incompréhensible et cependant

 

La pierre est nue.

 

Jean Tortel, Les villes ouvertes, Gallimard, 1965, p. 73.

21/06/2021

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique

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                     Paysages, 2

 

le pays que j’habite est un pays perdu

comme tous les pays que le siècle déserte

avec les vieux clochers les murs qui se délabrent

et les pommiers tordus redevenus sauvages

l’horloge s’est arrêtée les chemins ne vont plus

aux granges que l’oubli dans le silence étreint

cependant nous marchions (dis-tu) dans le matin

quand au. bord des étangs rêvaient les fiancées

mais cela n’eut pas lieu qui nous était promis

ce bonheur ces baisers la tiédeur des fruits mûrs

et le grand ciel flambant des étés revenus

voici nos souvenirs au pied des arbres nus

 

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique, La Table ronde, 2009, p. 701.

20/06/2021

Étienne Faure, Penchants aux fenêtres

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L’été, fenêtre ouverte, nous voyageons avec les avions

qui s’en vont, quittant le territoire en vrombissant

comme soulevés d’un destin trop lourd — deux août,

même chaleur anniversaire qui jour pour jour

avait saisi les aïeux de fureur

dans la mobilisation des corps soudain

suspendus à des déclarations d’amour, non, de guerre,

peaux empourprées aux moindres caresses,

une dernière fois sous le soleil posant

la tête sur la patrie qu’est la poitrine

à susurrer ça va vous coûter cher., l’amant, autant dire

la vie, moissons défaites, toutes faux passées

et des poèmes écrits à la dernière minute

dans la poussière de l’été, cette saison

à jamais révolue, enfermée dans le passé

d’un mot qui ce jour-là aura

été, à Paris maintenant démobilisé

 

énième deux août à Paris

 

Étienne Faure, Penchants aux fenêtres, dans

Contre-Allées, N° 43, printemps 2021, p. 8

26/04/2020

Franz Kafka, Journaux, 2, traduction Robert Kahn

Robert Kahn, traducteur de Kafka, avec À Milena (2015), les Derniers cahiers (2017) et, cette année, les Journaux, tous livres publiés aux éditions NOUS, est mort le 6 avril 2020.

Second extrait des Journaux pour lui rendre hommage.

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   Onzième Cahier

Être dans un train, l’oublier, vivre comme chez soi, se souvenir subitement, sentir la force motrice du train, devenir un voyageur, sortir la casquette de la valise, aller à la rencontre de ses compagnons de  voyage de façon plus libre, plus cordiale , plus insistante, être porté sans mérite vers son but, le ressentir comme un enfant, devenir le chéri de ces dames, se trouver sous la force d’attraction continuelle de la fenêtre, avoir toujours au moins une main posée sur la planchette de la fenêtre. Situation esquissée de manière plus aiguë : oublier que l’on a oublié, devenir d’un coup un enfant qui voyage seul dans un train rapide comme l’éclair, enfant autour duquel le wagon tremblant se hâte se déploie de manière étonnante dans les plus petits détails comme dans la main d’un prestidigitateur.

 

Franz Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 705.

22/03/2020

René Char, Le Poème pulvérisé

 

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                           À la santé du serpent

 

VII

 Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.

 

XX

Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore.

 

XIV

Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel.

 

XXV

Yeux qui, croyant avoir inventé le jour, avez éveillé le vent, que puis-je pour vous ? Je suis l’oubli.

 

René Char, Le poème pulvérisé, dans Œuvres complètes, édition Jean Roudaut, Pléiade/Gallimard, 1983, p. 263, 264, 266, 267.

 

25/12/2019

Maurice Blanchot, La bête de Lascaux

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Parole écrite : parole morte, parole de l’oubli. Cette extrême méfiance pour l’écriture, partagée encore par Platon, montre quel doute a pu faire naître, quel problème susciter l’usage nouveau de la communication écrite : qu’est-ce que cette parole qui n’a pas derrière elle la caution personnelle d’un homme vrai et soucieux de vérité ? L’humanisme déjà tardif de Socrate se trouve ici à égale distance de deux mondes qu’il ne méconnaît pas, qu’il refuse par un choix vigoureux. D’un côté, le savoir impersonnel du livre qui ne demande pas à être garanti par la pensée d’un seul, laquelle n’est jamais vraie, car elle ne peut se faire vérité que dans le monde de tous et par l’avènement même de ce monde. Un tel savoir est lié au développement de la technique sous toutes les formes et il fait de la parole, de l’écriture, une technique.

 Maurice Blanchot, La bête de Lascaux, Fata Morgana, 1982, p. 13.

29/09/2019

Paul Éluard, Médieuses

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Au premier mot limpide

 

Au premier mot limpide

 Au premier rire de ta chair

La route épaisse disparaît

Tout recommence

 

La fleur timide la fleur sans air du ciel nocturne

Des mains voilées de maladresse

Des mains d’enfant

 

Des yeux levés vers ton visage et c’est le jour sur terre

La première jeunesse close

Le seul plaisir

 

Foyer de terre foyer d’odeurs et de rosée

Sans âge sans saisons sans liens

 

L’oubli sans ombre.

 

Paul Éluard, Médieuses, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1968, p. 911.