17/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Un moment interne troue l’onde d’urgence que raye d’ortie le néant d’attente sans trace
La mémoire, la mort, la main maudit, mélange, montre,
L’instant, l’infini, l’image, irréel, insu, incroyable
Où le terre, où la terre, où la terre, ternit, trafique, tord,
Où le sens, où le non, où la syntaxe siffle, sèche, s’émiette,
D’obole, d’orbite, d’ordre opaque, ozone, organique
Ruisseau, râteau, règle renonce !, racle, rumine !
Oublie, ossifie, oscille, ombre, ongle, onde
Du nuage, du néant, du nombre nié, non-dit, nourris
Que l’arbre, que l’âme, que l’art accorde, annihile, affirme
À la trace, au terreau, à la tombe, sa trace, sa tourmente, son triomphe.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 270.
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14/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Un moment interne troue l’onde d’urgence que raye d’ortie le néant d’attente sans trace
La mémoire, la mort, la main maudit, mélange, montre,
L’instant, l’infini, l’image, irréel, insu, incroyable
Où le terre, où la terre, où la terre, ternit, trafique, tord,
Où le sens, où le non, où la syntaxe siffle, sèche, s’émiette,
D’obole, d’orbite, d’ordre opaque, ozone, organique
Ruisseau, râteau, règle renonce !, racle, rumine !
Oublie, ossifie, oscille, ombre, ongle, onde
Du nuage, du néant, du nombre nié, non-dit, nourris
Que l’arbre, que l’âme, que l’art accorde, annihile, affirme
À la trace, au terreau, à la tombe, sa trace, sa tourmente, son triomphe.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 270.
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05/07/2014
Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia
À main droite
ma manie de manipuler,
démantibuler,
désaxer et malaxer les mots,
pour moi mamelles immémoriales,
que je tète en ahanant.
Murmure barbare, en ma Babel,
tu me tiens saoul sous ta tutelle
et, bavard balourd, je balbutie.
À main gauche, mes machins,
mes zinzins,
mes zizanies,
les soucis (chichis et chinoiseries) qui me cherchent noise,
mes singeries, momeries et moraleries.
Ô gagâchis qu'agacé j'ai sagacement jaugé et tout de go gommé,
jugeant superfétatoirement enquiquinant son chuchotis ?
Au milieu
le mal mou qui me moud,
me moud,
me lime, m'annule,
m'humilie
et que, miel amer, je mettrais méli-mélo à mille lieues mijoter,
mariner,
macérer.
N'a-t-il dit que ce monde dément demande un démenti,
le démon qui m'enmantèle, m'enmêle et me démantèle.
*
Qu'est-ce que, pratiquement, je poursuis ?
— La combinaison de mots, phrases, séquences, etc., que je suis seul à pouvoir bricoler et qui — dans ma vie pareille, comme toute autre, à une île où les conditions d'existence ne cessent d'empirer — serait mon vade-mecum de naufragé, me tenant lieu de tout ce qui permet à Robinson de subsister : caisse d'outils, Bible, voire Vendredi (si je dois finir dans une solitude à laquelle je n'aurai pas le cœur d'apporter le catégorique remède).
... Ou plutôt ce qui me fascine, c'est moins le résultat, et le secours qu'en principe j'en attends, que ce bricolage même dont le but affiché n'est tout compte fait qu'un prétexte. Au point exact où les choses en sont au-dedans comme au dehors de moi, quoi d'autre que ce hobby pourrait m'empêcher de devenir un Robinson qui, travaux nourriciers expédiés, ne ferait plus que se glisser vers le sommeil, sans même regarder la mer ?
Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia, Gallimard, 1981, p. 176-177 et 195.
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21/09/2013
Marie de Quatrebarbes, Transition pourrait être langue
Comme ça remue, l'herbe
les feuilles tombelottent nos archives
le grand vent tonne
apparemment
dans sa mouillure
Allons allons, comment va ta façon ?
« allégeons, allégeons »
allongez-vous près de moi
ça bouge l'herbe
Aujourd'hui : trombes noires
votre faculté à mourir, allongez-la
le vent grondelotte sous l'arbre mort
des feuilles bougent dans mon dos
ombres et jaunes.
La différence, ne la pense pas
de sorte que d'être toujours en mouvement
ne se pense pas
*
Ce savoir condamne
celui qui le destine
comme courir, tête livrée
la pluie frappe sans interruption
Dehors les interstices
trop court l'instant
ne s'entend pas
Marie de Quatrebarbes, Transition pourrait être langue,
peintures de Michel Braun, incursion de Caroline
Sagot-Duvauroux, Les Deux-Siciles, 2013, p. 34-35.
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22/12/2012
Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia
À main droite,
ma manie de manipuler,
démantibuler,
désaxer et malaxer les mots,
pour moi mamelles imméoriales,
que je tète en ahanant.
Murmure barbare, en ma Babel,
tu me tiens saoul sous ta tutelle
et, bavard balourd, je balbutie.
À ma in gauche,
mes machins,
mes zinzins,
mes zizanies,
les soucis (chichis et chinoiseries) qui me cherchent noise,
mes singeries, momeries et moraleries.
Ô gagâchis qu'agacé j'ai vaguement jaugé et tout de go gommé,
jugeant superfétatoirement enquiquinant son chuchotis !
Au milieu,
le mal mou qui me moud,
me mord,
me lime, m'annule,
m'humilie
et que, miel amer, je mettrais méli-mélo à mille lieues
mijoter,
mariner,
macérer.
M'at-il dit que ce monde dément demande un démenti,
le démon qui m'enmantèle, m'emmêle et me démantèle ?
Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia, Gallimard,
1981, p. 176-177.
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09/02/2012
Norge, La Langue verte
Glose
In principio erat verbum
Mon chien s'appelle Sophie et répond au nom de Bisoute. C'est plus gentil ? Et le baiser est moins solennel que la sagesse. Vous me la baillez belle avec vos querelles de langage. Les peintres sont voués à la couleur :les poètes se défendraient-ils d'être voués aux mots ? Mais sémantique, rhétorique, vous croyez à cela, vous, Mossieu ? P'têt'ben qu'oui. Calembredaine ? Jardinier, encore un mot de germé. Bonne chance et fouette cocher ! D'accord : ça ne nourrit pas son homme... Qui mange le vent de sa cornemuse n'a que musique en sa panse. Déjà, ce n'est pas si peu.
La vérité ne se mange pas ? La musique non plus. Mais je dis, moi, que la poésie se mange. Ici, des mots seuls on vous jacte et ce n'est pas encore poèmes ; mais enfin, des poèmes, qui sait où ça commence...
Les mots, disait Monsieur Paulhan, sont des signes, et Mallarmé, lui, que ce sont des cygnes. Ah, beaux outils, les mots sont des outils, rabot, évidoir, herminette, gouge, ciseau. Ainsi, les formes naissent, portant la marque de l'outil et je retrouve à la statue ce joli coup de burin. Et je retrouve à la pensée ce délicat sillon du verbe. Tudieu, quelle patine ! Quel héritage, quelle usure, quelles reliques de famille ! Quelle Jouvence et quel arroi. Des taches de sang, des coulées de verjus. Des traces de larmes ; et les sourires n'en laisseraient-ils pas ? En veux-tu de l'humain, en voilà. Ce n'est pas de petite bière (de bière, fi) mais de cuvée haute en cru. Venues de toutes part au monde, agiles comme des pollens. Ici, les monts de Thrace et là les rudesses picardes : et là le miel attique et l'Orient avec ses sucs. Des graillons, des flexions, des marées, puis un petit vent coulis, un soudain carillon de voyelles. Boissy d'Anglas. Quant au tudesque, zoui pour le bouffre mot : lansquenet (toujours hérissés ces tudesques) qui fait la pige au mot azur. Mais en français d'expression, pas trop n'en faut. D'expression, oui-dà, mais de race. Et de décence. En tapinois quand il sied, mais en garnde clarté si c'est l'heure. J'y reviens, mon frère qui respires, as-tu déjà pensé au spacieux mot : azur ?
Ainsi les mots naissent, les mots durent, les mots se fanent et reverdissent. Des moissons, des vendanges, des forêts, des nids de mésanges et des couvées de minéraux. Fluide, flot, flamme, fleur, flou, flèche, flûte, flexible, flatteur... vous entendez ces allusions, vous reconnaissez cette lignée. Mais le génie français est réservé : il caresse l'harmonie imitative. Mais il décrit un chien sans marcher à quatre pattes.
[...]
Totaux
Ton temps têtu te tatoue
T'as-ti tout tu de tes doutes ?
T'as-ti tout dû de tes dettes ?
T'as-ti tout dit de tes dates ?
T'as-t-on tant ôté de ta teinte ?
T'as-t-on donc dompté ton ton ?
T'as-ti tâté tout téton ?
T'as-ti tenté tout tutu ?
T'es-ti tant ? T'es-ti titan ?
T'es-ti toi dans tes totaux ?
Tatata, tu tus ton tout.
Golgotha
Jésus le crucifix au mur de la bouchère
Prenait-il en pitié les viandes passagères
Dans ce matin fidèle au raffut des chalands
Chuchoteurs que les rôts de veau fussent bien blancs
Et l'entrecôte mieux fissurée à la graisse,
Partant plus tendre. Un peu c'était comme à confesse,
O seigneur ; le saignant les rapproche de toi,
La dame carnassière et le monsieur qui tance. Or, le boucher, tirant de la grande potence
Un gigot qui pendait assez proche la croix,
Frôla de lui le flanc douloureux du dieu triste
Et le sang du mouton rougit le corps du Christ.
Norge, La langue verte, Gallimard, 1954, p. 9-11, 36 et 91.
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