19/12/2025
Littérature de patout prend des vacances jusqu'en janvier
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Antoine Emaz, Peau
Photo T. H., 2011
Vert, I (31.09.05)
on marche dans le jardin
il y a peu à dire
seulement voir la lumière
sur la haie de fusains
un reste de pluie brille
sur les feuilles de lierre
rien ne bouge
sauf le corps tout entier
une odeur d'eau
la terre acide
les feuilles les aiguilles de pin
silence
sauf les oiseaux
marche lente
le corps se remplit du jardin
sans pensée ni mémoire
accord tacite
avec un bout de terre
rien de plus
ça ne dure pas
cette sorte de temps
on est rejoint
par l'emploi de l'heure
l'à faire
le corps se replie
simple support de tête
à nouveau les mots
l'utile
on rentre
on écrit
ce qui s'est passé
il ne s'est rien passé
Antoine Emaz, Peau,
éditions Tarabuste, 2008, p. 25-28.
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18/12/2025
Paul Zumthor, Anthologie des grands rhétoriqueurs
C’est par vous que tant fort soupire
Toujours m’empire.
A vostre avis faictes vous bien
Que tant plus je vous vueil de bien,
Et, sur ma foy, vous m’estes pire.
Ha, ma dame, si grief martire
Ame ne tire
Que moy, dont ne puys mays en rien
C’est par vous
Vostre beaulté vint, de grant tire,
A mon œil dire
Q’il fist mon cuer devenir sien.
Il le voulut : si meurt et bien
Je ne luy puys aider ne nuyre :
C’est par vous
Jean Meschinot, Rondeau, dans Paul Zumthor, Anthologie des grands rhétoriqueurs, 10/18, 1978, p. 41-42..
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17/12/2025
Paul Zumthor, Anthologie des grands rhétoriqueurs
Rondeau clos et ouvert
Se j’ay vostre grâce requise,
Et ma volonté s’est submise
A vous aymer plus que mille âmes,
C’a été en espoir, ma dame
Que mieulx que vostre douleur m’en prise.
Combien me soit haulte entreprise ;
Mais touttefoys, quant je m’advise,
Il ne peult tourner à blasme,
Se j’ay vostre grâce.
Votre honneur point s’en amenuise.
Vous n’en devez estre reprise,
Se moy ou un aultre vous ame ;
Et jà n’en perdrez, sur mon âme,
Vostre liberté et franchise
Se j’ay.
Pierre Fabri, dans Paul Zumthor,
Anthologie des grands rhétoriqueurs,
10/18, 1978, p. 279.
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16/12/2025
Paul Zumthor, Anthologie des grands rhétoriqueurs,
Rondeau de quatre syllabes
Autre n’aray
Tant que je vive.
Son serf seray
Autre n’aray,
Je l’aimeray
Soit morte ou vive.
Autre n’aray
Tant que je vive.
Jean Molinet, dans Paul Zumthor,
Anthologie des grands rhétoriqueurs,
10/18, 1978, p. 107.
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15/12/2025
Norge, La langue verte

Un sourire
Des morts, encor des morts,
Toujours cette fin noire,
Changez-moi ce décor,
Ces acteurs, cette foire.
Je veux de francs feuillages,
Et du son de flûteau
Qui passent dans mes âges
Comme un printemps sur l’eau.
Et je veux un sourire
(Ô silence, ô moisson)
Qu’aucun vent ne déchire
De sa longue saison,
Une douce figure
Où poser cette gloire,
Un visage qui dure,
Plus beau que son histoire.
Norge, La langue verte, Gallimard,
1962, p. 117-
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14/12/2025
Christian Prigent, Zapp & zipp : recension

Un portrait avec pleins et déliés
Bien des écrivains n’ont pas rédigé de journal, de Flaubert à Beckett et Modiano, ou n’ont jamais eu l’intention de le publier, comme Jules Renard, Kafka ou Virginia Woolf ; d’autres l’ont donné à lire (Gide) et en ont même fait une partie importante de leur œuvre (Paul Léautaud, Charles Juliet). Les contenus sont extrêmement variés et différents d’un journal à l’autre ; celui de Prigent exclut à peu près complètement le récit de faits quotidiens — il note cependant qu’il regardera l’arrivée d’une course cycliste, mais on ne saura pas si c’est lui qui s’occupe du lave-linge. Le journal est divisé en groupes mensuels, abandonnant la mention de dates retenue dans la publication sur Sitaudis. Le lecteur aura beaucoup à réfléchir en le suivant mais il s’y est habitué s’il a lu sur le site des éditions P.O.L ses « textes libres », titrés SILO : ils « abordent les rapports poésie/peinture, poésie/prose, théorie/fiction, littérature/politique, lyrisme/carnavalesque, phrase/phrasé ». C’est là une partie du programme du journal à l’occasion de lectures, de notes pour un colloque, d’un article ou d’un entretien ; s’y ajoutent des observations à propos de l’actualité, des poèmes ici et là, des réflexions sur la/sa vieillesse, des souvenirs d’où de rares mentions sur la famille. Bref : un vrai journal comme le définissent les dictionnaires. Une annexe propose des extraits de Chino Rabelais (paru en 2020) et un index à la manière de l’auteur (La vie civique, La vie des lettres, etc., qui s’achève par Le Cabinet des Muses).
Le titre est dans la manière de Prigent, qui apprécie les onomatopées. Outre la répétition Z…P, on imagine un couple dans un scénario du genre « Zapp & Zipp sont sur un bateau » — ce qui rappelle le centenaire Zig et Puce de Saint-Ogan. Zap(p) implique par ailleurs le changement, le passage d’une idée à une autre et Zip(p) désigne un format de fichier pour archivage, donc on peut « zipper les sujets entre eux » (exergue du livre) : voilà pour un journal. Ne pas oublier que Prigent, (longtemps) cycliste et connaisseur des courses, a sans doute pensé à la célèbre marque américaine de roues de vélo, Zipp. On voudrait restituer l’unité du « disparate » de ces 736 pages : on la trouverait dans ce qui guide les lectures (de Follain à Guyotat) et les préparations d’articles ou de conférences — ce qui renvoie le lecteur aux livres de l’essayiste qu’est Prigent ; on tentera plus simplement d’en regrouper quelques éléments dans ce qu’il note à propos de son écriture et de sa propre vie.
Écrire, qui a occupé et occupe encore une partie importante de son temps, a pour point de départ des lectures : écrire, cela a été « tenter de comprendre pourquoi et comment ceux-là (Ducasse, Rimbaud) m’avaient fait écrire — et pourquoi eux et fort peu d’autres (sinon plus tard, quelques étrangers : Maïakovski, Khlebnikov, Hölderlin, Pound, Cummings… — mais une fois les choses déjà jouées) ». Ce qui vaut pour l’ensemble de l’œuvre justifie-t-il la tenue d’un journal et sa publication régulière ? Peu de diaristes d’ailleurs expliquent le pourquoi de leurs notations à intervalles réguliers ; Prigent consacre à la question quelques lignes en avril 2024 sous le titre « Vider les lieux ». Il s’agirait « de tenir fermement la posture amère, sarcastique et furieuse, se mettre tout le monde à dos, user les amis, vider le plus possible les lieux autour de soi (…) avant de n’avoir plus qu’à vider à son tour les lieux ». La rédaction d’un journal viserait à se retrouver seul, comme si ce qui était écrit avait pour « Seul but, peut-être » de chasser les lecteurs, amis ou non ? La vieillesse (80 ans en 2025) peut expliquer le retrait : « on est seul, et davantage à mesure qu’on a moins de force pour faire comme si on était et vivait "comme tout le monde " », ou aussi : « Je suis vieux. Mes amis sont vieux. L’échéance approche ».
La plupart des textes du livre n’ont rien qui puisse corroborer l’affirmation d’un retrait, qu’il s’agisse des nombreux développements autour d’un écrivain, d’un film ou d’un livre. Quand paraît le nouveau TXT (2019), Prigent ne souhaite pas apparaître comme tel dans ce « lieu quasi pour [lui] natal » mais, avec des publications anonymes « se retirer sans abandonner ». Certains textes donnent à reconnaître un Prigent observateur attentif de la nature quand, par exemple, un Martin-pêcheur vient visiter les bassins à poissons rouges du jardin ; émotion encore quand il se trouve à un "bout du monde" ; lyrisme sans doute, soit « l’obsession de l’immensité innommable » du réel. Alors « écrire tente de noter cette démesure, d’en restituer l’effet, le tact ». On relit aussi la page où il observe avec émotion Beckett et Pinget silencieux dans un café (souvenir « pauvre, furtif, même pas volé, incompréhensiblement poignant ») et, à un autre moment, croise Beckett portant un cabas d’où dépasse un poireau. Ces notations renforcent pour le lecteur le vif des très nombreux mini- essais à propos de films et d’écrivains, de ce qu’est pour lui l’écriture et la poésie.
Prigent est-il présent dans ses livres, par exemple dans la série des Chino ? certainement, sans qu’il soit question d’autobiographie, genre majeur aujourd’hui : « ils disent une vérité de ma vie (ce serait peu) et (c’est beaucoup plus) rappellent que la sorte d’énergie joyeuse des fictions s’en est arrachée — comme écriture : victoire sur la mélancolie. » C’est cette énergie qui donne son allant, et son unité, à l’ensemble du journal et elle écarte chaque fois la tentation du repli. Elle éloigne du « verbiage » des réseaux, de leur inculture, permet de refuser fermement l’idée que vouloir diffuser les "grandes œuvres" serait élitiste. Ce qui n’empêche pas de savoir qu’« écrire ne sauve de rien, ne sauve rien » et, en même temps, qu’« on apprend le monde en écrivant ».
La publication de l’ensemble du journal fait apparaître, avec un retour régulier de quelques interrogations et de quelques motifs, une unité d’écriture moins visible dans la publication mensuelle. On repèrera quelques éléments récurrents, les séries d’adjectifs comme « C’est compliqué, tordu, lacunaire, opaque », « C’est toujours une chance — d’être moins morne, moche méchant, con », etc., la fréquence des parenthèses, des italiques pour marquer l’importance d’une notion, l’usage très régulier de surjouer, surjoué et de moche — jusqu’à « ce soi moche ». Etc. Tous éléments qui facilitent la lecture, traces fortes d’une volonté de partage.
Christian Prigent, Zapp et zipp, 2019-2024, P.O.L, 736 p., 29 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis Le 9 novembre 2025.
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13/12/2025
Norge, Le Stupéfait

Une fête
La folle mouche d’octobre
Qu’exaltait l’amour de vivre
Sent déjà pincer le givre
Qui va lui blanchir la robe.
Mais elle ne gémit pas
Et nous zézaie à tue-tête,
Mordant au raisin muscat
Que la mort est une fête.
Norge, Le Stupéfait, Gallimard,
1988, p. 99
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12/12/2025
Horge, Le Stupéfait

Rien
As-tu jamais écouté
Le bruit d’une goutte d’eau
Qui tombe au fond du puits ?
As-tu jamais regardé
Une feuille de platane
Qui vient toucher la terre ?
As-tu jamais caressé
Le dernier mot d’une vague
Qui meurt sur le rivage ?
Mais as-tu jamais compris
La fabuleuse parole
Qui couve le silence ?
- Je n’existe pas assez
Pour être et pour caresser.
Norge, Le Stupéfait, Gallimard,
1988, p. 43.
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11/12/2025
Giorgio de Chirico, Poèmes
Mélancolie
Lourde d’amour et de chagrin
mon âme se traîne
comme une chatte blessée
— Beauté des longues cheminées rouges
Fumée solide
Un train siffle. Le mur
Deux artichauts de fer me regardent.

J’avais un but. Le pavillon ne claque plus
— Bonheur, bonheur, je te cherche —
Un petit vieillard si doux chantait doucement
une chanson d’amour.
Le chant se perdit dans le bruit
de la foule et des machines
Et me chants et mes larmes se perdront aussi
dans les cercles horribles
ô éternité.
Giorgio de Chirico, Poèmes Poesie, présentés par
Jean-Charles Vegliante, Solin, 1981, p. 25/
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10/12/2025
André Frénaud, HÆRES

Les expressions de la physionomie
Celui qui sans raison prétend au sacrifice,
celui dont les dons ne valent plus,
celui qui s’entête, celui qui écourte,
celui qui fait la roue — qui fait semblant —
celui qui s’est détourné, qui est là encore
quand il sourit sans plus récriminer,
celui qui s’encourage par des billevesées
à défaut de mieux,
celui qui hurle parce qu’il ne sait plus dire,
celui dont le cri s’est étranglé,
celui qui s’entrouvrait à la rumeur
qu’il n’entend plus,
celui-ci, le même,
sous différents jeux de physionomie,
dans la bonne direction décidément,
et qui atermoie, qui atermoie,
conserve-t-il de la bonté, je le voudrais.
André Frénaud, HÆRES, poèmes 1968-1981,
Gallimard, 1982, p. 253.
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09/12/2025
Ossip Mandelstam, Tristia

Ce chant de grillon de l’horloge
c’est le murmure de la fièvre,
le râle desséché du poêle
c’est rouge soie qui se consume.
Si ronge la dent des souris
la trame amincie de la vie,
c’est que l’aronde ou dans sa ronde
son enfant détache ma barque.
Ce qu’au toit la pluie balbutie
c’est noire soie qui se consume,
mais le merisier n’entendra
jusqu’au fond des mers que « pardonne. »
Parce qu’innocente est la mort
et de rien ne vient le secours
si dans ta fièvre rossignol
le cœur a gardé sa chaleur.
Ossip Mandelstam, Tristia, dans Œuvres
poétiques, Le Bruit du temps/La Dogana,
2019, p. 177.
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08/12/2025
Ossip Mandelstam, Poésies complètes

Pour la gloire grondante des siècles futurs,
pour l’éminente tribu des hommes
je perds le droit de boire au festin des pères,
ainsi que l’allégresse et l’honneur.
Le siècle chien-loup m’a bondi sur l’épaule,
mais je n’ai de sang de loup ; fourrez-moi
ainsi qu’une chapka, dans la manche
d’une pelisse pour steppe sibérienne.
Que je ne voie ni froussard ni boue morbide,
ni ossements sanglants dans la roue,
et que pour moi dans la nuit les renards bleus
luisent de leur beauté primitive.
Mène-moi de nuit où l’Ienisséï coule,
là où le pin touche jusqu’aux étoiles,
parce que loup par le sang je ne suis pas
et que seul me tuera mon semblable.
17-18 mars 1931
Ossip Mandelstam, Œuvres poétiques, traduction Jean-Claude Schneider, Le Bruit du temps/La Dogana, 2018, p. 364.
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07/12/2025
Chapiteaux romans (Autun)
Photos T.H.
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06/12/2025
Anne Malaprade, épuiser le viol

Et tu récites une prière, et tu te redis, et tu écris, et tu domptes ton corps : l’obéissance à la Loi qu’on s’est prescrite en liberté. Purain de Loi : tu n’as pas assez travaillé, tu as menti, tu as demandé aux autres de te couvrir, de fumer, de boire. Tu as triché, tu n’as pas appris jusqu’à l’écœurement, tu as joué, tu as volé, tu as déchiré, tu as fait des faux, tu as recopié. Putain de Loi, putain de travail, putain de pensée, putain de partition, putain de main agrippée, putain d’orthographe dont j’accroche les mots jusqu’à les casser. Tu fais travailler la pute en toi, et cette pute c’est l’humanité qui te reste et que tu protèges et qui au réveil est toujours encore plus fatiguée.
Anne Malaprade, épuiser le viol, éditions isabelle sauvage, 2025, p. 118.
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