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07/12/2011

Jacques Borel, Un voyage ordinaire (caprice)

 

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Un journal de bord prenant, non pas seulement la place de l'œuvre, mais de la vie même, est-ce que c'est ça ? Un journal de bord de ma vie et proliférant d'autant plus monstrueusement que dans ma vie, désormais, il ne se passe plus RIEN ?

Seulement, ce n'est pas ça, la coulée, à même le lit de l'écriture, de la vie, et je le sais.

[...]

Sauver l'autre, et non soi-même. Écrire, même, ç'a été pour ça : pour la sauver. Ma première pensée : une Vie de ma mère. Pour être aimé, l'écriture ? Mais ce peut être pour qu'un autre, aussi, soit aimé. Elle qui n'a jamais rien eu, pour qu'il y ait eu au moins cet illusoire reflet d'elle ; sur son ombre presque soufflée, au moins, comme elle vacillait, ce misérable halo, un instant, avant la fin. Un leurre redoublé, une autre folie, un autre échec.

 

À chaque ligne un nouveau démenti, à chaque livre. Et je ne m'acharnerai pas moins, malgré tant de retombements, tant de traverses, jusqu'au bout. Tout pétri d'elle, par elle dévasté peut-être, et de plus en plus à mesure que dans l'absence et le rien elle s'enfonce, à tout lui rendre.

Un cadavre démembré, Les Saugrenus, et c'est cela qu'elle doit rester, cette « fin », que seule elle peut être. Tu ne feras pas ce livre : tu le détruiras. C'est cette destruction même qui sera lui. Il ne peut plus, le voudrais-tu, être autre chose.

 

Les bas de ma mère tenant, comme ceux de presque toutes les pensionnaires, non pas par des jarretelles, mais par des jarretières, pas même : par un simple élastique comme les chaussettes d'enfant autrefois, et ridés sur les pauvres jambes osseuses, c'est ça, à l'instant, que je viens de voir, je dérivais dans le grand ciel un peu rosi à ras d'horizon, à travers les taillis, les branches sèches, cette fumée bleutée qui montait d'un toit loin en contrebas dans la campagne, — c'est ça.

 

Jacques Borel, Une voyage ordinaire (caprice), Le temps qu'il fait, 1993, p. 96 et 97-98.

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