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06/06/2011

Jules Renard, Journal

imgres-1.jpegSi d’une discussion pouvait sortir la moindre vérité, on discuterait moins. Rien d’assommant comme de s’entendre : on n’a plus rien à se dire.

 

L’art avant tout. Il restait un mois, deux mois, parmi ses livres, ne leur demandant que le temps du repos et des sommeils, puis tout à coup il tâtait sa bourse. Il fallait chercher un emploi, n’importe quoi, pour revivre. Une longue suite de jours dans un bureau quelconque avec des ronds-de-cuir, de race ceux-là, il collait des timbres, mettait des adresses, acceptait toute besogne, gagnait quelques sous, remerciait le patron et retournait à ses livres, jusqu’à nouvelle détresse.

 

Il avait plus de cheveux blancs que de cheveux.

 

L’éloquence. Saint André, mis en croix, prêche pendant deux jours à vingt mille personnes. Tous l’écoutent, captivés, mais pas un ne songe à le délivrer.

 

Un ami ressemble à un habit. Il faut le quitter avant qu’il ne soit usé. Sans cela, c’est lui qui nous quitte.

 

Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés de déchirer leur photographie !

 

   Qu’est-ce qu’il fait donc, Jules ?

   Il travaille.

   Oui, il travaille. À quoi donc ?

   Je vous l’ai dit : à son livre.

   Faut donc si longtemps que ça, pour copier un livre.

   Il ne le copie pas : il l’invente.

 Il l’invente ! Alors, c’est donc pas vrai, ce qu’on met dans les livres ?

 

Tu n’es pas assez mûr, dis-tu. Attends-tu donc que tu pourrisses ?

 

On peut être poète avec des cheveux courts.

On peut être poète et payer son loyer.

Quoique poète, on peut coucher avec sa femme.

Un poète, parfois, peut écrire en français.

 

Malgré l’ininterrompue continuité de nos vices, nous trouvons toujours un petit moment pour mépriser les autres.

 

Faire tous les frais de la conversation, c’est encore le meilleur moyen de ne pas s’apercevoir que les autres sont des imbéciles.

 

Il est tombé sur moi à coups de compliments.

 

La psychologie. Quand on se sert de ce mot-là, on a l’air de siffler des chiens.

 

Je ne lis rien, de peur de trouver des choses bien.

 

Quand on me montre un dessin, je le regarde juste le temps de préparer ce que je vais en dire.

 

Tout est beau. Il faut parler d’un cochon comme d’une fleur.

 

Si on reconnaît « mon style », c’est que je fais toujours la même chose, hélas !

 

J’au vu, monsieur, sur une table de boucher, des cervelles pareilles à la vôtre.

 

La prose doit être un vers qui ne va pas à la ligne.

 

J’ai fait le calcul : la littérature peut nourrir un pinson, un moineau.

 

En somme, qu’est-ce que je dois à ma famille ? — Ingrat ! Des romans tout faits.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p. 7, 12, 13, 15, 15, 17, 25, 35, 51, 57, 60, 69, 73, 83, 86, 97, 98, 99, 103, 106.

 

 

 

 

 

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