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15/03/2025

age

      henri droguet, petits arrangements avec les mots, mirage

                          Mirage 

Ce jour-là la lumière ajuste ses malices

au ciel équarri rempaillé remue-ménage

d’impondérables inachevés nuages

bouquets de tarlatane et de papier crépon

  

la pluie   auberge   échauffourée  rêverie

très lointaine et donc détresse

repasse à la va-vite

 

la luzerne est froide

les pampres verts                                                                                                                                                                                            

la beauté toute la beauté

                                       crie

 

dans son nid tissé d’azur

l’enfant la mer aux poches s’émerveille

poursuit ses romances

 

                      « Dis veilleur

                       Où en est la nuit ?

                       Où la tempête

                       et la douleur ?

                       Où la vie ? »

                                                    10 avril 2023

 

Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,

Gallimard, 2025, p. 92.

                

14/03/2025

Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots

henri droguet, petits rangements avec les mots, chimère

               Chimère

 

Quelque part vers d’instables confins

dans l’énormité taciturne

l’aridité minérale des collines chauves

et le ciel à la fin lavé

qui ne fait plus son âge

un nuage petit miroir à cendres

                        miroir à nuit

inconsistant furtif galvanisé

toujours presque le même

tout simplement s’exténue

l’air s’allège

 

un monstre inexistant mugit partout

parmi d’autres murmures

et la forêt à quelques pas grondante

n’est plus qu’un songe arraché au silence

le voyant pesé jeté

soufflé    l’enfant provisoire

qui passait ici    passait

                  là

toujours à pas d’heure

ne marche plus

                                             26 novembre 2023

 

Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,

Gallimard, 2025, p. 70.

13/03/2025

Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots

 

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     Intempestif

 

Insaisissable incolore le vent

longuement passe déborde

aux écheveaux plus noirs

que le noir    édredons aveugles    guenilles

 

une menue rivière va s’écoule

dans une lisière

et l’épais temps simplement perdu

 

l’enfant l’autre sans trace ni visage

étranger rebelle qui rêvasse encore

dans l’accès partagé

sous le grand ciel berceau caréné

il déchiffre et défriche

caresse son épave

 

son compte est rond

son compte est bon

                                                   20 septembre 2023

 

Henri Droguet, Petits arrangement avec les mots,

Gallimard, 2025, p. 62.

12/03/2025

Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots

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      Contremarche

Gisement buissonnier fouillis feuilleté

les nuages les impalpables courent

ke vent se produit    il se précipite

dévore le mitoufle et la pontaine

c’est droit devant le noir à pluie passée

 

cœur à nus le figurant contrefait

ébloui s’engouffre bricole

et salue la beauté     toute la beauté

un ange passe.    On écoute

les eaux dans la nuit légères et fuyantes

l’automne sonore et le déferlement rentamé

de la mer bossue plus ou moins qui s’affuble

la route sera longue et rouge

                                                         7 mars 2022

 

Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,

Gallimard, 2025, p. 47.

                  

 

11/03/2025

Gérard Macé, Silhouette parlante

 

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Les portraits retouchés en rêve

dont les couleurs pâlissent au lever du jour.

 

Les dignitaires disparus, effacés

des photos où l’on refait l’histoire.

 

Les acteurs vampirisés par leur rôle

dont on a oublié le vrai visage.

 

Nous vivons entourés de trous noirs

où s’engouffre le réel,

mais nous avons les illusions des chercheurs d’or

attirés par ce qui brille au fond d’une bassine.

 

Gérard Macé, Silhouette parlante, Gallimard, 2025, p. 60.

10/03/2025

Près des bords du Cher

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Photos Chantal Tanet

09/03/2025

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse

 

     jacques lèbre, sonnets de la tristesse, enfance

Dis-moi, petite, la réalité ne serait-elle

qu’un peu d’eau que l’on prend dans sa main

et qui s’évapore ? L’enfance était-elle ce paradis

où la mort n’existait pas, où tout était réel ?

Où retrouverions-nous un peu de cette innocence

sinon dans l’amour ? L’amour est comme le sol

qui écorchait, lorsqu’on le rencontrait, en tombant.

 

Jacques Lèbre, L’amour est comme le sol, dans

Sonnets de la tristesse, Le temps qu’il fait, 2025, p. 73.

08/03/2025

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse

      jacques lèbre, sonnets de la tristesse, amour

 

À plat ventre sur un banc de pierre,

une petite fille émiette du pain.

Elle parle aux moineaux sous les branches

et les arbres acquiescent à cette source.

Le monde règne ans une fraîche unité.

Sauf que dans l’allée les passants s’en vont,

les arbres font de vastes gestes d’adieu

et je ne sais pas ce qui là se brise.

 

Jacques Lèbre, L’amour est comme le sol, dans

Sonnets de la tristesse,Le temps qu’il fait, 2025, p. 69.

07/03/2025

Julia Peker, Marelle : recension

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                                    « démêler les ombres »

 

Jusqu’à une époque récente les enfants blessés dans leur vie et éprouvant les plus grandes difficultés à se construire, finissaient le plus souvent, devenus adultes, à la dérive ; l’aide extérieure nécessaire pour les aider, relativement récente, en sauve une partie du désespoir de vivre. Julia Peker, psychologue clinicienne, reçoit ces enfants et adolescents, garçons et filles, que la vie a commencé très tôt à détruire. Ses poèmes ne sont pas des comptes rendus de séances, ils ont été écrits à partir de soins faits d’écoute et d’échange, aussi l’expression « poèmes cliniques » de l’auteure pour les définir paraît-elle inadéquate : ils n’ont pas vocation à être lus par ceux et celles qu’elle a accompagnés dans leur détresse, mais par des lecteurs de poésie. Ces poèmes, en strophes de quelques vers brefs, rarement plus de vingt, restituent, en belle page, le "portrait" d’une rencontre qu’un titre, page de gauche, tente de présenter. 

 

Marelle est aussi le titre d’un poème qui met crûment en lumière, la quasi-impossibilité d’un enfant cabossé de s’adapter à certaines pratiques sociales, ici à un jeu qui, en principe, n’est pas solitaire, courant dans les cours de récréation autrefois. Après avoir tracé sur le sol le dessin d’une marelle, l’enfant ne parvient pas à sauter, sans doute par crainte d’échouer ; preuve d’un rapport au monde, difficile ou peut-être impossible, qui apparaît avec force au lecteur. Souvent, les titres des poèmes sont éloquents : le saut, SOS, Noir, le cri, mutique, survivre à la nuit, la langue de personne, etc.

 

On devine que des drames familiaux, des violences, le décès d’un proche ou (et) l’absence des plus simples sentiments d’affection ont été à l’origine des troubles profonds que la psychologue tente de comprendre pour chercher avec l’enfant à les réduire. Mais il est rare que quoi que ce soit s’exprime à ce sujet. Souvent l’enfant reste muet, se ferme, parle d’autre chose, parfois quitte la pièce en refusant la main tendue, ce que traduit, parmi d’autres, une strophe :

 

                       tes mots ont pris le pli

s’avancent sur des lignes parallèles

pour ne jamais croiser

ce qui pourrait remonter du dedans

ne rien déterrer de tes nuits

ne rien voir de ce qui s’écroule

quand tu cherches à tenir  

 

Quelle que soit la qualité de son écoute, l’adulte se retrouve régulièrement devant un enfant qui garde « un secret/défendu par la peur ». "Peur" est un des mots récurrents, marque du malaise d’exister, d’être  : c’est « la peur d’être vu », c’est « la peur [qui] secoue sans bruit [l]es épaules », c’est la peur de dire ce qui provoque la peur. Alors la voix « trébuche » de ne pouvoir dire, de ne pouvoir sortir d’un « labyrinthe à sens unique », et si l’on s’extrait du dédale c’est pour rester devant des « portes closes » : personne n’attend personne à la sortie. 

 

La rencontre avec l’enfant ou l’adolescente(e) s’organise pour l’essentiel à partir de ses gestes, de ce qu’il peut dire et non de questions ; parfois, des mots mal acceptés parce qu’ils viennent de l’adulte — de l’autre —, provoquent le refus, interrompent toute possibilité d’échange, l’enfant s’absente ou se retire de la pièce, « le moindre mot/le moindre geste/et tout explose ». À l’inverse, le refus de la proximité peut se manifester par un flot de mots qui, d’une autre manière que le silence, éloigne la parole amie en face de soi, alors « les mots s’empilent/sans vraiment s’enchaîner ». Ce n’est pas dire que toute tentative d’approche échoue, que la psychologue ne peut rien faire ; même quand l’enfant se vit « seul contre tous », il essaie toujours de ne pas rompre avec ce "tous" et c’est par le regard qu’il accepte une aide, ce que relève l’auteure, « pour ne pas sombrer/ dans un gouffre sans fond/tu te contentes/ de croiser mon regard ». Le regard est, souvent, la voie d’où part une sorte de dialogue et, aussi, celle qui le bloque — on lit , parmi d’autres exemples, « ton regard se retire », « tes yeux sans regard s’enroulent en dedans ».

 

Même quand les mots s’échangent, ils ne font pas disparaître une tristesse, une douleur, des manques, la hantise de la perte, le sentiment que « les couleurs de la vie / [sont] introuvables ». Comment évacuer « les gravats de l’enfance » ? comment restituer sa plénitude à des « corps en morceaux », à une « unité morcelée » ? comment cette « plage secrète / délivrée des cris et du temps » à laquelle tous ces êtres blessés aspirent ? On sait que toute cette misère, depuis toujours, naît et se développe parce que la société ne se soucie pas, ou très peu, de la difficulté à se vivre, parce que les uns et les autres ignorent cette souffrance. Pourtant, elle est souvent proche et Julia Peker dit justement « mais que verrions-nous/sans tes questions qui font tourner le monde ? »

 Le commentaire de sitaudis.fr


Julia Peker, Marelle. Dessins d’Edna Lindenbaur. Préface de Jean-Louis Giovannoni. L’Atelier contemporain. 176 p.. 25 €. Cetterecension a été publiée par Sitaudis le 18 janvier, 2025.

 

 

06/03/2025

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse

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Toutes les relations familiales, amicales,

nous tiennent par des fils plus ou moins tendus ,

cela dessine une sorte de toile, semblable

à celle que tissent les araignées silencieuses.

 

Mais si jamais il n’y a plus aucun de ces fils

l’âme tombe peu à peu en déshérence .

Quand elle n’est plus tenue par aucun lien,

alors, alors la tête tombe sur la poitrine.

 

C’est aussi qu’il n’y a plus d’horizon

où résiderait encore quelque espérance ténue

en route vers cet ici si désolant.

 

Je veux dire celui de la maison de retraite

où l’on parque tous ces vieillards, les uns

après les autres, mis là comme au rebut.

 

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, Le Temps

qu’il fait, 2025, p. 33.

05/03/2025

Jacques Lèbre , Sonnets de la tristesse

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Et si tout était complètement faux ? Que sais-je au fond,

de la vie intérieure de ma mère ? Ce que j’imagine

n’est peut-être d’aucune vérité dans la réalité.

Alors on dira que c’est de la poésie, dans un sens péjoratif.

 

Soit je suis dans la justesse, soit je suis dans l’erreur,

mais une maison de retraite n’est pas un endroit très gai.

Je me souviens de l’une d’elles et de l’ami qui s’y trouvait,

elle était dans un cadre bucolique, c’était un mouroir.

 

L’ami laissé lui-même (il avait perdu la mémoire)

serait vite devenu grabataire s’il y était resté,

pour qu’il se lève de son lit, il fallait le soutenir.

 

Je ne sais s’il y a une parte de vérité dans ce que j’écris,

mais si j’écris, sans doute est-ce pour répondre à un choc,

faire ressentit peut-être, ce qui ressemble à une violence.

 

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, Le Temps

qu’il fait, 2025, p. 40..

04/03/2025

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse

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3

Quelle tristesse… Tous ces vieillards assis

sur des fauteuils ou des fauteuils roulants, immobiles,

en rangs d’oignons ou en cercle dans la salle commune,

menton qui tombe sur la poitrine et qui semblent

 

ne plus rien attendre — sinon la mort.

Et quand vous passez, quelques têtes, mais pas toutes,

se relèvent, se tournent lentement, à mesure,

vous suivent des yeux — telles des vaches dans un pré.

 

Une fin de vie peut durer très longtemps,

et si l’on a toujours la conscience du temps…

Quelle tristesse … Tous ces regards éteints,

 

ce silence des vies qui viennent ici finir

et dont on ne soupçonne même pas ce qu’elles furent

ailleurs en leurs lieux et en leur temps.

 

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, Le Temps qu’il fait,

2025, p. 27.

03/03/2025

Kafka, Journal

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Le voisin fait pendant des heures la conversation à la logeuse. Tous les deux parlent bas, la logeuse est presque inaudible, ce n’en est que plus énervant. J’ai interrompu l’écriture qui était repartie depuis deux jours, qui sait pour combien de temps. Désespoir pur. En est-il ainsi dans chaque logement ? Une telle détresse ridicule et nécessairement mortelle m’attend-elle chez chaque logeuse, dans chaque ville ? (…) Mais cela n’a pas de sens de désespérer immédiatement, plutôt chercher des moyens d’action, si fortement que — non cela ne va pas contre mon caractère, il y a encore un reste de judaïsme coriace en moi mais voilà, le plus souvent il aide la partie adverse. 

Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, 2020, NOUS, p. 745.

02/03/2025

Kafka, Journal

 

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Il ne veut pas de consolation, mais pas parce qu’il n’en veut pas — qui n’en voudrait pas — mais parce que chercher la consolation signifie : consacrer sa vie à ce travail, vivre toujours au bord de sa propre existence, presque en dehors d’elle, ne presque plus savoir pour qui on cherche la consolation et du coup ne même plus être capable de trouver une consolation efficace (efficace, pas vraie, celle-là il n’y en a pas).

 

Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, 2020, NOUS, p. 745.

01/03/2025

Kafka, Journal

 

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J’ai rêvé aujourd’hui d’un âne ressemblant à un lévrier, qui était très réservé dans ses mouvements. Je l’observai avec précision parce que j’étais conscient de la rareté de l’apparition, mais je ne conservai que le souvenir de ce que ses pieds étroits, ceux d’un humain, ne purent me plaire à cause de leur longueur et de leur symétrie. Je lui offris des bottes de cyprès frais, vert foncé que je venais de recevoir  d’une vieille dame de Zurich (toute la scène se passait à Zurich), il n’en voulait pas, les reniflait à peine ; mais dès que je les eux posées sur une table il les dévora si complètement qu’il n’en resta qu’un noyau semblable à une châtaigne et à peine reconnaissable. On raconta plus tard que cet âne n’était encore jamais allé sur ses quatre pattes mais qu’il se tenait toujours debout comme un homme et qu’il montrait sa poitrine brillante et argentée, ainsi que son petit bedon. Mais en fait cela n’était pas exact.

 

Kafka, Journal, édition NOUS, traduction Robert Kahn, 2020, p. 178.