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30/09/2024

Paul Éluard, Les yeux fertiles

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Hors de la masse

 

Une fenêtre en face

Est un trou noir

Un linge blanc s’en échappe

De perfection en perfection

De ciel en ciel

L’or têtu jette sa semence

 

Au son crevé des midis creux

Sur la fourchette des putains

Un bec de viande gonfle un air

D’usure et de cendre froides

La solitude des putains

 

Elles se cassent les vertèbres

À dormir debout et sans rêves

Devant les fenêtres ouvertes

Sur l’ombre coriace d’un linge.

 

Paul Éluard, Les yeux fertiles, dans

Œuvres complètes, I, Pléiade/Gallimard,

1968, p. 498.

29/09/2024

Paul Éluard, Jeux vagues la poupée

 

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                     Jeux vagues la poupée 

IV

Où les oiseaux ne chantent pas, de quoi sommes-nous sevrés ? Où les blés ne poussent pas, que pouvons-nous espérer ? Ce monde sans amour, veuf du soleil, que nous est-il ?

Il avait fait très froid et l’on avait très faim. La peur était en nous, dans la maison, dehors, éteignant tout. La mort, dernier sursaut de l’imagination. Le serpent passa sous la maison qui s’effondra.

 

Paul Éluard, Jeux vagues la poupée, dans Œuvres complètes, I, Pléiade/Gallimard, 1968, p. 1008.

 

28/09/2024

Erwann Rougé, Asile

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est-ce la neige qui fait si mal

ou prendre un visage

 

une espèce de neige folle

 

une coulure de givre mise à bas

goutte après goutte

avec une saveur de craie

 

ou bien l’ardoise

    les flaques de mots

      où le gris de neige

et du crayon s’épuisent

 

Erwann Rougé, Asile, éditons Unes,

2024, p. 82.

27/09/2024

Erwann Rougé, Asile

erwann rougé, asile, miroir, rire

douche savon

gant de toilette

 

Elle       devant le miroir

             le miroir grimace

efface les peaux sèches

 

à quoi bon prononcer son nom

le temps se vide

             de sa propre chaleur

 

se tord la bouche

laisse échapper l’éclat d’un rire

 

Erwann Rougé, Asile, éditions

Unes, 2024, p. 33 .

26/09/2024

Erwann Rougé, Asile

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Ici       le temps circule

dans les lits sous les draps

on ne dort jamais vraiment

 

la peau fine des murs se resserre

les ongles se raccrochent

 

Elle     rêve un lait noir constellé

à longueur une et infinie

 

il n’y a pas d’heure dans la nuit

larmes et spasmes

Elle     suce la rondeur d’un galet

 

au matin

              il faudra changer les draps

 

Erwann Rougé, Asile, éditions Unes,

2024, p. 26.

25/09/2024

Francis Ponge, Pratiques d'écriture ou l'achèvement perpétuel

 

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                  Les sujets d’art littéraire

 

         Le peintre fait voir sa vue du paysage. C’est un sujet d’art pour la vue, une occasion convenable. Ainsi pour le littérateur, tel ton de langage (le ton des sentiments), le ton de la colère est un sujet, une occasion, le ton de la timidité un autre sujet, et aussi tel type de discours, tel type de raisonnement (mais c’est déjà un empiètement). Il n’est pas d’autres sujets littéraires. C’est là qu’on s’applique : au « beau » langage.

         La façon dont parle un homme dans tel sentiment : voilà proprement un sujet d’art littéraire. Ainsi il semble qu’il faille toujours 1° faire parler (et un mortel) 2° garder une unité de ton.

         Mais plus loin on peut créer des tons monstrueux c’est-à-dire divins, comme le peintre crée des ensembles mythologiques imaginaires. Certes il ne crée pas de nouvelles formes, mais il peut faire des monstres. De même la littérature peut dans certains cas créer des ensembles monstrueux pourvu qu’ils soient dans des rapports intelligibles et aimables aux mortels.

 

Et après tout s’ils ne le sont pas ils le deviennent.

 

Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel, Hermann, 1984, p. 57.

24/09/2024

Francis Ponge, Pratiques d'écriture ou l'inachèvement perpétuel

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29 janvier 1954

 

À partir du moment où l’on considère les mots (et les expressions verbales) comme une matière, il est très agréable de s’en occuper. Tout autant qu’il peut l’être pour un peintre de s’occuper des couleurs et des formes.

    Très plaisant d’en jouer.

    Et pourquoi n’y aurait-il pas un public, une clientèle pour goûter ces jeux ?

    Par ailleurs c’est seulement (peut-être) à partir de propriétés particulières à la matière verbale que peuvent être exprimées certaines choses — ou plutôt les choses.

    On me dira que telle n’est pas la fin de la parole. C’est possible. Et qu’on préfère aussi d’autres écrits, cela peut certes se concevoir.

Mais s’agissant de rendre le rapport de l’homme au monde, c’est seulement de cette façon qu’on peut espérer réussir à sortir du manège ennuyeux des sentiments, des idées, des théories, etc.

 

Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel, Hermann,1984, p.89.

23/09/2024

Leontia Flynn, Pertes et profits

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       Cinq versions ridicules de Catulle

2

Tu veux savoir combien de tes baisers

seraient assez pour moi — et plus qu’assez ?

Autant que les grains « aux vertus réparatrices »

qui gisent sur les plages de sable lointaines,

entre les lupanars que nous prions la nuit

et les ruines légendaires pour gogos.

Ou autant que les étoiles, les nuits calmes,

ignorent les gestes furtifs des amants.

Voilà le nombre de fois qu’il faut t’embrasser.

Je suis dingue, donc c’est assez, « plus qu’assez »

— et c’est plus que les prudes peuvent compter,

guigner, rabaisser de leurs langues frétillantes.

 

Leontia Flynn, Pertes et profits, traduction de

l’anglais (Irlande du Nord) Théo Bourgeron,

Le Corridor bleu, 2024, p. 109.

22/09/2024

Leontia Flynn, Profits et pertes

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                       Anecdote

 

Tu te trouves soudain méchamment éméchée

à une entrée chic dans un dock rénové.

Tu parles trop vite à un homme presque beau,

beauté hollywoodienne — sauf les horribles dents.

Pourquoi ces dents ? Convexes comme celles d’un requin !

 

Et c’est la dernière pensée que tu retiens

quand tu t’éveilles dans une pièce inconnue.

Au-dessus de ta tête, de la poussière cosmique

tortille la lumière, tu vois la trace étrange

de chaussures jetées, manteau roulé, jean déserté

 

qui ne mène, hélas, qu’à l’impasse de toi-même.

Tu inspectes une ampoule douteuse sur ton pouce

mais l’indice est muet — donc tu vas dans la rue

où des pigeons s’égayent — ouurrrpp — au bruit de la porte

puis, un à un, reprennent sombrement leur place.

 

Leontia Flynn, Profits et pertes, traduction de l’anglais (Irlande

du Nord) Théo Bourgeron, Le Corridor bleu, 2024, p. 61.

21/09/2024

Leontia Flynn, Pertes et profits

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                        Pense-bêtes

 

Horaires de messe et collecte des poubelles,

Les noms et quantité de gélules à prendre,

Mes parents mesurent à leurs heures

dans l’arrière cuisine, ponctuels comme la mer,

bercés par la bouilloire et la radio ;

 

Une mouche termine son Grand Prix vrombissant

dans la pièce, puis se pose sur le volet.

« Ne pas laisser les clés dans la serrure »

dit un papier en majuscules, épinglé

sur la porte, par-dessus la clef, dans la serrure.

 

Leontia Flynn, Pertes et profits, traduit de l’anglais

(Irlande du Nord) par Théo Bourgeron, Le Corridor

bleu, 2024, p. 29.

20/09/2024

Novalis, L'Encyclopédie

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Du caractère musical de toute association et société.  Des rapports musicaux seraient-ils la source de tout plaisir et de tout déplaisir ?

 

Le rêve est souvent signifiant et prophétique, parce qu’il est un effet naturel de l’âme — et repose par conséquent sur un ordre associatif. Il signifie à la manière de la poésie — mais, par là même, sans règle — de façon absolument libre.

 

Les hommes vraiment actifs sont ceux que —les difficultés stimulent.

 

On ne doit prend aucune garde (ne prêter aucune attention) à ce qui est désagréable.

 

Novalis, L’Encyclopédie, traduction Maurice de Gandillac, éditions de Minuit, 1966, p.278, 279, 280, 280.

19/09/2024

Novalis, L'Encyclopédie

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Se fiancer = s’efforcer d’attirer l’attention.

 

Il est étrange que la liaison entre volupté, religion et cruauté n’ait pas depuis longtemps attiré l’attention sur leur affinité interne et sur leur tendance commune.

 

Du plaisir sexuel — de l’aspiration nostalgique au contact charnel —de la satisfaction en présence de corps humains dénudés. S’agirait-il d’un secret appétit de chair humaine ?

 

Extase — phénomène lumineux intérieur = intuition intellectuelle.

 

La mémoire est le sens individuel — l’élément d’individuation.

 

Novalis, L’Encyclopédie, traduction Maurice de Gandillac, éditions de Minuit, 1966, p. 282, 283, 284, 285, 286.

18/09/2024

Antonin Artaud, L'Anarchie sociale de l'art

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  POST-SCRIPTUM

Qui suis-je ?
D’où je viens ?
Je suis Antonin Artaud
et que je le dise
comme je sais le dire
immédiatement
vous verrez mon corps actuel
voler en éclats
et se ramasser
sous dix mille aspects
notoires
un corps neuf
où vous ne pourrez
plus jamais m’oublier

Antonin Artaud, Le Théâtre de la cruauté,

dans Œuvres complètes, tome XIII, Gallimard,

1974, p. 118.




17/09/2024

Paul Claudel, Dodoitzu

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D’UN SEUL BOND

 

Je t’aime je suis venue

Le torrent et les montagnes

Les forêts et la campagne

Je ne m’en suis pas aperçue

 

IN ONE BOUND

 

Dear love I have come!

Forrest and hill’s over

Roaring wave and snow

Dear love I saw none.

 

Paul Claudel, Dodoitzu,

Gallimard, 1945, np.

16/09/2024

Paul Claudel, Dodoitzu

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L’AMOUR MUET

 

Chante pour ma fête

Cigale à tue-tête !

Mais combien c’est mieux

Cette mouche-à-feu

Qui san aucun bruit

Brille dans la nuit

L’amour lui brûle le corps !

 

MUTE LOVE

 

Sing still it hurts !

Cricket till it brusts !

But how much better

The firefly’s glitter

Which at light voiceless

Shines away ceaseless

Burning soul and body.

 

Paul Claudel, Dodoitzu,

Gallimard, 1945, np.