21/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : C et autre poésie
La nuit s’est approchée
La nuit s’est approchée il n’est pas besoin de
se le dire dans l’épaisseur complète dans la nuit
d’empiètements pas besoin d’une parole pour
répandre dans la nuit en l’épaisseur cela.
que la nuit s’est approchée et dans la non
présence complètement emplie de l’épaisseur du
principe du plus intérieur principe réalité
de la nuit quand d’épaisseur je me retourne
de me le taire.
sujet à des chuchotements.
Là.
Jacques Roubaud, C et autre poésie,
NOUS, 2015, p. 229.
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20/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : Quelque chose noir
Nonvie, II
Vision nulle au fond du verre épais et brun
Gagné en surface de veines mais jamais dit
Jamais dit au chant vogueur de ta voix rabattu
Du contre-jour tâtonnant à la gorge sans fin
Peut-être cachée derrière le sol avec ça
Grand ouvert du ciel à l’éclat supportable
Au milieu de ta chair et drainant un bruit de mouches
Qui fronce sur l’horizon où il fait bleu
Une heure verticale encore mais juste tes poumons
Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, p.141.
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19/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : Quelque cose
Au matin
Je suis habitant de la mort idiote la tête comme un porridge
Les oiseaux s’envolent à l’avoine noire de fumée (il est quatre heures, il est cinq heures)
Les arbres s’habillent de fond en comble
Dans mon bol des archipels de boue noire qui fondent
Je bois tiède
L’église, le sable, le vent irrésolu
J’avance d’une ligne, à deux doigts
Je voudrais nous coucher tête-bêche
Tes yeux sur ma bouche à la place de ce rien
Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, p. 35.
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18/12/2024
Hommage à Jacque Roubaud (1932-2024) : ϵ
combien de poignées de neige jetions-nous sur les fleurs grises
les pivoines de fumer alors en jouant combien sur les remparts
dans les sentiers couverts de neige combien de neiges terriennes
jetions-nous sur les buissons osselets la prunelle la ronce la
réglisse le houx
savions-nous combien peu durerait le manteau de neige dans
les vignes les manches sous les ronces noires ou crevées dans
l’aire aux barbes des épis. combien peu de neiges nouvelles
fondraient à des anneaux de fer ou sur la brique du foyer sur
l’artère assombrie des braises
la neige était précieuse amande sur et tendre peu de jours de
peu même pas toutes les années ah garde vif le goût de neige
quand il faisait tomber le vent sur le parchemin des sous-bois le
golfe inerse des corneilles
quand nous éprouvions qu’il n’est que quelques neiges capables
d’un creux dans la mémoire capables d’éblouissantes fougères
fraîches sur une vitre qu’une bouche à l’aube couvre de buée
Jacques Roubaud, ϵ, Gallimard, 1988, p. 22-23.
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17/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : La pluralité des mondes de Lewis
La forme n’est que le mouvement dont elle est la forme ; qu’elle ne retient pas mais qu’elle donne en commun, pour être poésie. Ainsi est-elle, parce qu’’ainsi est ce qu’elle peut faire de mieux’. Il ne lui est pas arrié d’être ainsi (il n’y a pas de forme ancienne) ; il ne lui arrivera pas d’être ainsi (il n’y a pas de forme future) ; elle est ‘ainsi, maintenant’ ; maintenant est la poésie.
Dans le présent infiniment mince est la forme, pour mettre en place le ‘maintenant’ de la poésie. Là est son inférence infernale : approcher au plus près le démon du silence, qui ‘implore notre secours.’ (D’où l’effroi, déguisé en indifférence, le recul des modernes devant la poésie).
Elle ne dit rien, ‘elle préfèrerait ne pas’. Ou encore : elle ne dit qu’en disant.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1991, p. 72.
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16/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : Autobiographie, chapitre dix
131
Où l’on fait le point avec le lecteur
Si tu ne m’as pas, cher lecteur, abandonné depuis longtemps en route, peut-être te demandes-tu où nous en sommes ? question légitime. Moi aussi je me le demande. Auta nt qu’il m’en souvient, je t’ai parlé de ma famille, de la guerre, de mes amours, tu m’as accompagné dans mes voyages, tu as partagé avec moi le vin de la joie, le pain de l’absence (et vice versa), le sel de la douleur ; tu en as été ému peut-être. Mais enfin, tout cela, c’est du passé. Que va-t-il arriver MAINTENANT ?
Jacques Roubaud, Autobiographie, chapitre dix, Gallimard, 1977, p. 82.
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15/12/2024
En hommage à Jacques Roubaud, 1932-2024 : Jacques Roubaud, Dors
nuit
nuit
tu viendrais
les tilleuls
noirciraient
les fusains les
sauges
les villages
pousseraient contre
les collines
des lumières
les collines en
seraient noires
Jacques Roubaud, Dors,
Gallimard, 1981, p. 77.
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04/09/2024
Jacques Roubaud, Octogone
Douce
le ruban de l’air roule autour de la lampe
l’acacia tombe sur elle doucement
le temps vient de l’est
temps de feutre à moitié aussi de crépitements
l’air l’enveloppe d’étamines
douce
mais morte
c’est tout à fait ça douce
mais morte
Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 279.
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03/09/2024
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains
L’automne rue du printemps
Les feuillages du boulevard Pereire (sud)
Roussissent
Déjà
Ça choque
On devrait barrer d’u grand rideau
De toile le bout de cette rue
Résolument terne, et ne le tirer
Que le jour du printemps.
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite,
hélas, que le cœur des humains, Poésie/Gallimard, 1999, p. 66.
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02/09/2024
Jacques Roubaud, In memoriam Edoardo Sanguinati
In memoriam Edoardo Sanguineti
Quelques jours avant la mort nous évoquions
Par lettre écrite, à l’ancienne, ces moments
Antiques (quarante ans !) dans la fosse aux lions
De l’Hôtel Saint-Simon, quadri-dialoguant
Sourds, ce renga occidental : lui, moi, pions
Agités plus qu’erratiques insolents
Dans le jeu par Octavio conçu : sonetto,
Sonnet, la chose italienne où Shakespeare
A passé ; Gongora, Marino, les pires
Poètes, et meilleurs ; Mallarmé, Giacomo
‘Caro padre’ notre, « peu profond ruisseau
Calomnié la mort ». La forme où l’écrire
Fut notre lien en toutes ces années. Dire
Cela soit ma poussière sur ce tombeau.
Jacques Roubaud, Dix hommages, ink, 2011, np.
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01/08/2024
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Mémoire
mémoire : née tardivement
corps continus êtres réels et infinis
loin de l’instant désignés par la souffrance
du souvenir qui ne veut pas que j’oublie
du souvenir qui n’oublie pas ce que je veux
mémoire entretissée de nuits
le temps se reforme autour d’une voix
les surfaces sans nom et le sans nom s’apparient
l’espace s’agrège enfin, se duplique
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis,
Gallimard, 1991, p. 54.
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31/07/2024
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Plénitude
tout ce qu’un monde pourrait être, quoi que ce soit
est, quelque part, en quelque façon,
plénitude des possibles, consistance.
n’importe quelle tête parlante, la mienne,
par exemple, contiguë à ton corps
et
pourquoi non
contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,
mais toutes les places sont prises, tous les mondes
indisponibles,
pour toi.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard,
1991, p. 38.
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04/12/2023
Jacques Roubaud, strophes reverdie
I Poèmes, quelques
16
Sans masque
Cette comédie
Ce drame
Dans la salle
En coulisses
Et le rôle ?
II Les roses, toi
49
Qui ne veut plus savoir ce qui se passe
Arrête ta mémoire
Personne ne viendra
Conclure cette histoire
Ni du cœur ni du bras
Tu ne tireras gloire
Jacques Roubaud, strophes reverdie,
l’usage, 2019, p. 14 et 45.
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03/12/2023
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Plénitude
tout ce qu’un monde pourrait être, n’importe quoi
est quelque part, en quelque façon.
plénitude des possibles, consistance.
n’importe quelle tête parlante, la mienne,
par exemple, contiguë à mon corps
et
pourquoi non
contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,
mais toutes les places sont prises, tous les mondes
indisponibles
pour toi.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1991, p. 38.
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17/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Un moment interne troue l’onde d’urgence que raye d’ortie le néant d’attente sans trace
La mémoire, la mort, la main maudit, mélange, montre,
L’instant, l’infini, l’image, irréel, insu, incroyable
Où le terre, où la terre, où la terre, ternit, trafique, tord,
Où le sens, où le non, où la syntaxe siffle, sèche, s’émiette,
D’obole, d’orbite, d’ordre opaque, ozone, organique
Ruisseau, râteau, règle renonce !, racle, rumine !
Oublie, ossifie, oscille, ombre, ongle, onde
Du nuage, du néant, du nombre nié, non-dit, nourris
Que l’arbre, que l’âme, que l’art accorde, annihile, affirme
À la trace, au terreau, à la tombe, sa trace, sa tourmente, son triomphe.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 270.
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