22/06/2022
Pierre Reverdy, Flaques de verre
Remords
Je vois le petit apprenti sur l’appareil des rigoles isolées. Je tends la main aux flaques d’eau sous l’éternelle glace perpendiculaire, trouble et où s’évaporent le col, la fissure du treillage chevelu.
Parure de sel, figure de rayons, passage secret des moules de ma main sur les fleurs décapitées, à peine filtrées au réveil, des neiges perdues dans les cimetières, dans les saisons nues, dans le corps ruisselant des larmes du crime muselé. La valse amère.
Pierre Reverdy, Flaques de verre, dsans Œuvres complètes, 2, Flammarion, 2010, p. 497.
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21/06/2022
Pierre Reverdy, Bois vert
Cran d’arrêt
Je n’espère rien du néant
Je ne garde rien de la fête
et je n’oublie pas le présent
Auquel il me faut tenir tête
Décroche la lumière à fond
Sur cette poitrine rebelle
Plus dure que la pierre où s’épanche son sang
Je ne mens que d’un œil
Une trappe qui s’ouvre
Sur tous les espoirs interdits
Un recul plus farouche devant l’autre qui s’ouvre
Une gorge plus sourde
Au coude de la nuit
Et puis le temps et puis la lampe
Un pas qui compte sans retour
Dans la rue plus de vie plus d’aile
Sur la route plus d’avenir
De mon cœur jusqu’au fond du monde l’étouffante
épaisseur d’un mur.
Pierre Reverdy, Bois vert, dans Œuvres complètes, 2,
Flammarion, 2010, p. 445.
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20/06/2022
Pierre Reverdy, Pierres blanches
Mais rien
Un même pan ferme le coin
Où l’ai libre s’étend
Autour la corde glisse
Et l’eau monte
La pluie descend
Un homme tombe de fatigue
C’est le même qui tend la main
On saute le mur du jardin
Le ciel est plus bas
Le jour baisse
La route court
Et le vent cesse
On pourrait croire qu’il est arrivé quelque chose
Mais rien
Pierre Reverdy, Pierres blanches, dans
Œuvres complètes, 2, Flammarion, 2010, p. 255.
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15/07/2021
Pierre Reverdy, En vrac
Bien connaître le passé pour pouvoir feindre de prévoir l’avenir, les meilleurs politiques n’ont jamais réussi un tour plus habile que celui-là.
On s’use à vivre et sans pouvoir comprendre quoi que ce soit à ce que peut signifier la vie. On en use autant qu’elle nous use et c’est tout.
Il ne faut pas écrire pour son temps mais dans son temps. Et celui qui ne se mêle que de son temps meurt plus vite que son temps. C’est qu’il n’écrit au fond que pour lui-même — un peu trop peu.
Vivre et vieillir pour qui et quoi que ce soit, êtres et choses, sont synonymes. Mais on ne se rend bien compte de cette évidence que lorsque le phénomène vieillir a déjà très nettement pris le pas sur celui qu’on appelle vivre.
Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, Flammarion, 2010, p. 856, 858, 851, 863.
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14/07/2021
Pierre Reverdy, En vrac
N’ayant besoin de rien, comme il serait facile de n’avoir besoin de personne.
Le véritable opium du peuple, c’est le spectacle, sous toutes ses formes, qui l’a toujours été. Et il y a un très important côté de spectacle dans les manifestations politiques, aussi bien que dans celles des religions.
Ne rien préférer, aimer et haïr alternativement tout avec la même intensité, il n’est peut-être pas de meilleure ou de pire condition de malheur.
La place des vieux, la place des jeunes, on se la dispute avec tant d’âpreté et, depuis que le monde est monde, tout cela tient finalement dans quelques cimetières qui sont, après tout, assez petits.
Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, Flammarion, 2010, p. 834, 835, 846, 848.
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15/03/2021
Pierre Reverdy, Le gant de crin
Un artiste qui espère la gloire posthume est comme un homme qui dirait : « Quand je n’y serai plus, je ferai ceci, je ferai cela. »
La misère est une espèce de reflet sinistre de l’enfer. Mais la pauvreté nous accable du poids de l’esclavage.
Il est aussi ridicule de prendre, quand on est vieux, des airs de jeune que, quand on est jeune, des airs de vieux.
Quand on voit quels sont les hommes qui comptent, on a tout de suite envie de ne jamais compter. Mais quand on voit aussi ceux qui ne comptent pas et qui se croient dignes de compter...
Pierre Reverdy, Le gant de crin, Plon, 1927, p. 74, 76, 85, 88.
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05/01/2021
Pierre Reverdy, Sable mouvant
Clair mystère
Par-dessus le portique où s’enroule la treille et ou chante l’oiseau — À la fenêtre où se dressent une tête et un buste immobile. Derrière le mur qui penche et l’air qui s’éblouit, un œil à demi clos qui attend le signal.
Pierre Reverdy, Sable mouvant, Poésie / Gallimard, 2003, p. 62.
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02/11/2020
Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé
Derrière le spectacle
La gouttière penche et se détache au bord des tuiles par moments
Des boules vertes et tendres pendant le long du mur
Les hirondelles sortent et entrent par la cheminée
En bas un homme en costume noir regarde la tête en l’air et salue
De la fenêtre on entend sortir une chanson dont les notes se mettent à la portée des
rayons de soleil
Mais il manque cependant quelqu’un et la ruelle ne peut tenir lieu de coulisses
Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 846.
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23/03/2020
Pierre Reverdy, En vrac
Le réel est en dehors de moi. Pour m’adapter au réel, une adaptation si précaire, pour pouvoir vivre dans ce bocal, on a été obligé, et j’ai été surtout ensuite obligé moi-même, de me forger sans arrêt, de me former et de me reformer selon les circonstances et toujours selon les exigences d’un état de choses extérieur et jamais d’après le simple élan de ma nature, de ce que je sens de plus irréductiblement simple dans ma nature. Ce désir immédiat, la succession des désirs immédiats.
Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, II, Flammarion, 2010, p. 818.
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03/12/2019
Pierre Reverdy, Cale sèche
Tourbillon de la mémoire
Si tout ce qu’on n’attend pas allait venir
Si tout ce que l’on sait allait finir
Nouveau décor
Une porte s’ouvre lentement
Un homme entre avec une lampe qui le cache
C’est exactement le même
Avec une lampe à la main
Derrière on ne voit plus rien
Autour de la table c’est un triste jeu
Au milieu du monde on n’y voit pas mieux
Un point sur la tête de l’un de nous deux
Le mur s’étale
Et là-haut
Le vent fait fuir les étoiles
On cherche en vain un air nouveau
Celui qui a parlé le premier est trop loin
Et l’on ne fait pas autre chose que lui en ce moment
On tourne plus vite
La promenade est une fuite
Tout le monde suit
On a vraiment peur de la nuit
Quand toute la colonne s’abattra d’un coup
Tout le long de la route les feuilles trembleront
Peut-être à cause de la pluie
Pierre Reverdy, Cale sèche dans Œuvres complètes, II,
Flammarion, 2010, p. 398-399.
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17/02/2019
Pierre Reverdy, La meule de soleil
Mémoire
Quand elle ne sera plus là
Quand je serai parti
Là-bas où il doit aussi faire jour
Un oiseau doit chanter la nuit
Comme ici
Et quand le vent passe
La montagne s’efface
Ces pointes blanches de la montagne
On se retrouvera sur le sable
Derrière les rochers
Puis plus rien
Un nuage marche
Par la fenêtre sort un cri
Les cyprès font une barrière
L’air est salé
Et tes cheveux sont encore mouillés
Quand nous serons partis là-bas derrière
Il y aura encore quelqu’un ici pour nous attendre
Et nous entendre
Un seul ami
L’ombre que nous avons laissée sous l’arbre et qui s’ennuie
Pierre Reverdy, La meule de soleil, dans Œuvres complètes, I,
Flammarion, 2010, p. 943-944.
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09/01/2019
Pierre Reverdy, Flaques de verre
Mélange d’ombres
Ce ne sont que des tourbillons de bruits et des tintements d’heure dans l’air qui devient plus épais que la nuit.
L’horloge a remonté le temps et les étoiles tombent dans l’eau et la vapeur du feu qui les attend.
Le soleil séparé en deux et les aiguilles arrêtées au milieu du chemin sans bornes du cadran ; la route a bifurqué, l’ombre a changé de place et la lumière tremble à tout ce mouvement.
On cherche quelque forme précise entre les lignes.
Un coin où retrouver l’esprit qui s’est éteint.
Le vent est arrêté et les lampes sont mortes.
La paupière sous l’aile, prunelle du couchant
ne voit plus le foyer, l’ardeur des auréoles, ni le cœur allumé qui éclaire le monde et le sommeil perdu jusqu’au matin.
Pierre Reverdy, Flaques de verre, dans Œuvres complètes, II, Flammarion, 2010, p. 487.
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04/12/2018
Pierre Reverdy, Le gant de crin
Le lyrisme n’a rien de commun avec l’enthousiasme, ni avec l’agitation physique. Il suppose au contraire une subordination quasi-totale du physique à l’esprit. C’est quand il y a le plus : amoindrissement de la conscience du physique et augmentation de la perception spirituelle, que le lyrisme s’épanouit. Il est une aspiration vers l’inconnu, une explosion indispensable de l’être dilaté par l’émotion vers l’extérieur.
La carrière des lettres et des arts est plus que décevante ; le moment où on arrive est souvent celui où on ferait bien mieux de s’en aller.
Pierre Reverdy, Le gant de crin, Plon, 1927, p. 36-37, 60
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10/10/2018
Pierre Reverdy, La guitare endormie
Panorama nocturne
Les étoiles sont près du toit et le reflet sur la façade
Un sillon tortueux creuse le sol autour de la colline
Du pavillon
Du temple
De la ville
Les trois chemins qui montent sont bordés de maisons
Des lampes éclatent en fruits lumineux entre les arbres noirs
Et les feuilles de bronze qui tombent du soleil
Là-haut il y a vraiment une tête et des épaules sous la neige
Mais tout le long des toits autour du cercle merveilleux
Des voix qui chantent
Pierre Reverdy, La guitare endormie, dans Œuvres complètes, I, Flammarion,
2010, p. 271.
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23/07/2018
Pierre Reverdy, Le gant de crin
Je n’ai pas eu à préserver ma plume, c’est elle qui m’a préservé.
Le décoratif, c’est le contraire du réel.
L’art qui tend à s rapprocher de la nature fait fausse route, car, s’il allait au but : identifier l’art à la vie, il se perdrait.
La carrière des lettres et des arts est plus que décevante ; le moment où on arriveest souvent celui où on ferait bien mieux de s’en aller.
Les artistes sont des aveugles qui s’immolent à l’art, mais surtout à eux-mêmes.
Pierre Reverdy, Le gant de crin, Plon, 1927, p. 13, 37, 51, 60, 68,
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