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14/04/2013

Tiphaine Samoyault, Bête de cirque

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   La première fois que j'ai vu tomber un arbre entier, quand le dernier coup porté l'a cassé en deux après que ses branches ont été déposées une à une et que son bruit a précédé sa chute, je ne crois pas avoir plaint l'arbre mais moi qui le voyais tomber. Tandis que debout il était un géant dont la crête m'apaisait, au sol il devenait sans ressemblance. Sa tête n'était plus l'ombre des nuages, il ne ferait plus l'ombre de cette ombre. Qu'est-ce qui tombe quand quelque chose tombe ? Peut-être toutes les ombres que cette chose a portées. La première fois que j'ai vu tomber un arbre, j'ai vu brusquement tomber du temps, pourtant si lent. On n'entend pas le temps passer dans l'arbre qui pousse mais on l'entend s'effondrer dans l'arbre qui tombe. Le tronc ouvert permet de compter les âges de cet arbre qui ne vieillira plus. Les yeux s'égarent dans cette spire si difficile à suivre qu'on en perd l'âge de l'arbre, de toute façon si vieux. Qu'est-ce qui tombe quand quelque chose tombe ? Un souvenir par seconde et l'âge que nous n'aurons jamais. La première fois que j'ai vu tomber un arbre, quand la perspective matinale d'une journée d'hiver fut soudain dévisagée par sa chute progressive, j'en ai vu tomber un deuxième peu après. Pareillement la cime puis le houppier puis en deux fois le tronc. On se bouche les oreilles pour ne pas voir, sans pouvoir malgré tout s'empêcher de regarder la stèle qui tombe. Et quand on voit combien aussi celui-là manque, on se dit qu'on a vécu près d'un arbre, qu'on n'y a pas été assez sensible.

 

Tiphaine Samoyault, Bête de cirque, "Fiction & Cie", Seuil, 2013, p. 151-153.

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