01/08/2016
Guillaume Apollinaire, La tzigane
La tzigane
La tzigane savait d’avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l’Espérance
L’amour lourd comme un ours privé
Danse debout quand nous voulûmes
Et l’oiseau bleu perdit ses plumes
Et les mendiants leurs Ave
On sait très bien que l’on se damne
Mais l’espoir d’aimer en chemin
Nous fait penser main dans la main
À ce qu’a prédit la tzigane
Guillaume Apollinaire, Alcools, dans
Œuvres poétiques, édition M. Adéma et
M. Décaudin, Pléiade / Gallimard,
1967, p. 99.
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12/04/2016
Peter Altenberg (1859-1919), Esquisses viennoises
Comme vont les choses
Elle était une toute petite comédienne du théâtre d’été, elle avait des yeux célestes, elle avait faim.
« J’aimerais vous jouer une fois Jane Eyre », dit-elle à un jeune écrivain.
« Venez me voir ! », dit-il.
« Oh ! vous me le permettez ? ! »
Elle joua devant lui.
Il la félicita, fit en sorte qu’elle se sentit heureuse.
Puis il l’embrassa, la serra contre lui — — —.
« Dieu me garde ! », dit-elle, s’abandonnant au destin.
Elle garda ses yeux célestes, sa faim, et déclamait Jane Eyre, son grand rôle — — —.
Peter Altenberg, Esquisses viennoises, traduction de l’allemand de Miguel Couffon, Pandora / Textes, 1982, p. 58.
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19/08/2015
Cummings, font 5
en dépit de tout
ce qui respire et bouge, puisque le Destin
(de ses très longues mains blanches
arrangeant chaque pli)
lissera entièrement nos esprits
— quand de quitter ma chambre
je me retourne, et (me penchant
dans le matin) j’embrasse
cet oreiller, chérie
où nos têtes ont vécu, ont été
Cummings, font 5, traduction et postface
de Jacques Demarcq, 2011, p. 81.
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12/08/2015
Catherine Pozzi, Poèmes
Infusoire, infusoire,
Viens te poser sur ma main.
Tu me diras le chemin
De la gloire.
Sous le soleil illusoire
Du havre laboratoire,
Ha, dirige ta nageoire
Vers mon transparent destin.
Sois mon serin, mon carlin,
Mon béguin enfin bénin
Sois ma dernière victoire
Infusoire !
Catherine Pozzi, Poèmes, édition
Claire Paulhan et Lawrence Joseph,
Poésie/Gallimard, 2002, p. 78.
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13/12/2014
Jorge Luis Borges, Éloge de l'ombre
Labyrinthe
De porte, nulle part, jamais. Tu es dedans
Et l'alcazar embrasse l'univers
Et il n'a point d'avers ni de revers.
Point de mur extérieur ni de centre secret.
N'espère pas que la rigueur de ton chemin
Qui obstinément bifurque sur un autre
Qui obstinément bifurque sur un autre
Puisse jamais finir. De fer est ton destin
Comme ton juge. N'attends point la charge
De cet homme taureau dont l'étrange
forme plurielle épouvante ces rêts
Tissés d'interminable pierre.
Il n'existe pas. N'attends rien. Pas même
Au cœur du crépuscule noir, la bête.
Jorge Luis Borges, Éloge de l'ombre, dans Œuvres complètes II,
traduction Jean Pierre Bernès et Nestor Ibarra,
Pléiade, Gallimard, 1999, p. 161.
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23/05/2014
Antonio Gamoneda, extraits de Chansons de l'erreur
I
Tu as écouté la plainte de la mer. Elle annonce
une imminence.
Libère-toi
de la pensée : cette
imminence te dépasse.
Libère-toi
Ne réponds pas
à la plainte de la mer.
II
Le destin n'existe pas mais il est traversé de racines rouges. Ainsi
est, fut, ma pensée traversée
par l'étincelle de la négation.
Ainsi
les heures crient, prononcent
leur inutile prophétie :
la pourpre
et l'extinction
du lever du jour.
III
Oui, la négation avance
dans mes veines.
Elle loge
dans la sentine creuse
de la pensée.
À proprement parler
pas de pensée en moi. La fausseté
me possède, l'unique fruit
permis dans cette
épaisseur vivante.
IV
Il y a de la colère dans la grisaille. La lumière gagne les [cours
et les cordes divisent ombres et minéraux.
La lumière soutient doucement la majesté des oiseaux, réunit
en un même instant quiétude et vertige.
As-tu pensé la lumière hors de tes yeux ?
Pense la lumière.
Non ;
tu ne peux la penser : elle
te pense, toi.
Ferme les yeux.
Antonio Gamoneda, extraits de Chansons de l'erreur,
traduit de l'espagnol par Jean-Pierre Bériou et Martine Joulia,
dans Europe, avril 2014, n° 1020, p. 284-285.
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26/04/2014
Anise Koltz, Galaxies intérieures
Quel destin se cache
sous mes paupières closes ?
Invente-t-il
une autre réalité du monde ?
Les séquences se suivent
d'après un ordre nouveau
Alertant le sans
orchestrant des apparences trompeuses
Des constellations défilent
devant mon écran intérieur
Des personnages apparaissent
formés de la matière de l'ombre
Jusqu'à ce que la nuit émigre
devant l'apparition du jour
*
Les chemins parcourus
étant sans mémoire
mes pas
ne se sont pas fixés
Je pars
je reviens
Je quitte la terre
pour me blottir sous elle
Je réapparais
éclairée
par quelques moments
de lumière
entre le néant et le néant
Anise Koltz, Galaxies intérieures, Arfuyen,
2013, p. 54, 56.
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09/03/2012
Claude Dourguin, Laponia
[...] Un vieil instinct à foulées lentes fait se remettre en route, étranger à toute intimité — ailleurs la courbe d'une prairie, un boqueteau de peupliers au creux d'un vallon —, le paysage boréal est inhabitable. Il ne permet, évidence familière chérie, jamais redoutée, que la traversée ; le parcours est la seule approche, cette sympathie dynamique, aérienne qui lie au paysage, fait éprouver sa vérité, livre son être même. Certaines hautes terres, roches, landes et pelouses livrées au seul vent accordent cette ivresse. Mais la variété des formes rencontrées, les toits humains en une ou deux journées de marche vite rejoints, provoquent l'attention, sollicitent les rêveries et atténuent l'intensité de la perception de l'étendue, lui donnent les limites des moments. Ici à traverser les centaines de kilomètres sans âme qui vive que le blanc unifie j'éprouve l'espace nu, bien des fois il ma semblé le pousser devant moi, à l'infini toujours reconstitué, inépuisable, et peut-être est-ce folie dont me tient l'exaltation, avancer projetée vers là-bas, allégée, délivrée des attaches et du regard par-dessus l'épaule, toute entière dessein, tendue vers l'avenir inconnu, illusoire peut-être, qui se confond avec le franchissement des distances. Alors cet élan sans rupture que rien n'arrête — un jour, la mer, seule — tient lieu de destin.
Claude Dourguin, Laponia, éditons Isolato, 2008, p. 41-42.
© Photo Claude Dourguin.
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