16/11/2024
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes
92
Mais va, tente le pire en me privant de toi,
Tu es lié à moi pour le temps de la vie,
Et plus que ton amour ma vie ne peut durer,
Car la voilà soumise à ton amour pour moi.
Le pire des affronts, je n’ai pas à le craindre,
Lorsque au moindre d’entre eux ma vie s’achèverait.
Je le vois bien, un état plus heureux m’attend
Que celui qui serait soumis à tes humeurs.
Ton esprit inconstant ne peut plus m’affliger,
Puisque ta trahison décide de ma vie.
Ah ! que je suis heureux du lien qui nous unit,
Heureux d’avoir ton amour, heureux de mourir !
Mais quel bonheur béni ne craint une souillure ?
Tu me trompes peut-être, et je ne le sais pas.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction
Jean-Michel Déprats, Gallimard, Pléiade, 2021, p. 431.
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15/11/2024
Shakespeare, Sonnet et autres poèmes
Sonnet 17
Étant ton esclave, qu’irais-je faire d’autre
Que servir ton désir, à tout moment, toute heure.
Mon temps n’est pas précieux, je n’ai nulle mission
Ni de service à rendre, j’attends tes ordres ;
Je n’ose pas gronder l’heure infiniment longue
Cependant que pour toi (mon souverain), je scrute
L’horloge, ni ne blâme ton absence amère
Quand tu as pris congé de celui qui te sert ;
Ni n’ose demander dans ma pensée jalouse
Où tu peux te trouver, ou ce qui te requiert,
Mais patiente en triste esclave et ne pense à rien
Si ce n’est au bonheur que tu donnes à d’autres.
L’amour est si grand fou que, dans ton bon plaisir,
Quoi que tu puisses faire, il ne voit rien de mal.
Shakespeare, Sonnet et autres poèmes, traduction
Jean-Michel Déprats, Gallimard, Pléiade, 22021, p. 461.
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14/11/2024
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes
Sonnet 88
Quand tu seras enclin à me sous-estimer,
À moquer mes mérites au vu et au su de tous,
Je combattrai de ton côté contre moi-même,
Je te dirai constant, bien que tu sois parjure.
De ma propre faiblesse instruit mieux que quiconque,
En ta faveur je puis continuer le récit
De ces fautes cachées dont je suis souillé,
Si bien que tu auras grande gloire à me perdre ;
Et en cela je serai moi aussi gagnant,
Car, tournant toutes mes pensées d’amour pour toi,
Des coups que je m’inflige à ton profit,
Je tire double motif puisqu’ils t’avantagent.
Car tel est mon amour : je t’appartiens si fort
Qu’en te donnant raison je porte tous les torts.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction
Jean-Michel Déprats, Gallimard, Pléiade, 2021, p. 423.
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13/11/2024
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes
Sonnet 73
Tu peux saisir en moi ce moment de l’année
Où des feuilles jaunies, quelques-unes, aucune,
Pendent à ces rameaux qui tremblent dans le froid
Chœurs doux et en ruine où les oiseaux chantaient.
En moi tu vois le crépuscule de ce jour
Qui au soleil couchant s’éteint à l’occident,
Que petit à petit emporte la nuit noire,
Sœur de la mort, qui scelle tout dans le repos.
En moi tu vois le rougeoiement d’un feu
Qui repose sur les cendres de sa jeunesse
Comme sur le lit de mort où il doit expirer,
Consumé par ce qui avait nourri sa flamme.
Tu perçois cela qui rend ton amour plus fort,
Pour mieux aimer ce qu’il te faut quitter.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction
Jean-Michel Déprats, Gallimard, Pléiade, 2021, p.393.
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07/07/2023
Shakespeare, Sonnets
54
Pourquoi m’as-tu promis une journée si belle,
Me permettant de voyager sans mon manteau,
Laissant de vils nuages me surprendre en chemin,
Et masquer ta splendeur de vapeurs insalubres ?
Il ne te suffit pas de fendre les nuages,
Et sécher mon visage maltraité par l’orage,
Car il n’est personne pour célébrer un baume
Qui soigne la blessure sans gommer la disgrâce ;
Ta honte, elle non plus, ne peut guérir ma peine ;
Malgré ton repentir, moi, je subis ma perte ;
Le regret du coupable est faible réconfort
À qui porte la croix d’une aussi grave offense.
Ah ! mais ces larmes que verse ton amour sont
Riches perles qui rachètent tous les méfaits.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes,(Œuvres complètes, VIII), Pléiade/Gallimard, 2022, p. 315.
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25/01/2023
Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets
Sonnet sur les beautés d’une autre
Son poil tout hérissé et bien long le visage,
Les deux yeux écaillés et un nez tout puant
La bouche bien fendue, par où va dégoutant
Une certaine humeur sentant le vieux fromage ;
Velue par le corps comme un monstre sauvage.
Le tétin avalé, graissé d’huile et d’onguent
L’aisselle du venin va toujours coulant ;
L’estomac enfoncé, le ventre plat et large ;
En descendant plus bas, un trou sanglant on voit,
De peaux moites autour, un landi qui paroit
De chancre revêtu, de farcins plein les bords ;
Les cuisses de Gigot et les jambes tremblantes
Pleines d’ulcères, loups, de mulets et de fentes :
Au reste elle se dit belle par tout le corps.
Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt
profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,
Poésie/Gallimard, 2023, p.97
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24/01/2023
Jodelle
Sonnet XLIII
Je ne suis de ceux-là que tu m’as dit se plaindre,
Que leur Dame jamais ne leur donne martel :
Vu l’âme véhémente, un dur martel m’est tel,
Qu’il peut plus à la mort qu’à l’amour me contraindre.
S’il peut donc l’amour avec ma vie éteindre,
En tout amour je chasse un poison si mortel,
Humble et petit, pourrais-je en moi tel mal empraindre ?
Mais las ! d’avoir peur d’être en ton cœur effacé,
Craindre qu’un Delta double en chiffre* entrelacé,
Ne soit plus pour mon nom, craindre qu’en ton absence
Tu ne me fasses plus tes lettres recevoir,
Ce n’est pas un martel, c’est d’amour le devoir,
Qui montre en froide peur ardente révérence.
Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt
profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,
Poésie/Gallimard, 2023, p. 75.
*Le chiffre désigne le nom d’une personne
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23/01/2023
Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets
Sonnet XXX
Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde
Loin de chemin, d’orée, et d’adresse, et de gens ;
Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents,
Se voit presque engloutir des grands vagues de l’onde ;
Comme un qui erre aux champs, lorsque la nuit au monde
Ravit toute clarté, j’avais perdu longtemps
Voie, route, et lumière, et presque avec le sens,
Perdu longtemps l’objet, où plus mon heur se fonde.
Mais quand on voit (ayant ces maux fini leur tour)
Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour,
Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire.
Moi donc qui ai tout tel en votre absence été,
J’oublie en revoyant votre heureuse clarté,
Forêt, tourmente, et nuit, longue, orageuse, et noire.
Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt
profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,
Poésie/Gallimard, 2023, p. 62.
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22/01/2023
Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets
Sonnet XLII
Je me trouve et me perds, je m’assure et m’effroie,
En ma mort je revis, je vois sans penser voir,
Car tu as d’éclairer et d’obscurcir pouvoir,
Mais tout orage noir de rouge éclair flamboie.
Mon front qui cache et montre tristesse, joie,
Le silence parlant, l’ignorance au savoir,
Témoigne mon hautain et humble devoir,
Tel est tout cœur, qu’espoir et désespoir guerroie.
Fier en ma honte et plein de frisson chaleureux,
Blâmant, louant, fuyant, cherchant, l’art amoureux,
Demi-brut, demi-dieu je suis devant ta face,
Quand d’un œil favorable et rigoureux, je croi,
Au retour tu me vois, moi las ! qui ne suis moi
Ô clairvoyant aveugle, ô amour, flamme et glace !
Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt
profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,
Poésie/Gallimard, 2023, p. 74.
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21/01/2023
Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde, Sonnets
Sonnet II
Des astres, des forêts, et d’Achéron l’honneur,
Diane, au Monde haut, moyen et bas préside,
Et ses chevaux, ses chiens, ses Euménides guide,
Pour éclairer, chasser, donner mort et horreur.
Tel est le lustre grand, la chasse, et la frayeur
Qu’on sent sous ta beauté claire, prompte, homicide,
Que le haut Jupiter, Phébus, et Pluton cuide,
Son foudre moins pouvoir, son arc, et sa terreur.
Ta beauté par ses rais, par son rets, par la crainte
Rend l’âme éprise, prise et, au martyre étreinte.
Luis-moi, prends-moi, tiens-moi, mais hélas ne me perds
Des flambants, forts, et griefs, feux, filets, et encombres,
Lune, Diane, Hécate, aux cieux, terre, et enfers
Ornant, quêtant, gênant, nos Dieux, nous, et nos ombres.
Étienne Jodelle, Comme un qui s’est perdu dans la forêt
profonde, Sonnets, édition Agnès Rees, Préface Florence Delay,
Poésie/Gallimard, 2023, p. 34.
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11/12/2021
Louise Labé, Sonnets
Sonnet XXI
Quelle grandeur rend l’homme venerable ?
Quelle grosseur ? quel poil ? quelle couleur ?
Qui est des yeux le plus emmieleur ?
Qui fait plus tot une playe incurable ?
Quel chant est plus à l’homme convenable ?
Qui plus penetre en chantant sa douleur ?
Qui un doux lut fait encore meilleur ?
Quel naturel est le plus amiable ?
Je ne voudrois le dire assurément,
Ayant Amour forcé mon jugement ;
Mais je sais bien et de tant je m’assure,
Que tout le beau que l’on pourroit choisir,
Et que tout l’art qui ayde la Nature,
Ne me sauroient accroitre mon desir.
Louise Labé, Sonnets, dans Œuvres complètes,
Pléiade/Gallimard, 2021, p.107.
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10/12/2021
Louise Labé, Sonnets
Sonnet XIV
Tant que mes yeux pourront larmes espandre,
À l’heur passé avec toy regretter :
Et qu’aux sanglots et soupirs resister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart Lut, pour ses graces chanter ;
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre ;
Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentirai tarir
Ma voix cassée, et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel sejour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante :
Prirey la mort noircir mon plus cler jour.
Louise Labé, Sonnets, dans Œuvres complètes,
Pléiade/Gallimard, 2021, p. 100.
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07/07/2019
Shakespeare, Sonnets (traduction Pierre Jean Jouve)
XIII
Ah si vous étiez vous à vous-même ! mais, amour, vous n’êtes vous-même à vous-même que tant que vit ici votre vous-même : contre cette fin qui accourt vous devez vous prémunir, et votre chère semblance à quelque autre la départir.
Alors cette beauté dont vous avez la jouissance, elle ne trouverait de fin alors vous seriez votre vous-même encore après mort de vous-même, votre doux fruit portant votre très douce forme.
Qui peut laisser si belle maison tomber à ruine, qu’un soin familier maintiendrait en honneur, contre bourrasque et vent du jour d’hiver et stérile rage du froid éternel de la mort ?
Oh seulement l’infécond. Cher amour vous savez que vous eûtes un père : que votre fils aussi de vous puisse le dire.
William Shakespeare, Sonnets, traduction Pierre Jean Jouve, dans Pierre Jean Jouve, Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 2081.
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30/07/2015
Shakespeare, Sonnets, traduction Pierre Jean Jouve ; William Cliff
am Cliff
XIII
Ah si vous étiez vous à vous-même ! mais, amour, vous n’êtes vous-même à vous-même que tant que vit ici votre vous-même : contre cette fin qui accourt vous devez vous prémunir, et votre chère semblance à quelque autre la départir.
Alors cette beauté dont vous avez la jouissance, elle ne trouverait de fin alors vous seriez votre vous-même encore après mort de vous-même, votre doux fruit portant votre très douce forme.
Qui peut laisser si belle maison tomber à ruine, qu’un soin familier maintiendrait en honneur, contre bourrasque et vent du jour d’hiver et stérile rage du froid éternel de la mort ?
Oh seulement l’infécond. Cher amour vous savez que vous eûtes un père : que votre fils aussi de vous puisse le dire.
William Shakespeare, Sonnets, traduction Pierre Jean Jouve, dans Pierre Jean Jouve, Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 2081.
13
Est-ce que tu t’appartiens ? Mon Chéri,
tu ne t’appartiens pas sur cette terre
et avant que ton destin soit fini
tu dois donner de vivre à un autre être.
Lors ta beauté que tu tiens en partage
ne cessera pas avec ton décès
mais elle durera dans l’héritage
délectable que tu auras laissé.
Qui voudrait en effet que la froidure
puisse dégrader son bien tout entier
alors qu’il peut contre l’horreur future
sauver sa beauté par un héritier ?
Et toi-même n’as-tu pas eu un père ?
Fais donc un fils qui bénisse ta sève !
Shakespeare, Sonnets, traduction William Cliff,
Les éditions du Hasard, 2010, p. 33.
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29/07/2015
Marie Stuart, Sonnets
Vous la croyez : las ! trop je l’aperçoi,
Et vous doutez de ma ferme constance.
Ô mon seul bien et ma seule espérance,
Et ne vous peux assurer de ma foi.
Vous m’estimez légère, je le voi,
Et si, n’avez en moi nulle assurance,
Et soupçonnez mon cœur sans apparence,
Vous défiant à trop grand tort de moi.
Vous ignorez l’amour que je vous porte,
Vous soupçonnez qu’autre amour me transporte,
Vous estimez mes paroles du vent,
Vous dépeignez de cire mon las cœur,
Vous me pensez femme sans jugement,
Et tout cela augmente mon ardeur.
Marie Stuart, Sonnets, Arléa, 2003, np.
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