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23/03/2020

Pierre Reverdy, En vrac

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Le réel est en dehors de moi. Pour m’adapter au réel, une adaptation si précaire, pour pouvoir vivre dans ce bocal, on a été obligé, et j’ai été surtout ensuite obligé moi-même, de me forger sans arrêt, de me former et de me reformer selon les circonstances et toujours selon les exigences d’un état de choses extérieur et jamais d’après le simple élan de ma nature, de ce que je sens de plus irréductiblement simple dans ma nature. Ce désir immédiat, la succession des désirs immédiats.

 

Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, II, Flammarion, 2010, p. 818.

03/12/2019

Pierre Reverdy, Cale sèche

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     Tourbillon de la mémoire

 

Si tout ce qu’on n’attend pas allait venir

Si tout ce que l’on sait allait finir

                      Nouveau décor

Une porte s’ouvre lentement

Un homme entre avec une lampe qui le cache

C’est exactement le même

Avec une lampe à la main

Derrière on ne voit plus rien

 

Autour de la table c’est un triste jeu

Au milieu du monde on n’y voit pas mieux

Un point sur la tête de l’un de nous deux

 

Le mur s’étale

Et là-haut

Le vent fait fuir les étoiles

On cherche en vain un air nouveau

 

Celui qui a parlé le premier est trop loin

Et l’on ne fait pas autre chose que lui en ce moment

On tourne plus vite

La promenade est une fuite

Tout le monde suit

On a vraiment peur de la nuit

Quand toute la colonne s’abattra d’un coup

 

Tout le long de la route les feuilles trembleront

Peut-être à cause de la pluie

 

Pierre Reverdy, Cale sèche dans Œuvres complètes, II,

Flammarion, 2010, p. 398-399.

17/09/2019

Pierre Reverdy, La lucarne ovale

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En ce temps-là le charbon était devenu

aussi précieux et  rare  que  des pépites

d’or et j’écrivais  dans un  grenier où la

neige, en tombant par les fentes du toit,

devenait bleue.

 

Pierre Reverdy, La  lucarne ovale dans Œuvres

complètes, I, édition É.-A. Hubert, Flammarion,

2010, p. 77.

17/02/2019

Pierre Reverdy, La meule de soleil

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         Mémoire

 

Quand elle ne sera plus là

                    Quand je serai parti

 

Là-bas où il doit aussi faire jour

 

Un oiseau doit chanter la nuit

                                    Comme ici

Et quand le vent passe

La montagne s’efface

 

Ces pointes blanches de la montagne

 

On se retrouvera sur le sable

                            Derrière les rochers

          Puis plus rien

                         Un nuage marche

Par la fenêtre sort un cri

Les cyprès font une barrière

L’air est  salé

Et tes cheveux sont encore mouillés

 

Quand nous serons partis là-bas derrière

Il y aura encore quelqu’un ici pour nous attendre

Et nous entendre

 

Un seul ami

 

L’ombre que nous avons laissée sous l’arbre et qui s’ennuie

 

Pierre Reverdy, La meule de soleil, dans Œuvres complètes, I,

Flammarion, 2010, p. 943-944.

09/01/2019

Pierre Reverdy, Flaques de verre

 

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                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Mélange d’ombres

 

Ce ne sont que des tourbillons de bruits et des tintements d’heure dans l’air qui devient plus épais que la nuit.

L’horloge a remonté le temps et les étoiles tombent dans l’eau et la vapeur du feu qui les attend.

Le soleil séparé en deux et les aiguilles arrêtées au milieu du chemin sans bornes du cadran ; la route a bifurqué, l’ombre a changé de place et la lumière tremble à tout ce mouvement.

On cherche quelque forme précise entre les lignes.

Un coin où retrouver l’esprit qui s’est éteint.

Le vent est arrêté et les lampes sont mortes.

La paupière sous l’aile, prunelle du couchant

ne voit plus le foyer, l’ardeur des auréoles, ni le cœur allumé qui éclaire le monde et le sommeil perdu jusqu’au matin.

 

Pierre Reverdy, Flaques de verre, dans Œuvres complètes, II, Flammarion, 2010, p. 487.

 

04/12/2018

Pierre Reverdy, Le gant de crin

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Le lyrisme n’a rien de commun avec l’enthousiasme, ni avec l’agitation physique. Il suppose au contraire une subordination quasi-totale du physique à l’esprit. C’est quand il y a le plus : amoindrissement de la conscience du physique et augmentation de la perception spirituelle, que le lyrisme s’épanouit. Il est une aspiration vers l’inconnu, une explosion indispensable de l’être dilaté par l’émotion vers l’extérieur.

 

La carrière des lettres et des arts est plus que décevante ; le moment où on arrive est souvent celui où on ferait bien mieux de s’en aller.

 

Pierre Reverdy, Le gant de crin, Plon, 1927, p. 36-37, 60

10/10/2018

Pierre Reverdy, La guitare endormie

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                            Panorama nocturne

 

         Les étoiles sont près du toit et le reflet sur la façade

Un sillon tortueux creuse le sol autour de la colline

                  Du pavillon

                  Du temple

                  De la ville

Les trois chemins qui montent sont bordés de maisons

         Des lampes éclatent en fruits lumineux entre les arbres noirs

Et les feuilles de bronze qui tombent du soleil

Là-haut il y a vraiment une tête et des épaules sous la neige

Mais tout le long des toits autour du cercle merveilleux

              Des voix qui chantent

 

Pierre Reverdy, La guitare endormie, dans Œuvres complètes, I, Flammarion,

2010, p. 271.

23/07/2018

Pierre Reverdy, Le gant de crin

Pierre Reverdy, le gant de crin, art, poésie, nature

Je n’ai pas eu à préserver ma plume, c’est elle qui m’a préservé.

 

Le décoratif, c’est le contraire du réel.

 

L’art qui tend à s rapprocher de la nature fait fausse route, car, s’il allait au but : identifier l’art à la vie, il se perdrait.

 

La carrière des lettres et des arts est plus que décevante ; le moment où on arriveest souvent celui où on ferait bien mieux de s’en aller.

 

Les artistes sont des aveugles qui s’immolent à l’art, mais surtout à eux-mêmes.

 

Pierre Reverdy, Le gant de crin, Plon, 1927, p. 13, 37, 51, 60, 68,

 

16/02/2018

Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé

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                                 Si on osait entrer

 

   Derrière la porte sans vitres deux têtes s’encadrent avec une douce grimace amicale.

   Et par l’autre porte entr’ouverte, celle qui les protège la nuit, on voit le rayon où s’alignent les livres, où se réfugient les rires et les mots des veillées sous la lampe, sous la garde d’un drapeau tricolore et d’un pantin menaçant qui n’a qu’un bras.

   Et tout se meurt en attendant la nuit, la vie des lumières et de leurs rêves.

 

Pierre Reverdy, La Cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 842.

19/10/2017

Pierre Reverdy, Sable mouvant

 

                                       tard dans la vie  je suis dur je suis tendre 	et j’ai perdu mon ,sable mouvant,tard dans la vie,absence,néant

Tard dans la vie

 

Je suis dur

Je suis tendre

         Et j’ai perdu mon temps

         À rêver sans dormir

         À dormir en marchant

Partout où j’ai passé

J’ai trouvé mon absence

Je ne suis nulle part

Excepté le néant

Mais je porte accroché au plus haut des entrailles

À la place où la foudre a frappé trop souvent

Un cœur où chaque mot a laissé son entaille

Et d’où ma vie s’égoutte au moindre mouvement

 

Pierre Reverdy, Sable mouvant, Poésie / Gallimard,

2003, p. 87.

05/03/2017

Pierre Reverdy, Le Gant de crin

 

 

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Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.

Aussi me gardé-je bien de la défendre.

J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.

 

Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.

 

Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.

Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.

 

Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.

 

Pierre Reverdy, Le Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.

 

 

16/08/2016

Pierre Reverdy, Sable mouvant

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   Il faut donc se décider à dire que la poésie n’est intelligible à l’esprit et sensible au cœur que sous la forme d’une certaine combinaison de mots, en quoi elle se concrète, se précise, se fixe et assure une réalité particulière qui la rend incomparable à toute autre. Je dis une certaine combinaison de mots à dessein, parce que, en effet, si dans la forme arbre on est toujours sûr de trouver la matière bois, dans la forme sonnet, par exemple, on est beaucoup moins sûr de trouver, à tout, coup, son compte de substance poétique. Un sonnet peut être absolument parfait de forme sans que la moindre parcelle de poésie y soit incluse. À l’assemblage de mots que je laisse pour l’instant libre, la qualité, la richesse de la matière donneront la forme qui, si peu orthodoxe qu’elle apparaisse, sera — et je n’oublie pas les objections qu’on ne manquera pas de me faire — toujours préférable à celle pré-établie, dans laquelle on aurait coulé une substance pauvre et sans vertu.

 

Pierre Reverdy, Soleil mouvant, édition E.-A. Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 114.

21/05/2016

Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé

 

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                         Si on osait entrer

 

   Derrière la porte sans vitres deux têtes s’encadrent avec une douce grimace amicale.

   Et par l’autre porte entr’ouverte, celle qui les protège la nuit, on voit les rayons où s’alignant les livres, où se réfugient les rires et les mots des veillées sous la lampe, sous la garde d’un drapeau tricolore et d’un pantin menaçant qui n’a qu’un bras.

   Et tout se meurt en attendant la nuit, la vie des lumières et de leurs rêves.

 

Pierre Reverdy, Le cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, édition Étienne-Alain Hubert, Flammarion, 2010, p. 842.

 

22/11/2015

Pierre Reverdy, Sable mouvant

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                                 Le bonheur des mots

 

   Je n’attendais plus rien quand tout est revenu, la fraîcheur des réponses, les anges du cortège, les ombres du passé, les ponts de l’avenir, surtout la joie de voir se tendre la distance. J’aurais toujours voulu aller plus loin, plus haut et plus profond et me défaire du filet qui m’emprisonnait dans ses mailles. Mais quoi, au bout de tous mes mouvements, le temps me ramenait toujours devant la même porte. Sous les feuilles de la forêt, sous les gouttières de la ville, dans les mirages du désert ou dans la campagne immobile, toujours cette porte fermée – ce portrait d’homme au masque moulé sur la mort, l’impasse de toute entreprise. C’est alors que s’est élevé le chant magique dans les méandres des allées.

   Les hommes parlent. Les hommes se sont mis à parler et le bonheur s’épanouit à l’aisselle de chaque feuille, au creux de chaque main pleine de dons et d’espérance folle. Si ces hommes parlent d’amour, sur la face du ciel on doit apercevoir des mouvements de traits qui ressemblent à un sourire.

   Les chaises sont tombées, tout est clair, tout est blanc — les nuits lourdes sont soulevées de souffles embaumés, balayées par d’immenses vagues de lumières.

   L’avenir est plus près, plus souple, plus tentant.

   Et sur le boulevard qui le lie au présent, un long, un lourd collier de cœurs ardents comme ces fruits de peur qui balisent la nuit à la cime des lampadaires.

 

Pierre Reverdy, Sable Mouvant : Au soleil du plafond, La Liberté des mers, suivi de Cette émotion appelée poésie, édition d’Étienne-Alain Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 51-52.

14/10/2014

Pierre Reverdy, La lucarne ovale

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                   Grandeur nature

 

Je vois enfin le jour à travers les paupières

Le persiennes de la maison se soulèvent

Et battent

Mais le jour où je devais le rencontrer

N'est pas encore venu

 

Entre le chemin qui penche et les arbres il est nu

Et ces cheveux au vent que soulève le soleil

C'est la flamme qui entoure sa tête

 

Au déclin du jour

Au milieu du vol des chauve-souris

Sous le toit couvert de mousse où fume une cheminée

 

Lentement Il s'est évanoui

 

Au bord de la forêt

Une femme en jupon

Vient de s'agenouiller

 

Pierre Reverdy, La lucarne ovale, dans Œuvres complètes, tome I, édition présentée et annotée par Étienne-Alain Hubert, Flammarion, 2010, p. 109.