25/07/2014
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé
Quatre poèmes d’amour
Si quelqu’un sourit
Si quelqu’un sourit à te voir,
s’il te regarde avec bonheur,
c’est que ton corps n’a plus la force
de lui cacher, derrière toi, le mur.
Enfant qui tète sa mère,
bientôt sa mère le détestera,
avant de lui ôter la tête.
Les yeux commencent par un point,
la douleur les allonge vers le bas,
le regard tire d’eux l’horizon,
et il faut compléter le triangle
toute sa vie, avec les mains.
Ce qui sort de ta bouche,
c’est d’abord la fumée d’une cigarette ;
et puis c’est tout le reste.
Si tu es en première
Si tu es en première
quand je suis en seconde
qu’est-ce donc qui s’est décoiffé ?
Où est la brosse, où est le peigne, où est le vent ?
où est la chevelure ?
Soleil, par qui les feuilles sont des lampes transparentes.
Orgueil, par qui les filles montent dans les wagons rouges.
Honte, qui donne à l’homme une allumette vite éteinte.
Quand de l’eau entre dans la noix
par la fente de sa coquille,
chaque moitié sur l’eau qui noie
bientôt peut-être flottera.
Si je monte au Palais-Royal,
quand tu descends au Châtelet,
les rails restent si parallèles
qu’on voudrait être des roues.
Parfois, d’un moment
Parfois, d’un moment, tu peux dire
qu’il est huit heures,
ou que c’est le moment de remonter ta montre.
Mais tu diras bien autre chose
Pour peu qu’à ce moment un autocar t’écrase.
Or, il y a toujours
quelque chose qui nous écrase,
ne serait-ce que notre poids.
Et ce qui nous écrase,
comme un autocar, est parfois
plein de militaires joyeux.
À tout moment ,
il faut les mentionner aussi.
Je lui ai crié
Je lui ai crié :
Madame ! Madame !
Votre parapluie,
je crois, s’est ouvert.
Fallait-il plutôt
ne pas le lui dire ?
le fermer de force ?
ne pas l’avoir vu ?
se mettre en colère ?
L’aurais-je quittée
de toute manière
aussi las de vivre ?
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé, Gallimard, 1966, p. 79-82.
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29/01/2013
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé
Donner
I
Donner un arbre est-il possible ?
Cet arbre là, que j'avais sous la main,
Je l'ai donné ou j'ai cru le donner.
J'aurais donné des feuilles de laurier tout aussi bien.
J'ai demandé autour de moi
quelque chose à donner, la première venue.
J'ai vu l'arbre et j'ai dit : l'arbre.
Il résonnait comme un silence où la parole est prête.
L'ai-je coupé ? je ne l'ai pas coupé.
Ai-je parlé de chaque feuille ?
La nuit était di grande ! On aurait dit qu'avec son clair de lune,
elle avait chaque feuille à elle ;
et elle a emporté dans son silence mon silence intact.
Qu'ai-je donné ? Est-ce qu'on donne ?
La moindre pierre ne m'appartient pas.
C'est par la nuit que tu me tiens, ma belle.
C'est par la nuit que je disparaîtrai.
II
Qui ne s'est retourné dans sa nuit
étonné d'être noir aussi ?
J'ai reconnu l'immensité
sans être immense.
J'ai dit : venez puisque le ciel
semble sur moi pour qu'on en vienne !
Trop fort à quelques draps peut-être j'ai tenu ;
trop fort à ma chaleur contre les vents étranges.
Dans la nuit j'ai construit ma nuit,
j'ai couché mon ombre avec l'ombre.
Le plaisir a pris mon plaisir.
Mon souffle m'a donné au vent.
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé, Gallimard, 1966,
p. 112-113.
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15/12/2011
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé
Roland Dubillard, 1923-13/12/2011
Je connais vos reproches
Oh ! bien sûr, je n'aurais pas dû.
Si j'avais pu prévoir une chose, comme vous dites, si prévisible !
Mais j'en avais tellement envie !...
C'est comme s'il avait fallu
que je me prive de mes bras !
Ceux qui disent que je n'aurais pas dû
ont oublié bien des choses
dont ils feraient mieux de se souvenir.
C'est facile, quand il n'est plus temps !
C'est facile, quand c'est arrivé !
Comme c'est facile et comme c'est cruel.
Car c'est moi qui reste là,
et qui regrette.
Je regrette, car maintenant
il y aurait...
Mais qui peut dire ce qu'il y aurait ?
Ils le disent pourtant, sans savoir.
On croit qu'une chose va continuer,
et quand la chose s'arrête,
on croit qu'elle aurait duré si longtemps !
Mais puisque c'est fait, puisque c'est arrivé,
On ne va pas rester là, tout autour, à ne rien faire !
J'y reviendrai tout seul trop souvent, malgré moi,
puisqu'il paraît que c'est moi...
Ou alors, si vous croyez qu'il faut que je paye,
— mais je ne sais pas avec quoi.
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé, Gallimard, 1966, p. 96-97.
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06/05/2011
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé
Quatre poèmes d’amour
Si quelqu’un sourit
Si quelqu’un sourit à te voir,
s’il te regarde avec bonheur,
c’est que ton corps n’a plus la force
de lui cacher, derrière toi, le mur.
Enfant qui tète sa mère,
bientôt sa mère le détestera,
avant de lui ôter la tête.
Les yeux commencent par un point,
la douleur les allonge vers le bas,
le regard tire d’eux l’horizon,
et il faut compléter le triangle
toute sa vie, avec les mains.
Ce qui sort de ta bouche,
c’est d’abord la fumée d’une cigarette ;
et puis c’est tout le reste.
Si tu es en première
Si tu es en première
quand je suis en seconde
qu’est-ce donc qui s’est décoiffé ?
Où est la brosse, où est le peigne, où est le vent ?
où est la chevelure ?
Soleil, par qui les feuilles sont des lampes transparentes.
Orgueil, par qui les filles montent dans les wagons rouges.
Honte, qui donne à l’homme une allumette vite éteinte.
Quand de l’eau entre dans la noix
par la fente de sa coquille,
chaque moitié sur l’eau qui noie
bientôt peut-être flottera.
Si je monte au Palais-Royal,
quand tu descends au Châtelet,
les rails restent si parallèles
qu’on voudrait être des roues.
Parfois, d’un moment
Parfois, d’un moment, tu peux dire
qu’il est huit heures,
ou que c’est le moment de remonter ta montre.
Mais tu diras bien autre chose
Pour peu qu’à ce moment un autocar t’écrase.
Or, il y a toujours
quelque chose qui nous écrase,
ne serait-ce que notre poids.
Et ce qui nous écrase,
comme un autocar, est parfois
plein de militaires joyeux.
À tout moment ,
il faut les mentionner aussi.
Je lui ai crié
Je lui ai crié :
Madame ! Madame !
Votre parapluie,
je crois, s’est ouvert.
Fallait-il plutôt
ne pas le lui dire ?
le fermer de force ?
ne pas l’avoir vu ?
se mettre en colère ?
L’aurais-je quittée
de toute manière
aussi las de vivre ?
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé, Gallimard, 1966, p. 79-82.
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