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16/01/2021

Thomas Bernhard, Le Neveu de Wittgenstein

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[...] Moi non plus je n’aime pas les promenades, mais avec des amis, je fais des promenades, et de telle manière que ces amis s’imaginent que je suis un promeneur passionné, car je me promène toujours de manière si théâtrale qu’ils n’en reviennent pas. Je n’ai absolument rien d’un promeneur, et je ne suis pas davantage un ami de la nature, ni quelqu’un qui connaît la nature. Mais quand des amis sont à, je marche de telle manière qu’ils s’imaginent que j’aime me promener, que j’aime la nature et que je connais la nature. Je ne connais absolument pas la nature et je la déteste parce qu’elle me tue. Je ne vis dans la nature que parce que les médecins m’ont dit que si je voulais survivre, il fallait que je vive en pleine nature, c’est la seule raison. En réalité, j’aime tout, sauf la nature, car la nature me met mal à l’aise, et j’ai appris à connaître dans ma chair et dans mon âme ce qu’elle a de mauvais et d’implacable, et comme je ne peux contempler ses beautés qu’en songeant en même temps à ce qu’elle a de mauvais et d’implacable, elle me fait peur et je l’évite tant que je peux.

 

Thomas Bernhard, Le Neveu de Wittgenstein, traduction Jean-Claude Hémery, Gallimard, 1985, p. 74-75.

 

15/01/2021

Elias Canetti, Histoire d'une jeunesse, La langue sauvée

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Lectures de jour et lectures de nuit

 

[Ma mère] vivait dans l’attente du soir, plus précisément d el’heure où nous serions au lit et où elle pourrait retourner à sa lecture. C’était l’époque où elle lisait Strindberg. Je restais éveillé dans mon lit et je voyais, par-dessous la porte, le reflet de la lumière en provenance du salon. Elle était là, agenouillée sur sa chaise, les coudes plantés sur la table, la tête reposant sur le poing droit, devant elle, une haute pile de volumes jaunes, les œuvres de Strindberg. À chaque anniversaire et à Noël, la pile s’augmentait d’un volume, c’était l’unique chose qu’elle souhaitait recevoir de nous. Je n’avais pas le droit de lire ces livres et

 

cela me mettait dans tous mes états. Cependant je n’en ouvris jamais aucun à son insu. J’aimais cette interdiction et il me semble d’ailleurs que j’étais d’autant plus fasciné par les livres jaunes qu’il m’était défendu de les lire. Rien ne me rendait plus heureux que de lui faire présent d’un nouveau volume dont je ne connaissais que le titre.

 

Elias Canetti, Histoire d’une jeunesse, La langue sauvée, traduction Bernard Kreiss, La Livre de Poche, 1984, p. 230-231.

14/01/2021

Christian Enzensberger, Essai de quelque envergure sur la crasse

christian enzensberger,essai de quelque envergure sur la crasse,juif

Quand je déclare que je suis juif, il se produit ceci : à ces trois mots monosyllabiques apparaît dans l’air une minuscule boule blanche élastique, à peu près de la grosseur d’un pois, entre mon visage et celui de mon interlocuteur, et lui bondit dans la bouche. Là-dessus, cette bouche se ferme, une espèce de jalousie descend de la naissance des cheveux sur le visage, ce qui fait que la petite boule emprisonnée sautille à présent à l’intérieur entre jalousie et occiput en toupillant dans un va-et-vient continuel. Par l’effet de la gravitation, chaque ricochet s’y situe un soupçon plus bas que le précédent, la menue boule perd graduellement d’altitude et de latitude, par conséquent, elle baisse tout en toupillant toujours plus vite jusqu’à s’engager finalement dans le gosier où elle est alors avalée sans préjudice de son toupillement. À présent la jalousie se relève, se retire à sa place habituelle sous la boîte crânienne, la bouche s’ouvre et commence à parler, mais à aucun prix, sous aucun prétexte du phénomène qui vient de se dérouler.

 

Christian Enzensberger, Essai de quelque envergure sur la crasse, traduction Raymond Barthes, Gallimard, 1971, p. 105-106.

13/01/2021

Peter Altenberg, Esquisses viennoises

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[...] La plupart du temps cela donne : « Savez-vous ce que dit le célèbre - - - ? » ». Mais personne au monde ne connaît ce nom-là. Et d’ailleurs personne n’est curieux de savoir ce qu’a dit le célèbre - - - , de toute façon ce serait quelque chose d’irritant, dicté par d’autres points de vue.

 La mère considérait ces citations, que le père prenait dans la Revue, comme une mauvaise habitude, comme renifler ou pire encore - - - ». Le fils, lui, pensait : « Derniers mouvements d’ailes d’un vieil oiseau fatigué, laisse donc faire - - - . Serais-tu le comte Mirabeau ?! »

« La soupe est comme elle est - - - » pensait la mère. Elle coûte assez cher et la génération précédente se portait bien. Je ne vois pas le résultat de toutes vos histoires. Maintenant vous êtes obligés d’aller tous les ans chez le dentiste - - - . Une soupe doit être chaude - - - » .

Il y eut ensuite le filet avec différents légumes, masse blanche peu appétissante, du chou-fleur, une sorte de purée glauque, de petites carottes tendres, pointues et rougeâtres, et des pommes de terre râpées à la machine et bien dorées. Le tout ressemblait à un parterre de fleurs.

 

Peter Altenberg, Esquisses viennoises, traduction Miguel Couffon, Pandora / Textes, 1982, p. 119.

12/01/2021

Sandra Moussempès, Vestiges de fillette

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                                         Reflet 1

 

   Lèvres dévastées, le rouge vif déborde, les yeux sans fin au contour aguicheur, elle s’accroupit (pagne mauve lèvres offertes tee-shirt près du corps), regarde au loin, les traces noires autour des yeux, sourcils maladroitement repeints de la main d’une enfant, la lumière opaque, moue d’une fillette, rayons roses sur le corps, secret de la paille autour de ses cuisses refermées, elle s’imagine de l’autre  côté du miroir.

 

                                            Reflet 2

 

   Les draps noirs sur les seins, dessein caché de l’autre monde. La dentelle d’une bretelle soutient la gorge dorée, dorure éternelle, les cheveux blonds, délavés par temps orageux, embroussaillés, sa bouche enflammée, le rouge dévie, regard docile presque doux (les pleurs ou le discours indicible d’une nuit blanche) elle tient au cœur du corps le drap froissé, elle, blonde à gémir, l’œil glauque et langoureux, désir tiède  de l’autre corps, luxure des lumières, l’éclat de sa peau, en plein jour, émaillée.

 

Sandra Moussempès, Vestiges de fillette, Poésie / Flammarion, 1997, p. 103-104.

 

11/01/2021

Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle

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Tu m’aimas dans la fausseté

Du vrai — dans le droit au mensonge,

Tu m’aimas — plus loin : c’eût été

Nulle part ! Au-delà ! Hors songe !

 

Tu m’aimas longtemps et bien plus

Que le temps. — La main haut jetée ! —

Désormais :

 

              • Tu ne m’aimes plus ! —

C’est en cinq mots la vérité.

                      

                                               12 décembre 1923

 

Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle, suivi de Tentative

de jalousie, traduction Pierre Léon et Ève Malleret,

Poésie / Gallimard,1999, p.119.

 

10/01/2021

Jehan Rictus, Les Soliloques du pauvre : recension

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Le lecteur dispose aujourd’hui d’une édition complète des poésies de Jehan Rictus, de son autobiographie et même de son journal pour 1898 et 1899*, mais le 555ème volume de la collection Poésie de Gallimard est bienvenu, il rassemble ses deux principaux livres. Leur contenu donne une idée précise de ce qu’était une partie des textes lus dans les cabarets à la fin du XIXème siècle ; en outre, le rejet total du capitalisme par l’auteur peut rencontrer aujourd’hui bien des échos.

Avant d’entrer dans Les Soliloques du pauvre, il est bon de lire la préface et la notice biographique de l’éditrice du volume pour situer Jehan Rictus dans son temps. Jehan Rictus (1867-1933), né Gabriel Randon, choisit tardivement son pseudonyme, sans doute lié à un vers de Villon (« Je ris en pleurs ») mais peut-être, selon Patrice Delbourg, anagramme approximative de "Jésus Christ".  Élevé par sa mère, battu et humilié, il file à Paris à dix-huit ans, écrit des poèmes, fréquente la bohème et connaît la misère, celle qui sera plus tard au centre de ses écrits ; il est remarqué et encouragé par José de Hérédia, Albert Samain et protégé par Leconte de Lisle. Il fréquente les anarchistes, abandonne le vers parnassien pour une forme bien présente dans les années 1880, celle du monologue en vers à dire dans les cabarets. Les poèmes sont alors en vers (l’octosyllabe domine) comptés et rimés ; ils tentent de restituer un parler paysan, avec des mots en patois, comme chez Gaston Couté (« Bon Guieu ! la sal’ commune ! À c’souère, / Persounne a voulu m’ar’cevouèr / Pou’ que j’me gîte et que j’me cache / Dans la paille, à couté d’ses vaches »). Plus souvent, c’est le parler parisien qui est le modèle à imiter, comme par exemple dans les poèmes d’Aristide Bruant, « Moi, je n’sais pas si j’suis d’Grenelle / De Montmartre ou de la Chapelle, / D’ici, d’ailleurs ou de là-bas / Mais j’sais ben qu’la foule accourue, / Un matin m’a trouvé su’ l’tas / Dans la rue » ("Dans la rue").

Jehan Rictus pratique de façon beaucoup plus systématique l’élision pour mieux traduire une manière de s’exprimer qu’il a bien connue. Le début du Soliloque du pauvre réunit à peu de choses près les transformations opérées.  Le e disparaît souvent, y compris à l’intérieur d’un mot (« lanc’ments ») et entraîne aussi celle du r, du l en finale (« mett’, peint’s, muff’ »). Sans entrer dans le détail linguistique des modifications, on peut en énumérer quelques-unes qui indiquent que Jehan Rictus a transcrit fidèlement le parler du milieu ouvrier parisien tel que les études de la dernière partie du XIXème siècle en donnent l’image : ceux devient « ceuss », ou = « ousque », métier = « méquier », tiens = « quien », le monde = « eul monde », manière = « magnièr’ », une = « eune », plus = « pus », les employés = « les empoyés », millions = « meillons », il y a un = gna z’un », je vais = « j’vas » , etc. Le vocabulaire emprunte à ce que l’on désigne toujours par "français populaire", une partie des mots relevés est sortie de l’usage (« purotain » = miséreux, « se faire balader les rognons »), contrairement à la plupart d’entre eux, comme « carapater, gambiller, bath, mendigot, vieux birbe, bouffer, dèche, briffer, plaquer, claquer, foutre », etc. Pour Jehan Rictus, cette restitution d’une langue parlée est en accord avec les contenus quand on se veut, comme l’écrit Patrice Delbourg, « le chantre des vaincus, des trahis, des réprouvés, des sans-espoir » — cela ne l’empêchait pas d’employer des mots étrangers au vocabulaire commun ou d’introduire des allusions à la bible hébraïque.

Jehan Rictus est résolument du côté des miséreux, des sans-dents (comme disait l’autre énarque), non pour gagner de l’argent comme, par exemple, Victor Hugo (« Nous avons not’ Victor Hugo / Qui a tiré des mendigots / D’quoi caser sa progéniture »), ni pour se faire élire puisque, pour être populaire, « l’moyen l’pus pratique / C’est d’chialer su’la Pauvreté ». Défendre les pauvres, c’était la mission qu’avait, selon Jehan Rictus, le Christ auquel il consacre un long monologue ("Le Revenant"), dit au cabaret du Chat noir et qui le fit sortir de la misère. Le Christ, donc, revient, accomplissant le vœu du narrateur qui le rencontre un soir dans la rue ; image traditionnelle, il est pâle et triste : « T’as tout à fait l’air d’un artiste ! / D’un d’ces poireaux qui font des vers » ; après avoir constaté avec lui qu’il n’intéressait plus personne, le narrateur lui propose un travail, aux Halles, et Jehan Rictus aborde l’une des questions politiques des années 1890, l’antisémitisme : où le Christ peut-il aller ? « N’va pas chez Drumond on t’bouffrait / Après tout tu n’étais qu’un youtre ! » Il rappelle que le Christ promettait le « Royaume des cieux » aux pauvres, mais : « C’est avec ça qu’on nous empaume », et il conclut « L’Homme doit êt’ son Maître et son Dieu ».

Il y a un radicalisme chez Jehan Rictus qui s’exprime notamment dans une lettre à Léon Bloy dans laquelle il dénonce le sort des ouvriers avec le capitalisme : « Tout vaut mieux, même le retour à la barbarie, à la caverne primitive, qu’une pareille organisation sociale ». Il rêve sans illusion d'ouvrir un lieu, une « Maison des Pauvres », « pour les vaincus... les écrasés, / Les sans espoir... les sans baisers ». Le Cœur populaire, écrit « en langue populaire », rassemble les poèmes écrits entre 1900 et 1913 et s’ouvre, significativement, par une "Idylle" : la déclaration d’amour (« Mom’, c’que t’es chouatt’ ! Mom’, c’que t’es belle ! ») est suivie d’un tableau de la vie possible du couple qui exclut que la femme soit poussée à se prostituer, « Jamais je n’te mettrai su’ l’tas ». Ce n’est pas le seul poème qui défend la dignité de la femme pauvre ; "La grande Irma", un des poèmes écrit sans élision, est une adresse d’un homme à sa mère qui s’est prostituée pour qu’il puisse faire ses études et il promet un engagement, « Désormais j’aurai ma chimère / et rêverai d’une Patrie /où la Femme ne sera plus / traquée, vendue, forcée, flétrie, / à l’abri de nos trois couleurs ». Parmi d’autres poèmes, "Conseils" a une valeur particulière puisqu’il s’agit d’inciter les ouvriers à gagner eux aussi leur dignité, d’abord par la propreté, l’hygiène, pour refuser une image répandue, y compris en effet dans les romans de Zola.

La veine de Jehan Rictus s’est tarie après la première Guerre mondiale, cependant ses poèmes rageurs, à l’écart de tout engagement politique — le"ni dieu ni maître" de l’anarchisme — , témoignent d’une époque, les années 1880-1890, où la violence de l’État s’exerçait contre le monde ouvrier bien plus qu’aujourd’hui — faut-il rappeler la fusillade de Fourmies (dix morts) contre ceux qui réclamaient pacifiquement la journée de huit heures ?

La lecture de Jehan Rictus est ici facilitée par un glossaire qui ne laisse rien passer. L’éditrice a ajouté une bibliographie et des poèmes absents de l’édition qu’elle a retenue : un travail rigoureux, complété par la préface toute de sympathie de Patrice Delbourg.

Jehan Rictus, Les Soliloques du pauvre, suivi de Le Cœur populaire, édition Nathalie Vincent-Munnia, préface Patrice Delbourg, Poésie/Gallimard, 2020, 402p., 9, 50 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 2 décembre 2020.

* Poésies complètes, La Part commune, 2012 ; Fil de fer [autobiographie], La Part commune, 2011 ; Journal quotidien 1898-1899, Claire Paulhan, 2015.

 

09/01/2021

Raymond Queneau, Fendre les flots

raymond queneau,fendre les flots,la moule de l'estuaire

La  moule de l’estuaire

 

Collée au pilotis sapeur sachant saper

se balançant aux sons de l’orchestre tzigane

la bestiole paisible aime la société

les remous de la mer et le contact des algues

et la caresse des vagues inextinguibles

elle dort bien tranquille étant incomestible

longtemps longtemps longtemps elle pourra bercer

sa placide nature au flonflons des violons

 

Raymond Queneau, Fendre les flots, Gallimard,

1969, p. 116.

08/01/2021

Raymond Queneau, Battre la campagne

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Le citadin aux champs

 

Abuser du temps qui passe

soustraire l’air d’une souris

piocher dans le beurre en motte

atteindre l’eau d’un coup de scie

piétiner l’or de la crotte

étreindre le blé sans épis

insulter mouche qui trotte

sermonner les poux des brebis

abuser du temps qui passe

voilà tout ce qu’à la campagne

fait le monsieur de Paris

 

Raymond Queneau, Battre la campagne,

Gallimard, 1968, p. 67.

07/01/2021

Raymond Queneau, Courir les rues

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Tous les parfums de l’Arabie

 

 Il y avait un passage Waterloo

on l’a démoli

c’est qu’on est patriote à Paris

alors pourquoi une rue Jules César

l‘ennemi juré des Gaulois

ces ancêtres

 

elle se musse non loin de la gare de Lyon

et quel air banal

 

soudain cette odeur

plantes aromates épices tropiques

effluves fragrances botaniques

garrigues de Provence jardins d’Ispahan

 

je fonce et flaire

le CPM fondé en 1901 m’attire

le CPM c’est-à-dire

l’omptoir harmaceutique oderne

mais non ce n’est pas là

 

je fonce et flaire et découvre

Les Bons Producteurs

vente en gros

herboristeries de toute provenance

Les Bons Producteurs

ont la bonne odeur

mais elle ne va pas plus loin que le boulevard de la Bastille

 

en face de l’autre côté du canal

s’assirent sur un banc Bouvard et Pécuchet

comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés

 

Raymond Queneau, Courir les rues, Gallimard, 1967, p. 155-156.

06/01/2021

Bernard Noël, L'été langue morte

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L’été langue morte

 

Chant I

 

le monde n’est pas fini

et quand le vent se ève

notre visage est différent

l’amour défait l’amour

pour devenir plus que lui-même

qui va mourir

sait que la beauté est inexorable

je regarde ton souffle

tu t’évapores

l’obscur du temps est un ongle

derrière l’œil

il faudrait tenir sa  langue

jusqu’au commencement du monde

la lumière est terrible

la mer ressasse

tu cherches un point parmi le jour

le présent est sans but

sans contour

et le sommet des pierres

ne connaît pas leur ombre

(...)

 

Bernard Noël, L’été langue morte, dans

Les Plumes d’Éros, Œuvres I, P.O.L, 2010, p. 87.

05/01/2021

Pierre Reverdy, Sable mouvant

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                                   Clair mystère 

Par-dessus le portique où s’enroule la treille et ou chante l’oiseau — À la fenêtre où se dressent une tête et un buste immobile. Derrière le mur qui penche et l’air qui s’éblouit, un œil à demi clos qui attend le signal.

Pierre Reverdy, Sable mouvant, Poésie / Gallimard, 2003, p. 62.

04/01/2021

Jules Renard, Journal, 1887-1910

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Prononcer vingt-cinq aphorismes par jour et ajouter à chacun d’eux : « Tout est là ! »

La mélancolie soudaine de celui à qui l’on dit : « Vous savez que je pars en voyage ? » 

Les enfants devraient être des apparitions facultatives.

J’aime lire comme une poule boit, en relevant fréquemment la tête pour faire couler.

Si vous pensez du bien de moi il faut le dire le plus vite possible, parce que, vous savez, ça se passera.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 202, 203, 203, 205, 206.

03/01/2021

Jules Renard, Journal, 1887-1910

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Il a chassé le naturel : le naturel n’est pas revenu.

Soyez tranquilles ! nous qui avons peur de la mort, nus mettrons toute notre coquetterie à bien mourir.

Vivre et juger sa vie : quel est l’homme capable des deux ?

Il n’y a pas d’amis : il y a des moments d’amitié.

À sa pièce, on lui serra la main comme pour l’enterrement d’un être cher.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 195, 196, 196, 197,198.

02/01/2021

Georges Lambrichs (1917-1992), Les Rapports absolus

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                             C’est le geste qui coûte

 

Une grande froideur fait le jeu de l’histoire, notre destin s’y trouve mêlé et, hâtivement, nous adoptons par mimétisme, un souci logique, vulgaire, bien étranger à notre être qui est composé de fluides et d’humeurs. Je n’en veux, ici, ni à la morale, ni à l’immoralisme tapageur (dont on a pu voir les éclats déjà anciens, divulgués, les réussites esthétiques). Je dis seulement que l’être, notre nature, ne répondent pas à la parole, aux commandements graves, et que l’usage de la parole qui est essentiellement calculateur et médiateur ne véhicule pas la passion, mais qu’il la cogne. Si la vérité est un sens, la passion doit être mise en théorie, et le malheur est donné par surcroît.

(...)

 Georges Lambrichs, Les Rapports absolus, collection Métamorphoses, Gallimard, 1949, p. 53.