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10/10/2018

Pierre Reverdy, La guitare endormie

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                            Panorama nocturne

 

         Les étoiles sont près du toit et le reflet sur la façade

Un sillon tortueux creuse le sol autour de la colline

                  Du pavillon

                  Du temple

                  De la ville

Les trois chemins qui montent sont bordés de maisons

         Des lampes éclatent en fruits lumineux entre les arbres noirs

Et les feuilles de bronze qui tombent du soleil

Là-haut il y a vraiment une tête et des épaules sous la neige

Mais tout le long des toits autour du cercle merveilleux

              Des voix qui chantent

 

Pierre Reverdy, La guitare endormie, dans Œuvres complètes, I, Flammarion,

2010, p. 271.

23/07/2018

Pierre Reverdy, Le gant de crin

Pierre Reverdy, le gant de crin, art, poésie, nature

Je n’ai pas eu à préserver ma plume, c’est elle qui m’a préservé.

 

Le décoratif, c’est le contraire du réel.

 

L’art qui tend à s rapprocher de la nature fait fausse route, car, s’il allait au but : identifier l’art à la vie, il se perdrait.

 

La carrière des lettres et des arts est plus que décevante ; le moment où on arriveest souvent celui où on ferait bien mieux de s’en aller.

 

Les artistes sont des aveugles qui s’immolent à l’art, mais surtout à eux-mêmes.

 

Pierre Reverdy, Le gant de crin, Plon, 1927, p. 13, 37, 51, 60, 68,

 

16/02/2018

Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé

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                                 Si on osait entrer

 

   Derrière la porte sans vitres deux têtes s’encadrent avec une douce grimace amicale.

   Et par l’autre porte entr’ouverte, celle qui les protège la nuit, on voit le rayon où s’alignent les livres, où se réfugient les rires et les mots des veillées sous la lampe, sous la garde d’un drapeau tricolore et d’un pantin menaçant qui n’a qu’un bras.

   Et tout se meurt en attendant la nuit, la vie des lumières et de leurs rêves.

 

Pierre Reverdy, La Cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 842.

19/10/2017

Pierre Reverdy, Sable mouvant

 

                                       tard dans la vie  je suis dur je suis tendre 	et j’ai perdu mon ,sable mouvant,tard dans la vie,absence,néant

Tard dans la vie

 

Je suis dur

Je suis tendre

         Et j’ai perdu mon temps

         À rêver sans dormir

         À dormir en marchant

Partout où j’ai passé

J’ai trouvé mon absence

Je ne suis nulle part

Excepté le néant

Mais je porte accroché au plus haut des entrailles

À la place où la foudre a frappé trop souvent

Un cœur où chaque mot a laissé son entaille

Et d’où ma vie s’égoutte au moindre mouvement

 

Pierre Reverdy, Sable mouvant, Poésie / Gallimard,

2003, p. 87.

05/03/2017

Pierre Reverdy, Le Gant de crin

 

 

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Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.

Aussi me gardé-je bien de la défendre.

J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.

 

Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.

 

Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.

Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.

 

Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.

 

Pierre Reverdy, Le Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.

 

 

16/08/2016

Pierre Reverdy, Sable mouvant

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   Il faut donc se décider à dire que la poésie n’est intelligible à l’esprit et sensible au cœur que sous la forme d’une certaine combinaison de mots, en quoi elle se concrète, se précise, se fixe et assure une réalité particulière qui la rend incomparable à toute autre. Je dis une certaine combinaison de mots à dessein, parce que, en effet, si dans la forme arbre on est toujours sûr de trouver la matière bois, dans la forme sonnet, par exemple, on est beaucoup moins sûr de trouver, à tout, coup, son compte de substance poétique. Un sonnet peut être absolument parfait de forme sans que la moindre parcelle de poésie y soit incluse. À l’assemblage de mots que je laisse pour l’instant libre, la qualité, la richesse de la matière donneront la forme qui, si peu orthodoxe qu’elle apparaisse, sera — et je n’oublie pas les objections qu’on ne manquera pas de me faire — toujours préférable à celle pré-établie, dans laquelle on aurait coulé une substance pauvre et sans vertu.

 

Pierre Reverdy, Soleil mouvant, édition E.-A. Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 114.

21/05/2016

Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé

 

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                         Si on osait entrer

 

   Derrière la porte sans vitres deux têtes s’encadrent avec une douce grimace amicale.

   Et par l’autre porte entr’ouverte, celle qui les protège la nuit, on voit les rayons où s’alignant les livres, où se réfugient les rires et les mots des veillées sous la lampe, sous la garde d’un drapeau tricolore et d’un pantin menaçant qui n’a qu’un bras.

   Et tout se meurt en attendant la nuit, la vie des lumières et de leurs rêves.

 

Pierre Reverdy, Le cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, édition Étienne-Alain Hubert, Flammarion, 2010, p. 842.

 

22/11/2015

Pierre Reverdy, Sable mouvant

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                                 Le bonheur des mots

 

   Je n’attendais plus rien quand tout est revenu, la fraîcheur des réponses, les anges du cortège, les ombres du passé, les ponts de l’avenir, surtout la joie de voir se tendre la distance. J’aurais toujours voulu aller plus loin, plus haut et plus profond et me défaire du filet qui m’emprisonnait dans ses mailles. Mais quoi, au bout de tous mes mouvements, le temps me ramenait toujours devant la même porte. Sous les feuilles de la forêt, sous les gouttières de la ville, dans les mirages du désert ou dans la campagne immobile, toujours cette porte fermée – ce portrait d’homme au masque moulé sur la mort, l’impasse de toute entreprise. C’est alors que s’est élevé le chant magique dans les méandres des allées.

   Les hommes parlent. Les hommes se sont mis à parler et le bonheur s’épanouit à l’aisselle de chaque feuille, au creux de chaque main pleine de dons et d’espérance folle. Si ces hommes parlent d’amour, sur la face du ciel on doit apercevoir des mouvements de traits qui ressemblent à un sourire.

   Les chaises sont tombées, tout est clair, tout est blanc — les nuits lourdes sont soulevées de souffles embaumés, balayées par d’immenses vagues de lumières.

   L’avenir est plus près, plus souple, plus tentant.

   Et sur le boulevard qui le lie au présent, un long, un lourd collier de cœurs ardents comme ces fruits de peur qui balisent la nuit à la cime des lampadaires.

 

Pierre Reverdy, Sable Mouvant : Au soleil du plafond, La Liberté des mers, suivi de Cette émotion appelée poésie, édition d’Étienne-Alain Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 51-52.

14/10/2014

Pierre Reverdy, La lucarne ovale

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                   Grandeur nature

 

Je vois enfin le jour à travers les paupières

Le persiennes de la maison se soulèvent

Et battent

Mais le jour où je devais le rencontrer

N'est pas encore venu

 

Entre le chemin qui penche et les arbres il est nu

Et ces cheveux au vent que soulève le soleil

C'est la flamme qui entoure sa tête

 

Au déclin du jour

Au milieu du vol des chauve-souris

Sous le toit couvert de mousse où fume une cheminée

 

Lentement Il s'est évanoui

 

Au bord de la forêt

Une femme en jupon

Vient de s'agenouiller

 

Pierre Reverdy, La lucarne ovale, dans Œuvres complètes, tome I, édition présentée et annotée par Étienne-Alain Hubert, Flammarion, 2010, p. 109.

23/07/2014

Pierre Reverdy, Cette émotion appelée poésie

 

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   Je préviens que j’emploierai ce mot [poète] au sens large des anciens ; non pas du faiseur de vers — qui n’en a plus aucun pour nous — mais désignant tout artiste dont l’ambition et le but sont de créer, par une œuvre esthétique faite de ses propres moyens une émotion particulière que les choses de la nature, à leur place, ne sont pas en mesure de provoquer en l’homme. En effet, si les spectacles de la nature étaient capables de vous procurer cette émotion-là, vous n’iriez pas dans les musées, ni au concert, ni au théâtre, et vous ne liriez pas de livres. Vous resteriez où et comme vous êtes, dans la vie, dans la nature. Ce que vous allez chercher au théâtre, au musée, au concert et dans les livres, c’est une émotion que vous ne pouvez trouver que là — non pas une de ces émotions sans nombre, agréables ou pénibles, que vous dispense la vie, mais une émotion que l’art seul peut vous donner.

 

   Il n’y a plus personne aujourd’hui pour croire que les artistes apprennent leur art et leur métier dans la nature. En admettant qu’elle soit, comme on l’a dit, un dictionnaire, ce n’est pas dans un dictionnaire que l’on apprend à s’exprimer. […] C’est par les toiles des maîtres que sont d’abord émus les jeunes peintres, par les poèmes des aînés que sont remués, blessés à vie, les futurs grands poètes.

 

   […] les vrais poètes ne peuvent prouver la poésie qu’en poétisant, si je puis dire. Pour moi, à qui certains prestigieux moyens n’ont pas été très libéralement départis, je suis bien obligé de m’y prendre autrement. On a souvent dit et répété que la poésie, comme la beauté, était en tout et qu’il suffisait de savoir l’y trouver. Eh bien non, ce n’est pas du tout mon avis. Tout au plus accorderai-je que la poésie n’étant au contraire nulle part, il s’agit précisément de la mettre là où elle aura le plus de chance de pouvoir subsister. — Mais aussi, qu’une fois admise la nécessité où l’homme s’est trouvé de la mettre au monde afin de mieux pouvoir supporter la réalité qui, telle qu’elle est, n’est pas toujours très complaisamment à notre portée, la poésie n’a pas besoin pour aller à son but de tel ou tel véhicule particulier. Il n’y a pas de mots plus poétiques que d’autres. Car la poésie n’est pas plus dans les mots que dans le coucher du soleil ou l’épanouissement splendide de l’aurore — pas plus dans la tristesse que dans la joie. Elle est dans ce que deviennent les mots atteignant l’âme humaine, quand ils ont transformé le coucher du soleil ou l’aurore, la tristesse ou la joie. Elle est dans cette transmutation opérée sur les choses par la vertu des mots et les réactions qu’ils ont les uns sur les autres dans leurs arrangements — se répercutant dans l’esprit et la sensibilité. Ce n’est pas la matière dont la flèche est faite qui la fait voler — qu’importe le bois ou l’acier — mais sa forme, la façon dont elle est taillée et équilibrée qui font qu’elle va au but et pénètre et, bien entendu aussi, la force et l’adresse de l’archer.

 

 

Pierre Reverdy, Sable mouvant, Au soleil du plafond, La Liberté des mers, suivi de Cette émotion appelée poésie, édition d’Étienne-Alain Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 94-95, 96, 107-108.

12/10/2013

Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord

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                                                                   Reverdy par Picasso


Pour calmer la souffrance de ne pouvoir aller au-delà de ses limites — se replier souvent très en deça de ses limites.

 

L'esprit a créé le temps et il le trouve long. Comme il n'a pas créé la vie, il la trouve toujours un peu courte.

 

À partir d'un certain âge les artistes ont beaucoup plus besoin d'admirateurs que d'amis.

 

Ce n'est pas ce qu'écrit un auteur dans son journal qui présente la plupart du temps un réel intérêt, mais que ce soit écrit par cet auteur qui s'est, par ailleurs, distingué. On rêve d'un journal anonyme où tout ce qui serait consigné serait réellement émouvant — quelque vie particulièrement dramatique et sincèrement dévoilée. Mais ce n'est pas dans l'ordre du talent ou du génie de se dissimuler. Ce ne sont pas les faits qui comptent, mais l'homme que nous voulons voir vivre par les faits. Le journal d'un grand homme inconnu n'a jamais encore été trouvé.

 

Ils portent presque tous un masque c'est vrai — mais, ce qu'il y a de plus terrible, c'est que derrière ce masque, il n'y a rien.

 

Il y a les auteurs qui écrivent avec de la lumière, d'autres avec du sang, avec de la lave, avec du feu, avec de la terre, avec de la boue, avec de la poudre de diamant et enfin ceux qui écrivent avec de l'encre, les malheureux, avec de l'encre tout simplement.

 

 

 

Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord, dans  Œuvres complètes II, édition préparée, présentée et annotée par Étienne-Alain Hubert, "Mille&unepages", Flammarion, 2010, p. 650, 652, 658, 659-660, 666. 669.

11/10/2013

Pierre Reverdy, La Lucarne ovale

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                  Les vides du printemps

 

En passant une seule fois devant ce trou j'ai penché mon front

Qui est là

Quel chemin est venu finir à cet endroit

Quelle vie arrêtée

Que je ne connais pas

 

Au coin les arbres tremblent

Le vent timide passe

L'eau se ride sans bruit

Et quelqu'un vient le long du mur

On le poursuit

 

J'ai couru comme un fou et je me suis perdu

Les rues désertes tournent

Les maisons sont fermées

Je ne peux plus sortir

Et personne pourtant ne m'avait enfermé

 

J'ai passé des ponts et des couloirs

Sur les quais la poussière m'aveugle

Plus loin le silence trop grand me fit peur

Et bientôt je cherchais à qui je pourrais demander mon chemin

 

On riait

Mais personne ne voulait comprendre mon malheur

Peu à peu je m'habituais ainsi à marcher seul

Sans savoir où j'allais

 

Ne voulant pas savoir

Et quand je me trompais

Un chemin plus nouveau devant moi s'éclairait

 

Puis le trou s'est rouvert

Toujours le même

Toujours aussi transparent Et toujours aussi clair

 

Autrefois j'avais regardé ce miroir vide et n'y avais rien vu

Du visage oublié à présent reconnu

 

Pierre Reverdy, La Lucarne ovale, dans Œuvres complètes, tome I,

édition préparée, présentée et annotée par Pierre-Alain Hubert,

 

"Mille et une pages", Flammarion, 2010, p. 80-81.

21/06/2013

Pierre Reverdy, Pierres blanches

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La rue qui chante

 

Les voix qui tournaient

Dans la rue en pente

Celui qui montait

La tâche accomplie

Il y a des lettres sur le mur

Et tout le monde qui regarde

Les étoiles pendent

Les becs de gaz tremblent

                        Le vent

Je marche

Et l'air entier passe devant

Quand la terre tourne plus vite

Où pourrait-on se retenir

C'est peut-être la peur

Qui nous empêche de courir

Et ce sont les mots qui s'envolent

Les feuilles

Et tous les rideaux

Pour voir ce qu'il y a derrière

Dessous

Les larmes sur la gouttière de la cour

 

Pierre Reverdy, Pierres blanches, dans Œuvres complètes, II, édition préparée, annotée et présentée par Pierre-Alain Hubert, Flammarion, 2010, p. 245.

22/01/2013

Pierre Reverdy, La Lucarne ovale, dans Œuvres complètes, I

Pierre Reverdy, La Lucarne ovale, dans Œuvres  complètes, I, rides du temps

              Rides du temps

 

Plus je crie plus le vent est fort

La porte se ferme

Emporte la fourrure et les plumes

Et le papier qui vole

Je cours sur la route après les feuilles

Qui s'envolent

 

Le toit se soulève

Il fait chaud

Le soleil est un aimant

Qui nous soutient

 

À des kilomètres

J'aime le bruit que tu fais

Avec tes pieds

On m'a dit que tu cours

Mais tu n'arriveras jamais

 

Le vieil amateur d'art a un sourire idiot

Faussaire et cambrioleur

Animal nouveau

Tout lui fait peur

Il se dessèche dans u musée

Et participe aux expositions

Je l'ai mis dans un volume au dernier rayon

 

La pluie ne tombe plus

Ferme ton parapluie

Que je voie tes jambes

S'épanouir au soleil

 

Pierre Reverdy, La Lucarne ovale, dans Œuvres

complètes, I, édition, préparée, présentée et annotée

par Étienne-Alain Hubert, Flammarion, 2010,

p. 110-111. 

09/12/2012

Pierre Reverdy, Chair vive

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                Chair vive

 

Lève-toi carcasse et marche

Rien de neuf sous le soleil jaune

Le der des der des louis d'or

La lumière sui se détache

sous les pellicules du temps

La serrure au cœur qui éclate

Un fil de soie

Un fil de plomb

Un fil de sang

Après ces vagues de silence

Ces signes d'amour au crin noir

Le ciel plus lisse que ton œil

Le cou tordu d'orgueil

Ma vie dans la coulisse

D'où je vois onduler les moissons de la mort

Toutes ces mains avides qui pétrissent des boules de fumée

Plus lourdes que les piliers de l'univers

Têtes vides

Cœurs nus

Mains parfumées

Tentacules des singes qui visent les nuées

Dans les rides de ces grimaces

Une ligne droite se tend

Un nerf se tord

La mer repue

L'amour

L'amer sourire de la mort

 

Pierre Reverdy, Bois vert (1948-1949), dans Œuvres

complètes, II, édition préparée, présentée et annotée

par Étienne-Alain Hubert, 2010, p. 448-449.