02/07/2011
John Donne, Chanson
Chanson
Mon cher amour, je ne m’en vais
Parce que tu me lasses,
Ou que j’espère ici trouver
Amour qui te remplace.
Mais puisqu’il faut
Que je meure à la fin mieux vaut
En jouant me faire à l’idée,
Par des morts simulées.
Le soleil qui s’en fut au soir
Aujourd’hui se reflète ;
Il n’a ni raison ni vouloir,
Et sa route est moins brève ;
Ne crains donc rien :
J’irai plus vite, crois le bien,
Qu’il ne va, car j’emporte en selle
Plus d’éperons et d’ailes.
Faible est de l’homme le pouvoir
Qui, quand vient la fortune,
Ne peut une autre heure y pourvoir
Ni, morte, en revivre une.
Mais le malheur
Aidons, et faisons de bon cœur,
Lui enseignant art et durée
Sa victoire assurée.
Tes soupirs ne sont point du vent :
Mon âme s’y disperse.
Quand tu pleures, tendre tourment,
C’est mon sang que tu verses.
Ne peux ainsi
M'aimer autant que tu le dis
Si je dois en toi disparaître,
Le meilleur de mon être.
Ne permets à ton cœur devin
De me prévoir misère :
Tu pourrais pousser le destin
À tes craintes parfaire ;
Comme en dormant,
Crois-nous détournés seulement :
Une âme gardant l’autre en vie,
Point ne sont désunies.
John Donne (1572-1631)
Song
Sweetest love, I do not go,
For wearinesse of thee,
Nor in hope the world can show
A fitter Love for mee ;
But since that I
Must dye at last,’tis best,
To use my self in jest
Thus by fain’d deaths to dye ;
Yesternight the Sunne went bence,
And yet is here to day
He hath no desire nor sense,
Nor halfe so short a way :
Then fears not mee,
But beleeve that I shall make
Speedier journeyes, since I take
More wings and spurres than bee.
O how feeble is mans power,
That if good fortune fall,
Cannot adde another houre,
Nor a lost houre recall !
But come had chance,
And wee joyne to’it our strength,
And wee teach it art and length,
It selfe o’r us to’advance.
When thou sigh’st, thou sigh’st not winde,
But sigh’st my soule away,
Then thou weep’st, unkindly kinde,
My lifes blood doth decay.
It cannot bee
That thou lov’st mee, as thou say’st,
If in thine my life thou waste,
Thou art the best of mee.
Let not thy divining heart
Forethinke me any ill,
Destiny may take thy part,
And may thy feares fulfill ;
But thinks that wee
Art but turn’d aside to sleepe ;
They who one another keepe
Alive, ne’r parted bee.
John Donne, Poèmes, traduction par J. Fuzier et Y. Denis, introduction de J.-R. Poisso, édition bilingue, Poésie : Gallimard, 1962, p. 124-127.
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