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26/09/2013

André Salmon, Fééries — Apollinaire, Alcools

                                                            Poèmes dédiés à tous les ministres de l'intérieur

 

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                                Le Tzigane

 

C'est dans la petite voiture ronde

— et si légère d'avoir couru le monde —

Où mal ou bien vivaient pêle-mêle

Mon père,

Ma mère qui fut aimée pour la gloire de ses seins

Et porta sans pleurer le fardeau des mamelles,

Mes quatre frères, dont le plus beau fut assassin

Et mes deux grandes sœurs qui faisaient en dansant

Fleurir une rose noire dans le cœur des passants,

C'est dans la petite voiture ronde et radoubée comme un ponton

— Le vieux ponton à la dérive —

Que je suis né, mais il y a si longtemps,

Que je ne connais plus ma part de jours à vivre.

 

[...]

 

Plus avant ! C'est la loi.

Hélas ! Pourquoi des yeux brillent-ils aux fenêtres ?

Pourquoi faut-il songer au petit toit

De tuiles abritant, peut-être

Le trésor inconnu et dont nul ne dispose ?

Pourquoi se souvenir d'un arbre, d'un lac, d'une lumière,

Qui, un matin d'hiver,

Veillait sue le sommeil de Tiflis, blanche et rose ?

Et je voudrais connaître qui nous mit sur la route

Baladins vagabonds,

Pour perpétuer le rêve et forger le doute,

Mais l'exil a du bon.

Mon orgueil vrai, c'est d'avoir fait danser

Tous les couples du monde avec mon violon ;

Comme mon ours d'Asie qui mourut l'an passé,

En me léchant les mains,

Ayant dansé pour ceux que j'avais fait danser.

 

[...]

 André Salmon, Fééries (1907), dans Créances, Gallimard,

1926, p. 110-111 et 112.

 

 

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                             La Tzigane [1907]

 

La tzigane savait d'avance

Nos deux vies barrées par les nuits

Nous lui dîmes adieu et puis

De ce puits sortit l'Espérance

 

L'amour lourd comme un ours privé

Dansa debout quand nous voulûmes

Et l'oiseau bleu perdit ses plumes

Et les mendiants leurs Ave

 

On sait très bien que l'on se damne

Mais l'espoir d'aimer en chemin

Nous fait penser main dans la main

À ce qu'a prédit la tzigane.

 

Guillaume Apollinaire, Alcools (1913), dans Œuvres poétiques,

édition Marcel Adéma et Michel Décaudin, Bibliothèque

de la Pléiade, Gallimard, 1967, p. 99.