05/10/2024
Jacques Réda, rencontres et lectures
Jacques Réda (24 janvier 1929-30 septembre 2024)
Rencontres et lectures
Une grande pièce et sur un semblant d’estrade une batterie presque complète, sur des étagères un nombre impressionnant de soldats de plomb apparemment rangés par régiments — « Je m’exerce un peu, je ne suis pas Art Blakey. Les soldats de plomb… ; vous êtes sorti de l’enfance, vous ? »
C’était à la fin des années 1980, dans le quinzième arrondissement, et l’entretien dura des heures, à propos de Paris, du vers, du jazz (Réda était chroniqueur dans Jazz Magazinedepuis les années 1960), de la campagne, du vin, des avantages du solex en ville, de Charles Albert Cingria, de la poésie contemporaine (il dirigeait La NRF), des anciennes lignes de chemin de fer, de ses premières publications (introuvables, mais présentes à la Bibliothèque nationale). De tout. Toujours sérieux mais avec humour. Défense argumentée du vers français dont il connaissait parfaitement l’histoire. Impossible d’oublier l’énergie de Jacques Réda, son refus aussi d’être vu comme un « poète » — il avait alors publié une vingtaine de livres —, son extrême modestie, son écoute toujours attentive et le souci de répondre aux questions qui avaient dû lui être souvent posées.
Quelques rares rencontres ensuite, les dernières dans le vingtième où il s’était installé, et près de la place Saint-Sulpice, où le consumérisme triomphant a instauré un marché et « voué un mois comme à la Vierge Marie », ce qu’il fustige dans Mes sept familles. Restent les livres, toujours relus, nombreux quand on a écrit pendant un peu plus de soixante-dix ans. On l’y retrouve, entier, même si parfois masqué. Relectures.
Le préambule de Mes sept familles (fario, 2022), à propos de ses « ascendants littéraires » (p. 7) :
(…) tout ce que j’ai lu depuis que j’ai appris à lire et à écrire, et qui était souvent sans rapport avec la littérature (absente du milieu où je vivais), a aussitôt suscité chez moi un réflexe d’imitation qui m’a longtemps laissé douter d’avoir, littérairement, une singularité quelconque — si j’en ai une, et il ne m’appartient pas d’en décider.
Un "auto-portrait", celui qui ouvre Les ruines de Paris (Gallimard, 1978, p. 14) :
Je rentre. Il y a des œufs, du fromage, du vin, beaucoup de disques où, grâce à des boutons, on peut mettre en valeur la partie de la contrebasse. Ainsi je continue d’avancer, pizzicato. Est-ce que je suis gai ? Est-ce que je suis triste ? Est-ce que j’avance vers une énigme, une signification ? Je ne cherche pas trop à comprendre. Je ne suis plus que la vibration de ces cordes fondamentales tendues comme l’espérance, pleines comme l’amour.
Toujours dans Les ruines de Paris (p. 153) :
Une fois de plus c’est au coin de ce buffet de gare que je vais pleurer. Au moins les gens du quai d’en face peuvent croire que j’éternue. Et je pleure de tout mon corps devant cette solitude, même si quand même après des mois j’allais retrouver quelqu’un. C’était un autre soir, en octobre. Impossible de m’en empêcher mais ça ne durera pas. Je me demande ce qui dure.
Réda a régulièrement écrit à propos du vers, du sien, plus généralement de son statut aujourd’hui. Une partie importante de ses réflexions dans Celle qui vient à pas légers (Fata Morgana, 1999) sont reprises et développées dans un long entretien : Alexandre Prieux & Jacques Réda, Entretien avec Monsieur Texte (fario, 2020). Quelques extraits :
J’ai écrit en vers réguliers, en vers libres, en versets et en prose, et je n’ai rien inventé, pas même, contrairement à ce que croient certains spécialistes de la poésie française qui ne la connaissent pas très bien, le vers de quatorze syllabes, ni le vers mâché. (p. 106)
Il faut comprendre que [les] formes fixes, que le vers-libriste regarde comme des obstacles intolérables à la liberté de son inspiration, sont, dans la langue, un équivalent des exercices de solfège qui n’ont pas de valeur poétique en eux-mêmes, mais qui permettent à cette inspiration de se manifester à plein, et non derrière le rideau de fumée des coupes arbitraires et des images dont l’abondance est le produit d’un système devenu lui-même producteur à bon compte d’anti-clichés inanes. (p. 110)
Etc. Qu’est-ce que la poésie peut exprimer de la « réalité » ? Le vers compté est certes un artifice mais il favorise notre contact avec ce fond insaisissable de la réalité qu’est le rythme, donc l’approche d’« une saisie éternisée de l’instant ». Comme le fait le swing : Réda traduit le titre de Charlie Parker, It’s the time par « maintenant est toujours le seul moment qui compte ». Seule manière d’accepter cette « vie incompréhensible », comme il l’écrit dans Les ruines de Paris (p. 144). Quelle autre issue ?
Peut-être que si je réussissais enfin à tout décrire, à l’instant même où le moindre brin d’herbe ou de fil de fer paraît, je comprendrais quel rôle ambulant je tiens moi dans ce rythme, dans cet ordre dont s’exerce la poigne extatique partout — des mouvements de cinq gamins en train de shooter une balle, à ce gui noir dans les peupliers établi comme une partition. (pp. 146-147).
Mais il faudrait toujours recommencer… C’est pourquoi Jacques Réda a publié en 2023 Leçons de l’Arbre et du Vent (Gallimard).
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07/02/2024
Jacques Roubaud, Quelque chose noir (étude)
Le dernier regard
Sans refaire l'histoire complexe du mot méditation, on peut remarquer qu'il est rapidement passé du sens de « préparation à un discours » en latin classique à celui de « réflexion » chez les auteurs chrétiens, qui portaient pour l'essentiel la réflexion sur la destinée humaine à la lumière des textes sacrés. C'est cette tradition qui nourrit, en prose, les Méditations sur les Psaumes de Jean de Sponde et les Méditations sur l'Évangile de Bossuet, et l'on peut y rattacher les méditations memento mori, qu'il s'agisse des danses macabres ou des vanités du XVIIe siècle. Descartes utilisa le mot avec sa valeur philosophique dans les Méditations métaphysiques comme, à la fin du XVIIIe siècle, Volney, éloigné de toute spéculation religieuse, dans Les Ruines, ou Méditation sur les révolutions des empires (1791). L'arrière-plan religieux, au contraire, est bien présent quand l'usage du mot s'installe dans le domaine poétique avec Lamartine et ses Méditations poétiques en 1820, dans la lignée de la poésie élégiaque.1 Le titre de "méditation" sera repris plusieurs fois au XIXe siècle, par exemple par Jules Laforgue dans une "Méditation grisâtre", sur la solitude de l'homme et son extrême petitesse ; le sonnet s'achève ainsi : « Je reste là, perdu dans l'horizon lointain, / Et songe que l'Espace est sans borne, sans borne,/ Et que le Temps n'aura jamais de fin. »2
Le mot "méditation" apparaît dans plusieurs titres de Quelque chose noir de Jacques Roubaud3, consacré à sa compagne disparue ; Roubaud a repris le titre d'une série de 17 photographies d'Alix Cléo, Si quelque chose noir, et, en effaçant la supposition, il annonce le motif des poèmes. Le livre s'ouvre sur "Méditation du 12/5/85", suivi de "Méditation de la certitude" et, toujours dans la première partie, un autre poème est daté, "Méditation du 21/7/85", sur lequel nous nous arrêterons. Il n'y a pas d'ordre chronologique — "Méditation du 8/5/85" se trouve dans la deuxième partie —, comme si décider d'une position dans le temps après la mort de l'aimée était impossible, et qu'importe seul ce moment et ce qui l'a précédé. On lit ensuite, respectivement dans les quatrième et cinquième parties, cinq "Portrait en méditation" et cinq autres poèmes où "Méditation" est déterminé — l'un, "Méditation de la pluralité", renvoie explicitement à la réflexion sur la mort pratiquée à la fin du XVIe siècle : « L'éparpillement, la variété, pour la poésie de la méditation étaient signe de mort (Sponde) »4.
Ne retenir qu'un poème implique qu'il est lu comme miroir du tout, ce tout étant construit autour de la mort de l'aimée, avec pour charpente l'impossibilité de la penser et la nécessité de la dire, les deux motifs étant toujours étroitement intriqués. On se souvient de ce qu'écrivait Boileau de l'élégie dans l'Art poétique (Chant II, v. 39-40) : « La plaintive élégie, en longs habits de deuil, / Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil » ; Quelque chose noir appartient bien au genre par sa thématique : la douleur y apparaît, mais l'idée de l'apaisement y est cependant exclue et c'est pourquoi l'on relève des éléments propres à la méditation lyrique et d'autres qui s'en éloignent.
Méditation du 21 / 7 / 855
Je regardais ce visage qui avait été à moi. de la manière la plus extrême.
Certains, en de semblables moments, ont pensé invoquer le repos. ou la mer de la sérénité. cela leur fut peut-être de quelque secours. pas moi.
Ta jambe droite s'était relevée. et écartée un peu. comme dans ta photographie titrée la dernière chambre.
Mais ton ventre cette fois n'était pas dans l'ombre. point vivant au plus noir. pas un mannequin. mais une morte.
Cette image se présente pour la millième fois. avec la même insistance. elle ne peut pas ne pas se répéter indéfiniment. avec la même avidité dans les détails. je ne les vois pas s'atténuer.
Le monde m'étouffera avant qu'elle ne s'efface.
Je ne m'exerce à aucun souvenir. je ne m'autorise aucune évocation. il n'y a pas de lieu qui lui échappe.
On ne peut pas me dire : « sa mort est à la fois l'instant qui précède et celui qui succède à ton regard. tu ne le verras jamais ».
On ne peut pas me dire : « il faut le taire ».
La méditation est datée alors que très peu d'indications chronologiques sont données dans Quelque chose noir ; la plus marquante forme le titre d'un poème, "1983-janvier 1985-juin", et délimite la période qui suit la mort d'Alix Cléo Roubaud (le 26 janvier 1983), période pendant laquelle Roubaud vit à l'écart de ce qui l'entoure : quand le téléphone sonne, s'il décroche « cela ne prouve pas qu'il est vivant »6. Dans un poème titré significativement "Aphasie", il revient sur ce temps de silence : « Je n'ai pas pu parler pendant presque trente mois // Je ne pouvais plus parler selon ma manière de dire qui est la poésie »7. La date de la méditation, 21/7/85, est le signe du "journal", de l'autobiographie. L'énoncé pris en charge se rapporte au corps de la morte, remémoration de ce qui a été vu (« je regardais ») et non pas directement ce qui était éprouvé ; le regard sur le corps introduit une rupture entre le vivant et la morte, rupture présente dans la méditation qui ouvre le livre (« Je me trouvai devant ce silence »8), qui est infranchissable, et l'idée même de la consolation, de l'oubli, du « repos » est écartée. C'est l'image du corps mort qui s'impose et sa position évoque une attitude ancienne sur une photographie. Mais la photographie renvoie cependant à la lumière, donc au vivant — comme le noir du ventre lié à un temps où il y avait échange, ou le titre "la dernière chambre" — , alors que la jambe sans mouvement est à jamais figée. Le "noir du ventre" est aussi fréquent que le noir de ce "quelque chose" (« Tout se suspend au point où surgit un dissemblable. et de là quelque chose, mais quelque chose noir. »9) ; "noir" a deux valeurs opposées : couleur de la mort, de l'absence, il a aussi été lié au désir, au vivant (« Je te regardais. le sombre. le noir. le noir rangé sur le point vivant. de ton ventre. »10
La vie appartient au passé, c'est pourquoi est répétée sans relâche la description allusive de la morte — la proposition « Cette image se présente pour la millième fois »11 ouvrait la méditation d'ouverture. Il s'agit chaque fois non de la description d'un ensemble, puisque seul un ensemble pourrait se mouvoir, serait une personne, mais seules quelques parties sont retenues (« détails »), comme l'envers d'un blason du corps féminin ; il n'y a rien à dire de chaque partie, seulement nommée, et le tout est perçu non comme représentant le corps humain, « mais une morte ». La répétition de l'image de la morte, et celle parallèle des photographies (« Entouré d'image de toi »12), son appui pour que quelque chose de la femme aimée se maintienne, tout comme l'esquisse des récits titrés "roman". Dans ce cas, les fictions restituent, toujours au présent — « le temps de chaque monde possible est le présent »13 —, un univers où Alix Cléo est encore vivante, univers parallèle qu'il faut sans cesse recréer puisque le présent réel finit par s'imposer : « Quand il n'y a plus qu'un seul monde, où elle est morte, le roman est fini »14. La répétition aide, provisoirement, à aller « contre le temps », tout comme dire, écrire le nom donne l'illusion d'appeler la femme vivante — « Te nommer, c'est faire briller le prénom d'un être antérieur à la disparition »16 ; le nom, stable, s'oppose au désordre de l'incompréhensible néant.
La méditation lamartinienne adoptait la forme strophique, celle de Laforgue le sonnet, et l'ordre des formes figurait d'une certaine manière la tentative, sinon le succès, de canaliser la souffrance, le trouble. De ce point de vue, l'hétérogénéité17 de Quelque chose noirsuggère le contraire de l'apaisement : la mort fait vivre un temps bloqué, « stupéfié » pour reprendre le mot de Dominique Rabaté18. Ce n'est pas que les contraintes formelles soient inexistantes, au contraire ; Quelque chose noir se compose de 9 séquences, chacune de 9 poèmes de 9 vers non comptés, ou paragraphes. Le nombre 9 renvoie clairement à Dante (cité dans un poème), non seulement parce que chez lui l'Enfer compte 9 niveaux qui correspondent aux 9 cieux, mais parce que 9 est le nombre de Béatrice. On sait aussi que, dernier chiffre simple dans une série, 9 annonce une fin — symbole du chemin qui se clôt, donc de la mort — et, traditionnellement, un retour au point de départ, donc une renaissance. Cependant, la voie fermée avec la disparition ne se rouvre pas dans Quelque chose noir ; à l'ensemble 9x9 est ajouté un poème isolé, titré "rien" et daté de 1983, qui accumule les traits négatifs : l'absence de la terre (soit aucun renouveau) répond au rouge du soleil, et la « face aveugle de l'église » s'accorde avec les yeux qui « s'approchent / de rien ». Ces derniers mots, ce sont ceux de la « voix endeuillée [qui] temporalise le deuil à son rythme, qui est celui de la poésie » et qui dit « ce qui justement ne passe jamais : le chagrin sans remède, sans consolation transcendantale »20.
1 C'est encore Lamartine qui, dans Destinées de la poésie,, annonce que, dans l'avenir, « La poésie sera de la raison chantée [...] elle sera intime surtout, personnelle, méditative et grave [...] l'écho profond, réel, sincère, des plus hautes conceptions de l'intelligence, des plus mystérieuses impressions de l'âme. » Destinées de la poésie est le discours de réception à l'Académie française, prononcé en 1830 ; édition citée : Premières méditations poétiques, nouvelle édition augmentée de méditations inédites et de commentaires, Hachette et Cie, 1878, p. 66-67 (Gallica-BNF).
Victor Hugo emploie "contemplation", mot qui associe la perception (« Oui, contemplez l'hirondelle, / Les liserons », Les Contemplations, II, 19) et l'activité réflexive (« Ô souvenir ! trésor de l'ombre accru ! [...] L'œil de l'esprit en rêvant vous contemple, II, 28 »).
2 Jules Laforgue, dans Œuvres complètes, I, L'Âge d'homme, 1986, p. 401.
3 Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986.
4 ibid., p. 80.
5 ibid., p. 21-22.
6 ibid., p. 54.
7 ibid., p. 131.
8 ibid., p. 11.
9 ibid., p. 76.
10 ibid., p. 43.
11 ibid., p. 11.
12 ibid., p. 78.
13 ibid., p. 51.
14 ibid., p. 52.
16 ibid., p. 87.
17 Pour l'étude d'ensemble de Quelque chose noir, on lira : Michèle Monte, "Quelque chose noir : de la critique de l'élégie à la réinvention du rythme", Babel, 12, 2005, p. 263-286, article disponible en ligne : http/babel-revues-org/1093 ; Benoît Conort, "Tramer le deuil (table de lecture de Quelque chose noir), dans Jacques Roubaud, sous la direction de D. Moncond'huy et Mourier-Casils, "La Licorne", 1997, Presses universitaires de Poitiers, p. 47-58.
18 Dominique Rabaté, Gestes lyriques, "Les Essais", éditions Corti, 2013, p. 197.
20 ibid., p. 205.
Extrait de : La poésie comme espace méditatif, Sous la direction de Béatrice Bonhomme et Gabriel Grossi, p.307-311, collection Rencontres, Classiques Gaenier, 2015, 352 p., 37 €. Repris dans Sitaudis le 5 janvier 2024.
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21/12/2023
Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus
6.4311. La mort n’est pas un événement de la vie. La mort ne peut être vécue.
Si l’on entend pas éternité, non pas une durée temporelle infinie, mais l’intemporalité, alors celui)là vit éternellement qui est dans le présent.
Notre vie est tout autant sans fin que notre champ de vision est sans limite.
Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus, traduction Pierre Klossowski, préface Bertrand Russel, Gallimard, 1961, p. 104.
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28/11/2023
Louis Aragon, Le Paysan de Paris
Je ne veux plus me retenir des erreurs de mes doigts, des erreurs de mes yeux. Je sais maintenant qu’elles ne sont pas que des pièges grossiers, mais de curieux chemins vers un but que rien ne peut me révéler qu’elles. À toute erreur des sens correspondent d’étranges fleurs de la raison. Admirables jardins des croyances absurdes, des pressentiments, des obsessions et des délires. Là prennent figure des dieux inconnus et changeants. Je contemplerai ces visages de plomb, ces chènevis de l’imagination. Dans ces châteaux de sable, que vous êtes belles, colonnes de fumées ! Des mythes nouveaux naissent sous chacun de nos pas. Là où l’homme a vécu commence la légende, là où il vit.
Aragon, Le Paysan de Paris, dans Œuvres poétiques complètes, I, édition dirigée par Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 149.
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26/07/2023
Jean Tardieu, Essai d'explication de mes recherches en poésie (1943)
Seul le poème, parce qu’il est par excellence l’acte de la pensée, peut se placer dans ce courant réversible, dans ce passage continuel de l’être au néant, et du néant à l’être. La danse du poème, par les pesées et les allègements successifs du rythme, peut seule transporter le mouvement obscur du monde dans la lumière de la parole communicable. Là où la raison ne peut plus aller, la pensée poétique poursuit et là où, dans la sombre étincelle du poème, on se sent bousculé, au-delà de toute élucidation logique, par le choc du pressentiment, c’est alors que le poème devient identique à la permanente contradiction et prend part avec angoisse, avec allégresse, à la « geste » du monde.
Francis Ponge, Jean Tardieu, Correspondance, 1941-1044, édition présentée et établie par Delphine Hautois, Gallimard, 2022, p. 145
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14/07/2023
Jude Stéfan, Rimbaud et Lautréamont
Parution Juin 2023
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10/09/2022
Bernard Noël, La Chute des temps
Dispersé
le parfois
les petites pattes du présent
l’abîme sur les talons
la chose de la chance
fait du front
ô grands yeux
un passant parmi les livres
et les douceurs
la beauté désastreuse
comment écrire : c’est ça
voici le mot vent
il ne souffle rien
que souffle le vent
la main touche l’air
et s’envole
Bernard Noël, La Chute des temps,
Poésie/Gallimard, 1993, p. 149.
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11/04/2022
Jean-Paul Demoule, Homo migrans
L’invention de l’agriculture et de l’élevage, ce qu’on appelle en Eurasie le « néolithique », allait bouleverser l’équilibre écologique de la planète. Pourquoi est-elle intervenue précisément à ce moment -là, à partir de 100 000 ans avant notre ère ? Deux facteurs ont été réunis. D’une part, la dernière période glaciaire, celle appelée Würm en Europe occidentale et Wisconsin en Amérique du Nord, s’est achevée et a donc apporté des conditions nettement plus favorables à la domestication des plantes. Un climat froid régnait en effet sur la Terre depuis environ cent mille ans. Mais lors du précédent interglaciaire, entre -130 000 et -115N 000 ans avant notre ère, Sapiens n’en avait pas pour autant inventé l’agriculture. Car il manquait un autre facteur favorable : une complexité croissante du cerveau humain et de ses facultés d’invention et d’adaptation.
Jean-Paul Demoule, Homo migrans, De la sortie de l’Afrique au grand confinement, Payot, 2022, p. 41.
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05/02/2022
Jacques Lèbre, Le poète est sous l'escalier
Un (...) thème qui me fait remarquer facilement des correspondances, c’est celui de la répétition. À vrai dire, je n’ai jamais senti de répétition dans la répétition, car elle est toujours peuplée d’infimes ou d’infinies variations. Entre un paysage familier aux états d’âme changeants et soi-même aux états d’âme tout aussi changeants il ne saurait y avoir de répétition. Cela pourrait commencer par Paul Valéry d’une façon aussi radicale que laconique : L’habitude est un excitant. Cela pourrait se poursuivre avec Georges Borgeaud dans Le soleil sur Aubiac : À me pencher sur la répétition, je ne ressens ni lassitude ni ennui et quand parfois mon enthousiasme s’amincit, j’en souffre comme le mystique qui se croit privé de la présence de Dieu. Mais c’est un livre plus récent qui m’a fait rouvrir celui de Borgeaud et chercher dans les Cahiers de Paul Valéry. Joël Cornuault, l’un de nos meilleurs écrivains buissonniers, écrit dans Liberté belle : Quoi qu’ils soient familiers , aucune usure ne semble pouvoir nous gâcher les formes ou l’atmosphère de nos tours rituels ; l’aspect général nous étant désormais bien connu, nous savons acclamer sur la route le plus petit fait nouveau, à nous seul perceptible : nous aimons entrer dans les détails sur ce chemin sans inquiétude, propice à la réflexion. Voilà une promenade qui est toujours la même et toujours une autre. Mais n’en irait-il pas de même dans la deuxième ou troisième relecture d’un livre ?
Jacques Lèbre, Le poète est sous l’escalier, Corti, 2021, p. 34-35.
Photo T. H., 2018
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10/01/2022
Le français fout le camp ! Vraiment ?
Très régulièrement, comme reviennent la grippe et, maintenant, le covid, le même discours catastrophiste s’alarme de l’« invasion » du français par l’anglais, et même par l’arabe avec les immigrés. Il y a « danger mortel » pleure l’Académie française, le français recule sur tous les fronts, lit-on ici et là (y compris sur Sitaudis !). Au secours ! il faut sauver, protéger notre langue (la mettre sous cloche ?), et les doctes d’occasion se répandent en chroniques et en ouvrages contre l’agression, l’attaque, la pollution, la dégradation, la perdition, etc. de « notre » belle langue française — que recouvre ce « notre » ? Quelqu’un n’a même pas hésité à donner à son livre le titre de Notre langue française.
Ces prises de position sont, clairement, politiques. Sont mis en cause, à des doses variables selon l’auteur, l’anglais, la mondialisation, l’Europe, les migrants, l’internet, les médias, les réseaux sociaux, l’argot, les jeunes (qui ne savent plus rien, c’est bien connu), les SMS, etc. Les donneurs de leçon oublient, ou plutôt, ne savent pas du tout que déjà au XVIe siècle de bonnes âmes se lamentaient à propos de la dégradation de la langue, cette fois c’était à cause du latin et, pour faire un bond dans l’histoire, les mêmes ignorent que les ouvrages type Dites... Ne dites pas se multiplient après 1800, et les défenseurs de la tradition s’obstinaient à écrire -oi pour -ai dans les conjugaisons. Qui ne connaît pas un de ses contemporains qui rejette les dictionnaires d’aujourd’hui (Larousse ou Robert, peu importe) et ne jure que par le Littré (1863-1872, première édition), passionnant pour l’histoire, aberrant pour l’utilisateur d’aujourd’hui — Littré note encore pour fille une prononciation avec -l- mouillé, comme dans l’italien figlia, prononciation déjà disparue au début du XIXe siècle pour la plus grande partie de ceux qui parlaient le français (ce n’était pas, loin de là la majorité des Français).
Tous ceux qui poussent des cris effarouchés sur les pratiques linguistiques dénoncées comme « mauvaises » ignorent, la plupart du temps, la manière dont parlent et écrivent "les" Français ; ils se limitent à quelques exemples, toujours les mêmes, sans jamais être allés écouter parler, allés lire ces Français qui parleraient, écriraient une langue « dégradée ». Ils ont décidé qu’une partie de la population (c’est à géométrie variable pour la définition de cette partie) parle mal, écrit mal. Et leurs solutions sont parfois comiques pour la défense du français ; rions un peu : l’Académie, pour qui le français est en « danger mortel » a proposé mèl pour traduire mail, donc une simple approximation phonétique qui n’a pas d’équivalent morphologique en français ! On multiplierait les exemples aisément ; qui peut défendre chariot à côté de carriole ? honneur à côté de honorer — Voltaire s’indignait déjà de cette anomalie. Au nom de la « richesse » de la langue ? de l’étymologie ? Fadaises.
La langue n’est pas un organisme naturel, mais une construction historique, sociale, politique. L’ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 impose l’usage du français dans les actes administratifs à l’exclusion de toute autre langue (et non pas, l’usage général du français, comme l’a dit le Président de la République en 2017) ; certes, on pourrait y voir seulement une simplification administrative, c’était aussi fortement une affirmation du pouvoir de la monarchie. La pratique de la langue, il est encore besoin de l’écrire, n’est pas la même d’une classe sociale à l’autre, et cette pratique différente est utilisée pour faire le tri : entre ceux qui parlent, écrivent « mal » et les autres, même si on ne refuse pas le baccalauréat aujourd’hui à qui ignore l’usage du trait d’union, comme en 1900.
La langue ne se « dégrade » pas : elle change, et si l’on s’accroche au mythe d’un passé « meilleur », on refuse ses aspects historique, social et politique, nécessaires à comprendre si l’on veut penser sa vitalité aujourd’hui, apprécier sa littérature. Les ouvrages sur ces questions sont abondants, qu’on relise l’un des tout derniers parus, ô combien stimulant : Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, de deux linguistes qui savent de quoi elles parlent, Maria Candea et Laelia Véron (La Découverte, 2018). Cette chronique a été publiée dans Sitaudis le 7 décembre 2021.
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01/01/2022
Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer, ce qui nous soulève 2
Dire il est temps, c’est tout autre chose que de dire on a le temps, par exemple. Celui qui croit pouvoir affirmer qu’il « a le temps », croit, en réalité, disposer du temps ou le posséder, l’« avoir » en quelque sorte, ce qui lui permettra toutes les manœuvres subjectives, toutes les procrastinations, tous les calculs, toutes les fuites, toutes les lâchetés politiques. Mais quand il est temps — et plus encore quand il est grand temps, façon d’« intensifier ou d’accentuer l’expérience de ce temps ci — nous ne disposons plus de rien, c’est plutôt le temps lui-même qui dispose de nous, nous entraîne dans son tourbillon et nous « possède », nous investit de sa force qui est souveraineté du kairos, irruption ou éruption de l’urgence historique... La question demeurant de savoir, à chaque fois, quand et comment les subjectivités accordent leurs désirs, depuis le temps où ils se sont psychiquement formés pour comprendre, pour décider qu’il leur faut agir à temps, et donc se soulever maintenant ou jamais.
Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer, ce qui nous soulève 2, éditions de Minuit, 2021, p. 12.
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06/12/2021
Georges Didi-Huberman, Niki Giannari, Passer, quoi qu'il en coûte
(...) Après tout, les réfugiés ne font que revenir. Ils ne « débarquent » pas de rien, ni de nulle part. Quand on les considère comme des foules d’envahisseurs venus de contrées hostiles, quand on confond en eux l’ennemi avec l’étranger, cela veut surtout dire que l’on tente de conjurer quelque chose qui, de fait, a déjà eu lieu : quelque chose que l’on refoule de sa propre généalogie. Ce quelque chose, c’est que nous sommes tous des enfants de migrants et que les migrants ne sont que nos parents revenants, fussent-ils « lointains » (comme on parle des cousins). L’autochtonie que vise, aujourd’hui, l’emploi paranoïaque du mot « identité », n’existe tout simplement pas et c’est pourquoi toute nation, toute région, toute ville ou tout village sont habités de peuples au pluriel, de peuples qui coexistent, qui cohabitent, et jamais d’« un peuple » autoproclamé dans son fantasme de « pure ascendance ». Personne en Europe n’est « pur » de quoi que ce soit — comme les nazis en ont rêvé, comme en rêvent aujourd’hui les nouveaux fascistes — et si nous l’étions par le maléfice de quelque parfaite endogamie pendant des siècles, nous serions à coup sûr génétiquement malades, c’est-à-dire « dégénérés ».
Georges Didi-Huberman, Niki Giannari, Passer, quoi qu’il en coûte, éditions de Minuit, 2017, p. 31-32.
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29/09/2021
Philippe Beck, sur la notion de bifurcation
L'une des notions contemporaines les plus intéressantes et passionnantes, et pour ainsi dire apéritives, est la notion de la bifurcation. Imaginons la vie contemporaine sous sa forme réelle, comme dans l'étang de Leibniz : il s'agit d'un ensemble de rencontres plus ou moins fortes, où chacun approche d'autres êtres et s'en éloigne, où tous représentent un ensemble de forces variables avec leurs ondes croisées. Quelqu'un est une force; ce qui signifie qu'il est une promesse. Quelle promesse? L'être que je rencontre est la silhouette d'un bonheur (d'une augmentation de la beauté ou de la puissance de vivre) ou d'un malheur (d'une diminution ou d'un affaiblissement). Chacun suscite les ondulations d'une rêverie, et cette flottante excitation qu'on appelle une rêverie, fantastique entre deux moments d'existence, est à la fois intense et aléatoire. En ce rêve intermédiaire où s'anticipent les mouvements, l'imagination réelle, qui accorde à l'autre une force particulière (elle se contracte dans une image, une idée sensible faite de jugements, d'impressions etc.), bifurque régulièrement comme un poisson aérien : l'ordinaire de la vie, c'est l'orientation de la silhouette dans telle direction, près ou loin des rencontrés, selon les besoins de la persistance. La plasticité de l'espace est la ressource du rêve. Chacun est un chemin qui mène quelque part, de demi-jour en demi-jour. Le fait de savoir qu'à tout moment le chemin peut devenir autre ne rassure en rien, mais il atteste le champ de forces où sourires, écoutes, contacts voluptueux, poignées de mains, etc., sont chaque fois la promesse ou le rejet d'un mieux. Le rythme d'élaboration de ce mieux est tissé d'apparitions et de disparitions. Des décisions se prennent en chacun pour aller ici ou là, sous la loi de l'espace un et multiple. Sans doute, le réel contemporain est-il déterminé par le règne du tremblement de terre : le sol peut à tout instant se dérober sous nos pas, compromettant la possibilité d'un chemin. Sans doute, une vie tremble désormais sur ses bases, ou bien encore : les bases ne se maintiennent que sous la forme du tremblement. Pourtant, rien n'est plus beau et suscitant qu'une bifurcation, puisqu'elle signifie qu'un monde possible a failli ne pas exister. Elle veut dire aussi qu'un monde ancien, en chaque vie, vient de s'enfoncer dans les ténèbres où disparaît ce qui n'a pas interdit la transformation de la balade terrestre. Et cette balade particulière, émouvante, se trame auprès des rencontrés, des estompés, des éloignés. Elle constitue l'extraordinaire vie générale divisée et commune, mobile et immobile comme une hilarotragédie.
(Publié le 27 septembre dans Sitaudis)
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26/07/2021
Quand le grotesque envahit l'agora...
Il est difficile de lutter contre l’ignorance et la bêtise, qu’entretiennent l’extrême droite et ceux qui se prétendent d’extrême gauche ; comment faire comprendre que des maladies comme la coqueluche, la variole, etc., ont été éradiquées grâce à la vaccination à ceux qui mettent en avant leur « liberté » ou qui imaginent que la France est maintenant une dictature ? La revue Hérodote a publié le 25 juillet un bref panorama de la sottise malheureusement de plus en plus affichée et des actes imbéciles qui l’accompagnent.
Le grotesque envahit l'agora !
Chacun s’est ému à juste titre de l'étoile jaune « Sans Vaccin » arborée par des manifestants, ces derniers jours. Cette mascarade témoigne de la bêtise abyssale desdits manifestants qui placent leur légitime opposition au vaccin sur le même plan que la Shoah. Ils ont tout oublié de ce qu’ils ont appris à l’école sur les horreurs du nazisme. C'est un témoignage parmi d'autres de l'indécence qui envahit les débats publics...
Déjà, il y a quelques années, des militants immigrationnistes, valise à la main, simulaient un départ pour les camps de la mort en vue de dénoncer les contrôles d’identité d’immigrants illégaux.
Plus généralement, depuis plus de deux décennies, aux États-Unis et maintenant en France, l’Histoire est allègrement bafouée par des universitaires. Ils n’ont pas l’excuse comme Alexandre Dumas de lui « faire de beaux enfants » mais la brutalisent sans scrupule à seule fin de la rendre méconnaissable et haïssable.
Les énergumènes qui déboulonnent les statues de Schœlcher, Lincoln ou Colomb… ou décrochent le portrait d’Elizabeth II ont le visage hideux de la bêtise, celle qui sert tous les tyrans. Ce sont les frères en démonerie des jeunes nazis qui brûlaient les « écrits juifs nuisibles » en 1933 ou des gardes rouges chinois qui torturaient à mort leurs professeurs en 1966. Leur haine des uns et des autres se nourrit de la lâcheté des citoyens, de notre lâcheté.
La langue et la littérature en prennent aussi pour leur grade. Des plumitives (le féminin s’impose) ne craignent pas de soutenir que la langue de Molière serait à l’origine de leur soumission ancestrale du fait de la prévalence du masculin sur le féminin dans les accords grammaticaux. Peu importe la réalité, à savoir que la France d’Aliénor, Christine de Pisan, Jeanne d’Arc, Mme du Châtelet, George Sand, etc. etc. peut s’enorgueillir de respecter et honorer les femmes plus et mieux (moins mal en tout cas) que la plupart des autre pays !
Voilà donc notre langue à son tour martyrisée par une écriture « inclusive » qui fait écrire sur les affiches de la Mairie de Paris : « Chèr.e.s Parisien.ne.s » (avec accent grave !). Que ceux qui ne comprennent pas cette orthographe s’adressent à Madame la Maire de Paris, ville autrefois appelée Ville-Lumière.
Dans les universités ou les théâtres, lieux culturels destinés à la diffusion du savoir et financés par des travailleurs qui, eux, n’ont jamais bénéficié dudit savoir, on censure à tour de bras sous les prétextes les plus risibles ou les plus contestables.
Telle philosophe croit que la procréation médicale assistée doit rester un acte thérapeutique. Qu’elle soit brûlée ! Celui-là joue une pièce du répertoire grec avec des masques africains. Qu’il soit pendu ! Et que dire de cet éditeur néerlandais qui a voulu confier à une « blanche » la traduction d’un poème de l’Afro-Américaine Amanda Gorman ? Devant le tollé, il a dû renoncer et s’excuser. L’éditeur français Fayard n’a pas pris de risque : il a officiellement confié la traduction à une chanteuse africaine. À grotesque, grotesque et demi.
Nous n’avons pas fini de nous amuser car, selon une formule célèbre, « quand la borne est franchie, il n'est plus de limites ! » Au sein de la mouvance LGBTQIA+ (nous nous sommes renseignés, ça voudrait dire : Lesbien Gay Bi Trans Queer Intersexe Asexuel…), ne voilà-t-il pas que des trans (hommes devenus « femmes ») voudraient participer aux compétitions féminines au grand scandale des sportives ordinaires. Ca tangue dans les « luttes intersectionnelles » !
Qui dit mieux ? Hé bien, le comble de l’indécence serait à chercher chez les multimilliardaires. Richard Branson, Jeff Bezos et Elon Musk, détenteurs d’une richesse sans mesure (merci à tous les utilisateurs d’internet et du commerce en ligne), n’ont encore rien trouvé de mieux que de s’envoyer dans l’espace et ils invitent tous les Midas de la planète à en faire autant… contre espèces sonnantes et trébuchantes. Belle idée ! Quand l’humaine humanité se demande comment survivre au dérèglement climatique et à la pollution causés par nos SUV, nos écrans vidéos géants, nos aéronefs, voilà que se profile une nouvelle activité encore plus énergivore et polluante que les précédentes. Au moins, « cela créera des emplois » !
Après ce survol très incomplet de notre époque, dites-nous à qui vous attribuez la palme du grotesque.
André Larané
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30/06/2021
Jean Genet, Ce qui est resté d'un Rembrandt...
C’est seulement ces sortes de vérités, celles qui ne sont pas démontrables et même qui sont « fausses », celles que l’on ne peut conduire sans absurdité jusqu’à leur extrémité sans aller à la négation d’elles et de soi, c’est celles-là qui doivent être exaltées par l’œuvre d’art. Elles n’auront jamais la chance ni la malchance d’être un jour appliquées. Qu’elles vivent par le chant qu’elles sont devenues et qu’elles suscitent.
Jean Genet, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et jetés aux chiottes, dans Œuvres, IV, Gallimard, 1968, p. 21.
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