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12/06/2020

Paul de Roux, Au jour le jour, carnets 2000-2005

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Tout se résume en cela : l’insatisfaction de soi-même.

 

À tant d’appels, combien de réponses ? Et parmi les réponses, combien vont plus loin que le geste ébauché, que le geste interrompu.

 

 La page du jour d’ouvre devant toi. Que vas-tu y écrire ? « À toi de voir », dit une voix. C’est de voir, justement, qu’il s’agit. De faire tomber les écailles qui vous bouchent la vue.

 

Paradoxalement, c’est de la qualité de la solitude vécue par un homme que dépend la qualité de ses rapports avec autrui, qu’ils soient amicaux ou amoureux. À chacun d’entre nous de découvrit le bon usage de sa solitude.

 

Paul de Roux, Au jour le jour, carnets 2000-2005, Le Bruit du temps, 2014, p. 145, 162, 167.

20/02/2019

Jean Bollack, Au jour le jour

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   Primo Levi, lors de son deuxième retour à Auschwitz en 1982, s’exprime sur les négationnistes : « celui qui nie Auschwitz est celui-là même qui serait prêt à le recommencer ». Cette dernière phrase de son livre(1)est simple. On ne peut le dire mieux, ni plus justement.

 1. Primo Levi, Rapport sur Auschwitz, présentation Philippe Mesnard, Kimé, 2005.J

Jean Bollack, Au jour le jour, P.U.F., 2013, p. 493.© Photo Tristan Hordé, 2006.

04/12/2016

Jean Bollack, Au jour le jour

 

                                       En hommage à Jean Bollack (15 mars 1923-4 décembre 2012)

 

                                                

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                          10 avril 2010

Nazis

 

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Beaucoup d’allemands devaient se dire au cours de la guerre, ou avant, que l’aventure nazie n’allait pas durer. S’ils n’ont pas pensé aux conséquences, c’est que la plupart, sinon tous, préféraient y croire, et profiter pour eux-mêmes de ce qu’ils considéraient encore comme un avantage et une promotion. L’ascension était plus personnelle et existentielle que sociale ou politique. Les dirigeants savaient la susciter.

 

Poésie

 

X 740

 

Les poèmes sont une seule lutte, requérant le droit à la différence ; tous les poètes sont « juifs » ; ils sont juifs positivement par l’indépendance, à savoir la non-appartenance. Ils revendiquent la liberté à l’endroit de toutes les traditions religieuses. Il y aurait comme une religion de la non-appartenance qui s’exprime le plus fortement dans le domaine de la grande poésie allemande.

 

Jean Bollack, Au jour le jour, PUF, 2013, p. 609 et 763.

© Photo Tristan Hordé

02/11/2016

Saül Bellow, Au jour le jour

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   Une fois de plus, dans l’air froid et la nuit qui tombait, il parcourut la courbe de la cage à l’entrée serrée entre des piliers de brique et il commença à monter au troisième étage. Des morceaux de plâtre s’écrasaient sous ses pieds, des bouts de fil de cuivre arrachés des plinthes marquaient d’anciennes limites d’appartements. Dans le couloir, le froid encore plus vif que dans les rues le transperça jusqu’aux os. Les toilettes de l’entrée faisaient des bruits de cataracte. Il pensa avec tristesse, tandis qu’il entendait le vent hurler tout autour de l’immeuble comme une fournaise, que ce n’était là qu’une caverne construite. Ensuite, il frotta une allumette dans l’obscurité et chercha des noms et des numéros au milieu des graffiti qui étaient écrits sur les murs. Il vit Kirikiki s’en va au ciel, des zigzags, des caricatures, des obscénités et des jurons. C’est ainsi qu’étaient également décorées les salles scellées des pyramides et les cavernes de l’humanité naissante.

 

Saul Bellow, "À la recherche de Mr Green", Au jour le jour, traduction Danielle Planel, Gallimard, 1962, p. 153-154.

 

01/11/2016

Paul de Roux, Au jour le jour

 

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                              Photographie Jacques Sassier

 

1/11 (Toussaint)

 

   On sait qu’il est difficile de commencer. De tracer les premières lettres, qui vont en entrainer d’autres. Et c’est dans ces lettres que se trouve un pouvoir, pouvoir souvent dénié — ne serait-ce que par superstition, lorsque l’on écrit soi-même, des personnes disparues depuis longtemps vivent encore pour nous grâce à ces petits signes noirs sur le papier. Tous ceux que l’on a aimés, que l’on souffre d’avoir mal aimés, on voudrait trouver pour eux des phrases qui soient autant de tuniques d’affection, qui les réchauffent (s’il se peut) et nous réchauffent de leur souvenir.

 

Paul de Roux, Au jour le jour 5, Carnets 2000-2005, édition établie et présentée par Gilles Ortlieb, Le bruit du temps, 2014, p. 133.

04/12/2015

Jean Bollack, Au jour le jour

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En hommage à Jean Bollack, disparu le 4 décembre 2012.

 

 

   En dépit de toutes ses origines rituelles, la poésie comporte une tendance libératrice, due à sa puissance d’arrachement, qui peut la conduire à des mises en questions radicales, et à souvent contester des croyances établies. Elle est athée. Le dieu tient son pouvoir de la langue.

 

   La fonction et la finalité d’une création littéraire (le terme n’est peut-être pas anachronique, ni pour Homère ni pour Sophocle) ne peuvent être saisies qu’au terme de l’analyse d’un projet qui relève de l’intervention d’un sujet ; ce « moi »-là s’affirme avant de pouvoir être rapporté à la situation historique d’un champ social dont la configuration préexiste à l’œuvre, mais s’y trouve également analysée et transformée.

 

   Le plus souvent les textes recensés par les auteurs d’articles critiques servent de prétexte ou de support. Leurs développements s’en inspirent L’analyse du sens et le déchiffrement systématique des textes auraient dû précéder et faire l’objet d’une discussion critique. Les opérations se tiennent mais demandent à être distinguées.

 

Jean Bollack, Au jour le jour, P.U.F, 2013, p. 763, 167 et 191.

© Photo Tristan Hordé, 2012.

25/02/2014

Paul de Roux, Au jour le jour, Carnets 2000-2005 (2)

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L'amour d'un jardin, d'une maison à restaurer, d'un palimpseste à déchiffrer. Voilà ce qui unit. On ne partage que le travail.

 

Tout se résume en cela : l'insatisfaction de soi-même.

Alors que l'on n'a que trop tendance à attribuer à autrui la responsabilité de son état. Toute doctrine qui exalte la liberté et la responsabilité de la personne est, de ce point de vue, excellente.

 

Plus un art est grand, moins on peut en voir de pièces. On s'aperçoit soudain que tel tableau, telle sculpture dit tout ce que l'on était susceptible d'entendre à l'instant et il ne reste plus qu'à s'éloigner pour ne pas être indigne de nouvelles rencontres.

 

                                                           Jour et nuit

 

                                             Grande balançoire, ces ondulations,

                                             terre s'étendant en vergers, moissons,

terre levée en buttes et bosquets

à l'horizon qui bleuit, se recueille

sous quelques pâles nuages,

langue ancienne dont nous avons oublié l'alphabet

tracé ici avec une touffe  d'herbe, un poirier,

terre ancrée dans les étoiles, révélées

si t'éveille la hulotte.

 

Paul de Roux, Au jour le jour, Carnets 2000-2005, édition établie par Gilles Ortlieb,  Le bruit du temps, 2014, p. 131, 148, 161, 190.

 

 

 

05/10/2013

Jean Bollack, Au jour le jour

 

                           

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Mallarmé

 

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    Pour Mallarmé, tout écrit est vers, et fournit la matière du beau ; il est « partout dans la langue où il y a rythme », même si le plus souvent le rythme que porte l'énoncé est entravé. Il n'existe donc pas de frontière — de la prose peut-être, mais guère de la poésie.

   En ce temps de révolution, la souveraineté de l'alexandrin subsistait et tout le reste venait en second, contestait son autorité et l'ébranlait — on a une matière et sa décomposition. Mallarmé, dans un entretien, forcément plus public, qu'il accorde, retraduit la situation, moins pour se trouver lui-même que pour la faire comprendre à d'autres et expliciter sa pensée. Il embrasse la littérature dans sa totalité, retient tout ce qui peut y prétendre. Il se fait le critique expert des œuvres les plus lues, et prend pour critère le pouvoir créateur d'une poésie, redéfinie, et jamais soumise à la réalité immédiate. La création même, le pouvoir démiurgique nouveau sont revendiqués ; ils forment le domaine réservé du lettré, et suscitent les objections d'un interlocuteur profane.

 

Jean Bollack, Au jour le jour, P.U.F, 2013, p. 532.

©Photo Tristan Hordé

 



1 Mallarmé, Œuvres complètes, édition Henri Mondor, Paris, 1945, p. 867.

31/05/2013

Jean Bollack, Au jour le jour

 

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   On accède à la culture par deux voies contraires : en l'approchant, en raison de la place qu'elle occupe dans la société, et inversement pour les moyens qu'on y trouve de la critiquer et de révéler l'inculture.

 

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   On parle pour faire parler et apprendre ce qu'on veut savoir ; sinon, soi-même, on dit en parlant des choses que sans doute il ne faudrait pas avoir dites ; on ne les savait que trop déjà.

 

X 635

   En dépit de toutes ses origines rituelles, la poésie comporte une tendance libératrice, due à sa puissance d'arrachement, qui peut la conduire à des mises en question radicales, et à souvent contester les croyances établies. Elle est athée. Le dieu tient son pouvoir de la langue.

 

X 1790

   La poésie peut se libérer de toutes les entraves, et d'abord de celles que construit la pensée, qui s'y réfère. Elle dispose des ressources de la langue ; par l'usage qu'elle en fait, elle montre ce que c'est de dire : elle fait voir ce qu'elle dit.

 

 

 

Jean Bollack, Au jour le jour, P. U. F, 2013, p. 419, 423, 763, 766.

© PhotoTristan Hordé