29/04/2012
Jacques Roubaud, La forme d'une ville change plus vite, hélas....
Dans cette ville que tu n'aimais pas
Dans cette ville que tu n'aimais pas
Où tu as passé tant de jours
Que les compter te fait vomir
Peur de ce que tu ne reconnais pas !
Peur de tout ce que tu as vu !
Croisant et recroisant les rues
Manières de neiges manières de boues
Manières de mutisme têtes de loup
Dans cette ville que tu n'aimais pas
Dont tu n'as jamais su te déruer
À cause de tout ce que tu ne sais pas
Travaillé de syllabes tous ces étés
Hébété de ces morts qui te sont morts là
Dans cette ville que tu n'aimais pas
Jacques Roubaud, La forme d'une ville change plus
vite, hélas, que le cœur des humains, 150 poèmes, 1991-1998,
Poésie /Gallimard, 2006 [1999], p. 102.
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11/12/2011
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
xxii
Monde clair
monde clair, lumières terreuses, pentes
le soleil tourne dans les eaux
j'ouvre les yeux, je constate le poids
de la chaleur sur mes yeux, mes mains,
l'air est brillant, sans durée.
monde arrêté dans la transparence
présent, tournant sur soi
hier obscur, épais, opaque
demain opaque, épais, obscur
monde clair, halte
séjour
sans dimensions, que ton image traverse.
xxviii
Que le monde était là
M'endormant je croyais que le monde était là,
le monde et tout ce qui s'ensuit ;
'maintenant' plus petit qu'un point
derrière les couleurs immenses et sérieuses.
bourdonnantes années revenues de loin,
angle de la rue avec la rue,
effacées traces sous de la pluie,
jaune matériel rassemblé dans la main.
En m'endormant je voyais tout cela :
la chaleur et l'ellipse du puits,
la terre, où les feuilles n'ont plus de poids,
l'eau juste et médiane, qui balance.
Je voyais, m'endormant, je voyais cela
que j'avais accueilli en des années
que je ne savais pas dans mon souvenir :
années entières, avec vérité,
c'est-à-dire, si on veut, avec mort.
Je voulais, et je ne voulais pas, en m'endormant,
voir ce que trop de fois j'avais vu.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard,
1991, p. 30 et 37.
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02/11/2011
Jacques Roubaud, Tombeaux de Pétrarque, dans Dors
Tombeaux de Pétrarque
cobla I
Ou le soleil mange les étoiles dans l'aube
ou dans la neige tes cheveux prendront rive
comme les vents aux fleuves liés de glace
si des écueils but amer de ma voile
une lumière de collines entre branches
m'écarte neuf j'aborde au cours d'un bois
contre la lune dans tes bois c'est le soir
pas une fleur que la trame de ces notes
poisse les nuits comme rimes à la mort
cobla II
Poisse des fleurs ou dans le style joyeux
si la forêt d'un seul jour sur la terre
s'éveille force de ces vers qui voient l'air
vibrer des yeux s'emplir d'années-laurier
qu'ainsi la pente (la nuit jette les eaux
à ces vallées soit de pluie soit de brume)
partout légère (c'est le prix de ce lieu
nommé le port mais sans navires) : la vie
la nôtre Temps du ciel gavé de feuilles
Jacques Roubaud, Dors, précédé de Dire la poésie, Gallimard, 1981, p. 109-110.
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26/10/2011
Jacques Roubaud, Dix hommages
Aux fleurs d’Obermann
Hommage à Jude Stéfan
I
ciel chaotique lacéré cendreux sous
sous les mots chien désœuvrés d’un memento mori
galons, laure blanc pied, bas filés,
trouble-moi, parque : que le temps est un rat,
semblables les vaches dans les années ronsard
et les tourterelles dans les cyprès … jadis jadis
II
heureux, calme ciel, je ne saurais l’être
de 80 poèmes, autant de cyprès
années dédicaces à une lectrice d’arbres
parque, une fille qui pouffe
geste lent des bras de laure dans rousseur
III
pour toi, laure, je m’envole de l’ex-poème
une pierre à mon dos attachée de ciel
la maison et ses vitres lentement tourne sous le cyprès
j’attends la mort des années comme à la selle
IV
in secula avec l’humilité d’un liseron
laure
porte moi comme un cyprès
V
des années, laure, laures
vanités, limon, et de plus en plus loin
VI
vanités, limon, plus loin
Jacques Roubaud, Dix hommages, Lnk, 22, 2011, np.
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