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28/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

 

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       Au bord du mot désert

 

Le désert du cœur : lr mot solitude

Le désert des mots : le silence.

 

   Au loin la ligne des dunes de Merzouga. Un peu de désert avant d’y arriver : longue étendue de sable ou croûte de matière noire jusqu’à la pente d’une remontée en couleur claire quelques dromadaires s’y désassemblent formes fines de plus en plus minces bientôt leur disparition.

   Le vrai désert on le devine après la bourgade poussée désordre autour d’une large rue centrale, on reste

   Au bord du mot désert.

 

   Sur la route qui va jusqu’à l’improbable nom d’un autre village

   Deux enfants donnent à caresser aux touristes la mine en sourire effaré de plusieurs jeunes fennecs. Les enfants t’expliquent

   La façon de les capturer, mais qu’auras-tu compris ?

 

   Dans les bras qui tiennent les bêtes, brassée de solitude.

   Désert de solitude : le silence.

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste, 2022, p. 75.

27/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

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                        Un enfant lisait

 

Le p’tit Poucet ma tête perdue, cailloux cailloux c’est que des mots

(Tante Marie qui raconte et le Chat Botté parti.)

Mais la Moitié de Poulet me tient par la jambe.

Par le cœur et la jambe, une

Moitié d’Poulet comme un

Qu’allait gagner gagner...

J’ai pas retenu l’histoire (tante Marie s’est tue)

La drôle d’histoire, j’en reviens comme

Un p’tit Poucet qui s’égare

Parmi les mots dérisoires.

 

 

Avec son nom comme un têt-à-poules défait juste à côté du fournil et de la petite écurie, un seul toit de tuiles rouges touche à la grande herbe dans le pré derrière sans doute  que la Moitié d’Poulet sortait de là, avec un nom d’écorché pour s’en aller raconter quoi ?

La vie ressemble à cet endroit plein de chiures d’oiseaux sous le perchoir en bois fragiles, les œufs chauds qu’on allait ramasser dans les niches du mur, la vie ressemble à tout. Moitié de Poulet presque oubliée. Vieux mythe épuisé qui t’abandonne.

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste, 2022, p. 109-110.

26/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

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Les vaches qu’on allait garder

 

Les animaux qui sont dans les poèmes

Si un peu

C’est pas comme au zoo,

Comme au cirque, ou pareil

Qu’à la ferme où je les ai connus

On fait semblant de les aimer

On les aime, on les enferme.

 

Tout ce qu’ils m’ont donné :

Rêveries, mots, savoir et désir.

 

Le fond sale et somptueux du cœur

Et d’autres organes,

Bougent ton poème, tes pensées mal pensées

 

Animaux parlés mal vivants

Dans l’écriture qui les enferme

Quelle amitié leur est donnée ?

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste,

2022, p. 52.

Photo T. H.

25/02/2022

Pierre Vinclair, Éléments, dessins Yuka Matsui

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l’eau)

 

L’informe de l’eau

    

                     dans les courbes du désir

 

                                 caprices de l’encre

 

                          °

 

(l’herbe)

 

Plongeant à travers

 

                  le miroir bleu-vert de l’herbe

 

                                     un martin-pêcheur

 

Pierre Vinclair, Éléments, dessins Yuka Matsui, méridianes, 2021, np.

24/02/2022

Cédric Demangeot, Obstaculaire

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Mes yeux

pensent à côté de moi.

 

Ma poitrine

s’enfonce

sans fin  

dans le vide

qu’en s’enfonçant elle creuse

au fond de mon effondrement.

 

Mes épaules

me cherchent.

 

Ma bouche

m’insulte et me tait.

 

Cédric Demangeot, Obstaculaire, L’Atelier contemporain, 2022, p. 30.

23/02/2022

Maël Guesdon, Mon plan : recension

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On peut lire et relire Mon plan sans qu’un agréable sentiment d’étrangeté disparaisse ; rien d’incompréhensible dans aucune des soixante-dix proses, distribuées en six ensembles, mais le contenu de "mon plan" ne s’éclaircit pas pour autant : s’agit-il d’un projet ? de la langue ? d’autre chose ? Le statut même du "je" énonciateur peut apparaître obscur, sa relation à l’espace, à ce qui s’y trouve ne se laisse pas définir aisément, les lieux et les temps semblent d’abord difficiles à cerner. Bref, toutes une série d’éléments font de Mon plan un livre énigmatique et, heureusement, non dépourvu d’humour.

 

N'y a-t-il rien d’assuré dans la lecture ? Si c’était le cas, on abandonnerait vite le livre, et ce sont peut-être ses aspects énigmatiques qui retiennent fortement l’attention. D’emblée, nous comprenons que le narrateur n’est pas seul, « nous tenons l’un contre l’autre » ; d’emblée également, situation est étrange pour le lecteur  quant à ce qui est rapporté : « tout se situe juste avant là où je suis ». Il semble que le narrateur est à un moment dans un parc à bébé où il peut « toucher ce qui se trouve à [sa] portée » ; il constate d’ailleurs, en prenant son cas pour exemple, qu’« au tout début, vous êtes légèrement balbutiant ». Les notations à propos de l’absence d’autonomie sont nombreuses, le "je" dépend complètement de son entourage et n’est pas en mesure de choisir quoi que ce soit, pas même le lieu où il se sentirait à son aise ; en effet, « on vous pose quelque part (vous n’avez rien demandé) » ; dans les premiers moments, le "je" se voit comme un autre (« Je suis assis en face de moi (...) me regarde ») ; cette indistinction entre le moi et ce qui l’entoure ne cesse qu’avec la maîtrise des fonctions du corps — ce qui est à conquérir :, mention est faite de la bouche ouverte, « par inadvertance ou pour manger »

Il faut du temps pour que le sujet établisse une distance entre lui et les choses, qu’il ne se confonde plus avec ce qui l’entoure et passe du « je crois être » à la certitude. Pendant une longue durée, écrit-il, « j’ai peur d’en venir à dissoudre de l’intérieur l’amorce de forme qui commence à me définir ». La réalité autour de lui perd progressivement le caractère inquiétant qu’elle avait dans la toute première enfance parce qu’impossible à comprendre, alors disparaît le fait que « les mystères de la nuit que l’on quitte (...) les lumières du jour les éclairent encore plus ». Quand il ne se confond plus avec ce qui l’entoure, il peut donner un nom à ses proches qui ne sont plus perçus comme informes, comme des "on" : sont maintenant présents la mère, le père un frère avec qui il partage une chambre. Il apprend à se servir d’un vélo dans le sous-sol de la maison. Les animaux deviennent également visibles en tant que tels, en premier lieu les mouches.

 La bouche, dans les premiers temps de l’enfance est « grande ouverte comme pour gober les mouches ». Les mouches sont envahissantes dans Mon plan, comme si le lieu de vie était proche d’animaux de la campagne ; il y est question d’« adhésifs tue-mouches » et, surtout, des jeux évoqués beaucoup plus tard de l’enfant pour les capturer, les emprisonner sous un verre, les déposer sur une toile d’araignée et observer la manière dont elles sont tuées. La construction de l’identité passe par la séparation forte entre le moi et la réalité que représentent les divers animaux, les insectes invisibles, les araignées que les parents « aspergent » pour les détruire, le ver solitaire même que, peut-être, on pourrait voir dans son ventre « lorsque la bouche est grande ouverte » ; l’absorption du monde est une manière de le contrôler, et le narrateur prend soin de noter qu’une amie lui « confie qu’elle a mangé l’une d’entre vous (= une mouche) ». La découverte des animaux implique souvent leur destruction et, « sur le bord de la fenêtre », sont réunis serpents, poissons, grenouilles, fœtus de porc (...) une mygale ». Mais qu’en est-il du même, de l’humain ?

 

On peut considérer quelque peu inhabituel la présence d’animaux, ou plutôt de leurs cadavres, et d’un  fœtus, qui ne suscitent pas en général un intérêt tel qu’ils soient conservés. Par ailleurs le narrateur n’essaie pas, visiblement, d’aller vers autrui ; il parle bien d’une amie mais presque tout un ensemble de proses est consacré au fait que l’"on" dit du mal de lui (« j’entends tout le mal que l’on dit de moi »). Affirmant qu’il n’est pas paranoïaque, pour se défendre du prétendu rejet il construit, avec un art consommé de la rhétorique, ce qu’il faut pour être mis à l’écart : « Il y a cette coïncidence inévitable qui fait que les mots tournent à la distance parfaite pour que je les devine en sachant qu’ils me sont dissimulés. » Parallèlement, il tente de s’accommoder des prétendus rejets non par l’échange mais en prenant pour l’aider un écrit, « je lis minutieusement le premier chapitre d’un guide des bonnes manières ». Tout se passe comme si le monde était quadrillé comme la toile d’araignée, chaque partie étant dangereuse à un moment ou un autre.

Le lecteur n’est pas en présence d’un narrateur dont il pourrait déchiffrer le comportement, obscur et déconcertant comme l’est toute réalité, comme l’est ce qu’il désigne par "mon plan", plan qui n’a rien de personnel, « je dis mon plan non qu’il m’appartienne mais j’y suis attaché ». Est-il indispensable de lui donner un sens ? Le narrateur lui-même n’est peut-être rien d’autre, comme il le laisse entendre, qu’un ensemble de mots : « Je me déplace ici (la page qui se tourne) ».

 

Maël Guesdon, Mon plan, Corti, 2021, 96 p., 16 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 14 janvier 2022.

22/02/2022

Joseph Joubert, Carnets, II

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Ils se tiennent aux portes et ne voient que les barreaux.

 

La grande affaire de l’homme c’est la vie, et la grande affaire de la vie c’est la mort.

 

La vie entière est employée à s »’occuper des autres ; nous en passons une moitié à les aimer, l’autre moitié à en médire.

 

Qui est-ce qui pense pour le seul plaisir de penser ? qui est-ce qui examine pour le seul plaisir de savoir ?

 

Tous ceux enfin pour qui le style n’est pas un jeu, mais un travail.

 

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 95, 100, 100, 117, 118.

21/02/2022

Joseph Joubert, Carnets, II

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Le commun (dans les arts) est ce qui ne parle qu’aux sens.

 

On se ruine l’esprit à trop écrire. — On le rouille à n’écrire pas.

 

Il faut savoir entrer dans les idées des autres et il faut savoir en sortir. Il faut savoir sortir des siennes et il faut savoir y rentrer.

 

Ce que l’homme ne connaît que par sentiment, on ne peut l’expliquer que par l’enthousiasme.

 

Il y a beaucoup de défauts qu’on n’a jamais quand on est tout seul ou seulement en tête à tête. Aussi ne peut-on les apercevoir que dans les cercles ou assemblées.

 

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 57, 58, 62, 81, 87.

20/02/2022

Joseph Joubert, Carnets, II

   

                              joseph joubert,carnets,ii,mot,écrir,jugement

— Et qui n’aiment ce qui est bien que lorsque cela exprime ce qu’ils pensent.

 

Tous ces écrits dont il ne reste, comme du spectacle d’un ruisseau (roulant quelques eaux claires sur de petits cailloux) que le souvenir des mots qui ont fui.

 

À quelle quantité peut s’élever le nombre de bons livres qu’on peut faire dans une langue ?

 

Voir du monde, c’est juger les juges.

 

Tous les beaux mots sont dans la langue. Il faut savoir les y trouver.

 

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 44, 44, 50, 54, 55.

19/02/2022

Joseph Joubert, Carnets, II

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Écrire avec l’esprit et la pensée. Ce qui est écrit ainsi paraît d’abord plus lumineux.

 

Montesquieu : il dictait ce qu’il se souvenait d’avoir pensé. Ainsi, tous ces menus remplissages qui font plaisir à la lecture, mais dont la mémoire fait peu de cas ne se trouvent point dans ses écrits.

 

« L’art est de cacher l’art » Oui, dans tout ce qui doit ressembler à la nature. Mais n’est-il rien qui doive ressembler à l’art et par conséquent le montrer ?

 

            

Mes idées ! C’est la maison pour les loger qui me coûte à bâtir.

 

— et combien de bonnes idées viennent dans un grenier à rats — quand il fait mauvais temps.

 

Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 33, 34, 36, 37, 43.

18/02/2022

Christophe Tarkos, Le Kilo et autres inédits

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                  [L’un d’eux se dressa]

 

L’un d’eux se dressa plus que les autres, s’incurva, s’enfouit.

 

Quelquefois il y a un bruit continu d’un moteur d’un chantier. Un bruit variable à cause seulement du vent qui passe sur le bruit du moteur.

 

Cela venait de temps à autre, toujours brutalement par à-coups, toujours de cette manière, pour cette raison n’avait plus d’intérêt.

 

Quelquefois, cela se prépare pendant des années.

 

Cela vient soudain, se répète, apparaît brutalement, cela n’apparaissait pas et, brutalement, cela revient régulièrement.

 

Quelquefois, l’un d’eux monte légèrement plus que les autres puis s’abaisse jusqu’au sol, puis il reprend sa place.

 

Elles vont et viennent depuis un certain temps sans conséquences, puis, au bout d’un certain temps à aller et venir ainsi un certain temps, elles cessent de tourner sans conséquences, elles se rapprochent.

 

Quelquefois le temps de venir vient, les très nombreuses viennent alors toutes en même temps.

 

Ce qui apparaissait toujours en approchant près, soudain, recule, recule et n’apparaît plus.

(...)

 

Christophe Tarkos, Le Kilo et autres inédits, P. O. L, 2022, p. 379-380.

17/02/2022

Pierre Vinclair, L'Éducation géographique

pierre vinclair,l’Éducation géographique,écriture,littérature,sonnet

je vois deux stratégies d’écriture : tenter

vénérant la littérature, une Aufhebung

dans un livre total dont quelque qualité

         littéraire (arrêtée par un secret

 

décret de qui ?) produira quoi ? l’admiration

plutôt que le salut dont nous aurions besoin,

un dédommagement des quinze années perdues

         à donner une forme à ce machin ;

 

ou plus modestement, passer quelques minutes

à écrire un sonnet sans plus de raison d’être

         qu’un pensum affranchi par sa musique,

 

amusé, amusant avant de regagner

le cimetière des ratés prétentieux

         qu’on vénère au rayon littérature.

 

Pierre Vinclair, L’Éducation géographique, Flammarion, 2022, p. 253.

16/02/2022

Pierre Vinclair, L'Éducation géographique

             

pierre vinclair,l’Éducation géographique,mémoire

        

(...) je continue dans l’escalier de la mémoire, je me perds dans les salles, je ne sais plus si je descends ou si je monte et c’est un laytinthe, ou si je coule et c’est un océan de vieilles épaves aux vaisselles brisées, céramique pillées, aux motifs effacés,

                  je me cogne à ce mur

 

                  vertical comme un texte

                  une page sans parole

                  livré comme un meuble IKEA

                                qu’il faut monter

 

                  (je ne te demande pas

                  de contempler ce que je dis

                  mais d’obéir, au fond :

 

                  rappelle-toi la voiture

                  sur l’autoroute

                  c’est le mois de novembre

 

                  les paysages quelconques

                  que personne ne peint

                  défilent sous les roues

 

                  la traite négrière et la peinture

                  sont terminées depuis longtemps

 

                  je ne sais plus où l’on pourrait

                  trouver des traces de cela).

 

Pierre Vinclair, L’Éducation géographique, Flammarion

2022, p. 46.

 

15/02/2022

Mina Loy, Manifeste féministe & écrits modernistes

 

           

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    Aphorismes sur le modernisme

 

L’émotion regarde la vie sous un verre grossissant.

 

L’ironie est le râle de l’émotion.

 

La morale a été inventée comme excuse pour assassiner le voisinage.

 

Le christianisme s’est développé parce que sa doctrine donnait belle allure à ses échecs.

 

Les anarchistes en arts en sont les aristocrates immédiats.

 

Mina Loy, Manifeste féministe & autres écrits, NOUS, 2022, p. 47, 48, 48, 48, 49.

14/02/2022

Mina Loy, Manifeste féministe & écrits modernistes

                         

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                      Notes sur l’existence

 

Il importe peu que dans notre propre situation nous ayons pu voyager un million de kilomètres dans cette dimension désolée — l’intériorité. Notre personnalité visible, laquelle borne les confins de l’égo, quoiqu’apparemment étant ce que nous devons être, existe de fait là où nous y renonçons. Notre personnalité visible demeure un mannequin changeant, composé par hasard.

 

Le passé est mort telle une superstition dépassée, une momie au milieu de physionomies effritées dans la poussière de laquelle, des temps à autre, un grain s’incruste dans l’œil de la mémoire.

(...)

La guerre n’a laissé aucune trace en nous à l’exception de la disgrâce que quelques vieilles dames qui publiquement se vautrent sur la tombe de leur fils alors qu’elles auraient dû savoir comment mieux les élever.

 

Mina Loy, Manifeste féministe & écrits modernistes, traduction Olivier Apert, NOUS, 2022, p. 55 et 57.