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21/03/2023

Jean Tardieu, Formeries

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Un chemin

 

Un chemin qui est un chemin

sans être un chemin

porte ce qui passe

et aussi ce qui ne passe pas.

 

Ce qui passe est déjà passé

au moment où je le dis.

Ce qui passera

je ne l’attends plus je ne l’atteins pas.

 

Je tremble de nommer les choses

car chacune prend vie

et meurt à l’instant même

où je l’écris.

 

Moi-même je m’efface

comme les choses que je dis

dans un fort tumulte

de bruits, de cris.

 

Jean Tardieu, Formeries, Gallimard,

1976, p. 50.

20/03/2023

Jean Tardieu, Formeries

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       Les caractères illisibles

 

Ce que tu assembles, ce que tu divises

se passe au fond de ton sang

hors de ta volonté : tu assistes

et tu te révoltes de n’être qu’un témoin

sans nul pouvoir.

 

Cette faible vie, tu aurais voulu la dominer

et tu ne parviens

(à force de vigilance)

qu’à percevoir en-deçà et au-delà

des éclairs indéchiffrables

quelques lointains roulements

annonçant que tout se prépare.

 

Bientôt ce qui est imprévu sera là

et ce que nous attendions s’enfuira.

Nous serons atteints par surprise

sans avoir compris sans savoir lire

les figures de nos propres rêves

pourtant inscrites en lettres géantes

sur la face changeante des nuages.

 

Jean Tardieu, Formeries, Gallimard,

1976, p. 74.

 

 

19/03/2023

Jean Tardieu, Margeries

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                  Insomnie

 

Tard, très tard, je veille les yeux fermés,

je vais dans ma nuit, je vais, je rame

entouré de formes invisibles

douces ou terribles, que je tiens

comme un enchanteur mille démons

et parfois je fais surgir de l’ombre

un visage, un feu ou une fleur

nés pour un instant, nés pour mourir,

car j’ai toujours mon fidèle abîme

où replongeront toutes figures.

La fleur tourne au vent, me dit adieu,

un pâle rayon sur sa corolle,-

et le précipice l’engloutit.

 

Jean Tardieu, Margeries,

Gallimard, 1986, p. 222.

18/03/2023

égéries, un oiseau fin de moi

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Un oiseau loin de moi

 

Un oiseau loin de moi

Une fleur sous la neige

Une maison qui brûle

 

Un noir mourant de soif

Un blanc mourant de faim

Un enfant qui appelle

 

Le vent dans le désert

La ville abandonnée

L’étoile solitaire

 

En voilà bien assez

Pour que je vous ignore

Beaux jours de mon été

 

Jean Tardieu, Margeries,

Gallimard, 1986, p. 167.

17/03/2023

Jean Tardieu, Comme ci comme ça

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Le vivant prolongé

 

                  (Avec naturel.

                   Familièrement, comme ça)

 

Le mort qui est en moi

s’impatiente

 

Il tape dans sa caisse

à bras raccourcis

Il voudrait qu’on le montre

une dernière fois

 

Quant au vivant

ça va pas mal merci

 

pour le moment.

 

Jean Tardieu, Comme ci comme ça,

Gallimard,1979, p. 63.

16/03/2023

Jean Tardieu, Comme ceci comme cela

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Insomnie

 

Ma longue nuit les yeux ouverts

seul délivré je veille

pour ceux qui dorment.

 

Rendu à l’espace

à l’empire du souffle

bien au-dessus des demeures.

 

Vertige lucide. J’entends monter

vers moi le hurlement secret des morts

le tonnerre d’un monde éteint 

silence assourdissant    langage

des énigmes confondues.

 

Bientôt (toujours trop tôt)

la retombée le masque aveuglant

le piège   délice de vivre

 

Je verserai dans le jour

trésor accumulé des nuits

cette réserve obscure

cette ombre comme la mer

où dansent les feux en péril.

 

De nouveau les rumeurs à la dérive

 

paroles déchirées

                           lointaines

                                           indéchiffrables

 

Jean Tardieu, Comme ceci comme cela,

Gallimard, 1979, p. 29-30.

24/12/2022

Jean Tardieu, Accents

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Les dangers de la mémoire

 

Ils s’assemblent souvent, pour lutter

Contre des souvenirs très tenaces.

Chacun dans un fauteuil prend place

Et ils se mettent à raconter.

 

Les accidents paraissent les premiers,

Puis l’amour, puis les sordides regrets,

Enfin les espérances mal éteintes.

Toutes ces images sont peintes

Au mur, entre les fleurs de papier.

 

Ils pensent ainsi s’habituer

Aux poisons que leur mémoire transporte.

Moi cependant, derrière la porte,

Je vois le PRÉSENT fuir avec ses secrets.

 

Jean Tardieu, Accents, Gallimard, 1939, p. 14.

23/12/2022

Jean Tardieu, Accents

 

jean tardiez, accents, premier dernier amour

Premier dernier amour

 

Tout est mort. Même les désirs de mort

Sont morts. Ce qui grandit est sans figure.

 

Les mains, les yeux — déserts. Toute mesure

S’effondre après ce feu qui brise un corps.

 

Rien — ni espoir ni doute — n’ouvre plus

La porte où le soleil vient nous attendre.

 

Les fruits profonds, par l’orage abattus,

Sont morts : l’esprit possède enfin leur cendre ;

 

Avide, — seul — et maître d’une nuit

Où le ciel pleut, où le mouvement plonge,

 

Où, sur l’objet qu’il efface, bondit

L’appel sans voix qui confond tous nos songes.

 

Jean Tardieu, Accents, Gallimard, 1939, p. 35.

22/12/2022

Jean Tardieu, Une Voix sans personne

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L’espace

 

L’espace tout à coup m’irrite. L’interrogation logée au fond de nous a-t-elle vraiment besoin de cet organisateur de supplices et des fêtes ?

Nous ne demandions qu’une minute serrée, comme un point, le métal le plus rare, une gorgée d’eau, — car nous avons la fièvre à force de nous épuiser dans ces défilés qui n’apportent jamais de surprise !Toute l’étendue ne vaut pas un cri.

Nous savons la leçon d’avance. Assez de pas, assez de gestes, assez de détours ! La vague et le grain de sable voudraient-ils donc venir à bout de tout par la répétition ?

En attendant de me mêler à cette chose sans nom, je l’appelle encore l’Espace.

Le mot rafraîchit ma pensée — et je marche.

 

Jean Tardieu, Une Voix sans personne, Gallimard, 1954, p. 89.

21/12/2022

Jean Tardieu, Une Voix sans personne

jean tardieu, une voix sans personne,

Le monde immobile

 

Poètes de ténèbres

fontaine sourde

lac sans éclat

 

présence épaisse

battement faible

l’instant est là

 

rien ni personne

une ombre lourde

et qui se tait

 

j’attends des siècles

rien ne résonne

rien n’apparaît

 

sur ce tombeau

l’espace bouge

c’est ma pensée

 

pour nul regard

pour nulle oreille

la vérité.

 

Jean Tardieu, Une Voix sans personne,

Gallimard, 1954, p. 38-39.

20/12/2022

Jean Tardieu, Une Voix sans personne

jean tardieu, une voix sans personne, couleur, chemin

Petite suite villageoise

 

I

Les délégués du jour auprès de ce village

ce sont les espaliers solennels :

une poire dans chaque main

une pomme sur la tête `

Entrez entrez Messieurs les Conseillers

 

2

Quelle couleur aimez-vous :

Le bleu le vert le rouge

le jaune qui saute aux yeux

le violet qui endort ?

 

—  J’aime toutes les couleurs

parce que mon âme est obscure.

 

2

Autrefois j’ai connu des chemins

ils se sont perdus dans l’espace

je les retrouve quand je dors

Je vais partout rien ne m’arrête

ni le temps ni la mort.

 

Jean Tardieu, Une Voix sans personne,

Gallimard, 1954, p. 50.

11/12/2020

Jean Tardieu, Jours pétrifiés

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Souvenir imaginaire

 

Vous qui avez de grands sourires

c’était pour vous pour vous que le jour était là ;

il passait par vos yeux

comme l’eau dans le sable,

il brillait, il fuyait et l’un de nous

laissait pendre ses mains au fil de la lumière,

l’autre écoutait la plus belle

se taire lentement.

 

Dans la campagne aux longues ombres

ces îlots de statues

c’était peut-être vous peut-être les moissons.

 

C’était au temps où tout recommence,

le temps qui n’a jamais été,

celui qui est dans mes paroles.

 

Jean Tardieu, Jours pétrifiés, dans Œuvres,

Quarto / Gallimard, 2003, p. 271.

10/12/2020

Jean Tardieu, Da capo

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                           Paris ville morte, ou les phosphènes

 

J’avais les yeux ouverts sur la ville. Redoutable amoncellement d’alvéoles et de murs, de creux et de reliefs, de formes cubiques superposées, de tours très élevées, de bâtiments aveugles et très longs, désordre du hasard et de la préméditation d’angles et d’ombres, coupées de façades illuminées, de recoins dangereux alternant avec d’innocentes surfaces, comme un nid fabuleux de milliards d’oiseaux fous qui ayant les ailes coupées, se terrent, honteux et frileux au bord de leurs abris tremblants. (...)

 

Jean Tardieu, Da capo, dans  Œuvres, Quarto / Gallimard, 2003, p. 1469.

09/12/2020

Jean Tardieu, Comme ceci comme cela

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Insomnie

 

Ma longue nuit les yeux ouverts

seul délivré je veille

pour ceux qui dorment.

 

Rendu à l’espace

à l’empire du souffle

bien au-dessus des demeures.

 

Vertige lucide.    J’entends monter

vers moi le hurlement secret des morts

le tonnerre d’un monde éteint

silence assourdissant     langage

des énigmes confondues.

 

Bientôt (toujours trop tôt)

la retombée le masque aveuglant

le piège.    Délire de vivre

 

Je verserai dans le jour

trésor amoncelé des nuits

cette réserve obscure

cette ombre comme la mer

où dansent les feux en péril

 

De nouveau les rumeurs

à la dérive

 

paroles déchirées

                           lointaines

                                            indéchiffrables

 

Jean Tardieu, Comme ceci comme cela, Quarto

/ Gallimard, 2003, p. 1243.

08/12/2020

Jean Tardieu, Formeries

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Participes

 

Enfui

transmis

jeté

perdu

 

Noyé

sauvé

surgi

promis

 

Flétri

caché

nié

repris

 

Tombé

frappé

brisé

brûlé

 

Jean Tardieu, Formeries, dans

Œuvres, Quarto / Gallimard,

2003, p. 1154.