26/03/2024
Michel Deguy, Ouï dire
Quand le vent pille le village
Tordant les cris
L’oiseau
S’engouffre dans le soleil
Tout est ruine
Et la ruine
Un contour spirituel
Michel Deguy, Ouï dire,
Gallimard, 1966, p. 33.
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25/03/2024
Michel Deguy, Biefs
Un jour elle sera là elle apparaîtra
Elle n’était pas là elle était ailleurs Voici qu’elle
Viendra de là-bas ici elle entrera
J’aurai affaire à elle Elle sera là pour moi
C’est moi plutôt qui entrerai dans son champ d’absence
Qui ne cesse pas Je serai happé pris dedans Soudain
Elle sera ici la fascinante Elle apparaîtra de là-bas de
Cet horizon Visible
Michel Deguy, Biefs, Gallimard, 1964, p. 51.
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24/03/2024
Michel Deguy, Donnant Donnant
Donnant
Donnant est la formule
l’échange sans marché
où la valeur d’usage ne serait que l’échange du don
où le commun n’est pas même cherché, foison des
incomparables sans mesure prise en commun, un troc où
la fleur d’ail se change en ce qui n’est pas de refus
Que désirez-vous donner
C’est le geste qui compte
Miche Deguy, Donnant Donnant, Gallimard, 1981, p. 57.
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23/03/2024
Michel Deguy, Poèmes de la presqu'île
Le sablier
Si je perds l’habitude de t’aimer, nous voici comme deux retraités qui jardinent séparés par un fil plus épais qu’une digue.
Pour réapprendre : placer la pommette gauche contre ma pommette droite, et frapper doucement sur la nuque pour faire passer de mon côté tes cils, le sable de tes cheveux, ton souffle au goût de fruit.
Toutes les trois minutes renverser le sablier.
Micherl Deguy, Poèmes de la presqu’île, Gallimard, 1961, p. 100.
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22/04/2022
Michel Deguy, Figurations
10 h
Au point qu’implique le poème
Mire je t’attends partout
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- Quand je prends soin de mon amour
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Il se moque de moi —
Les hortensias préfèrent la maison
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- Je lui décris la vie avec exactitude —
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Les arbres autour imitent le sentier
La sève est la taupe du ciel
Rotule d’arbre et du reflet
Ici s’animait la vie faite
De nuage de sable et d’eau
Un couloir brille où l’aquarelle
Suffit à porter le bateau Ici
Galerie comme une main s’achève
Ou quelque extrémité d’encre trace
De gauche à droite ici
Condensé, alcôve, le signe de la terre
Ressource du mariage
C’est le visible
Aveuglément choisi
Michel Deguy, Figurations, Gallimard, 1969, p. 69.
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21/04/2022
Michel Deguy, Figurations
Haïku du visible
Un L’équidistant. Lui le lucide
L’impartial quand la terre dormeuse
Se retourne vers lui
Deux La coque azur
Incrustée d’arbres sous la ligne de pendaison
L’air qui cède à l’oiseau
Qui s’efface
Trois Le treillis le réseau le tamis
Le nid d’intervalles
Un feu de paille aussi longtemps que le soleil
Et ces murs une piste de plantigrades
Murs tracés à coups de griffes
Et debout comme un moulage de combat
Quatre L’eau bien épaisse bien ajointée
L’eau remplie remplissant
L’eau sans jour sur le poisson mouillé
Et la terre comme fonds la recouverte la patiente
L’implicite
Michel Deguy, Figurations, Le Chemin, Gallimard,
1969, p. 86.
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20/04/2022
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île
Ici
Ici les maisons cessent comme au bord de l’eau
La rue arpente les labours
Le flux de blé monte jusqu’au trottoir
Les femmes sont chez elles
Usant le jour et la lessive
Les pierres leur sont familières
Elles choisissent un vent propice
Les hommes à droite partent en terre
Ils retournent au champ lointain
Jeter leur filet de fer dans la glaise
Je suis venu pour rassembler
Le port où meurt la houle des sillons
La jetée des rives de Loire
Et la lisière humaine de la mer
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,
Le Chemin, Gallimard, 1961, p. 37.
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19/04/2022
Michel Deguy, Donnant Donnant
Jaculatio tardiva
Et il ne suffirait pas que je dise à celles-ci
Fais comme si tu m’aimais Montre toi montre moi
Tes Dombes ton Rhin tes Seine ton Ombrie
Comme Ronsard faisait son chant de son chantage
Pour de l’argent le sein des seins
La toison de cendre le centre de la terre
Faute de toi les mots ne s’assembleraient pas
Fais ma croissance Sans tes pores le pli n’est jamais pris
Je ne peux même pas sans ton échine ton antenne
Dire le temps sans la clepsydre de ton sang
Comme nous disons Allume la lumière
Je leur dirais Donne de la mémoire
Avec tes lombes ton sein tes saignées tes ombres
Il y a à coir aussi sur tes paupières
Michel Deguy, Donnant Donnant, Gallimard, 1981, p. 37.
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02/02/2022
Michel Deguy, Figurations
Haïku du visible
Un L'équidistant Lui le lucide
L'impartial quand la terre dormeuse
Se retourne vers lui
Deux La coque azur
Incrustés d'arbres sous la ligne de pendaison
L'air qui cède à l'oiseau
Qui s'efface
Trois Le treillis le réseau le tamis
Le nid d'intervalles
Un feu de paille aussi longtemps que le soleil
Et ces murs une piste de plantigrades
Murs tracés à coups de griffe
Et debout comme un moulage de combat
Quatre L'eau bien épaisse bien ajointée
L'eau remplie remplissant
L'eau sans jour sur le poisson mouillé
Et la terre comme fonds la recouverte la patiente
L'implicite
Michel Deguy, Figurations, Poème-proposition-études,
"Le Chemin", Gallimard, 1969, p. 86.
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31/10/2020
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île
Le miroir
Ville aveuglée à moins que ne la montre
À soi une rivière
Elle tire partage de l’eau
Et s’assied chez soi sur les berges
Un côté garde l’autre ils s’opposent et se voient
La rive se reflète en l’autre
Et chacune soi-même en le fleuve
Lui la dédouble et ainsi la redouble
Et permet qu’elle se connaisse.
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,
Gallimard /Le Chemin, 1961, p. 79.
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19/09/2019
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île
Le vent
Du vent sur le village ! Stères des maisons qui branlent, et les flaques gelées des vitres craquent sous ses pas puissants. Tout est ébauche de fable, et moi de rares poèmes. Sous les yeux dessertis tourne le documentaire.
Comment être à ce nouveau monde
Arbre et tête de sang et vent et trous et vides et murmures, l’oreille bat sous le vent du sang.
Tête à tête bruissant, deux arbres hagards aux ocelles de vide, grands ossuaires aux mille orbites. Un souffle fait bruire les rets de dendrites.
Un souffle... il attise une parole.
Le vent, là-bas !
Un vent qui tente la racine, inventant à l’aveugle l’espace !
Passant le souffle érige les oreilles
Il plante au sol l’arbre de ma stupeur et va se ruer sous l’essieu de la nuit.
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île, Gallimard, 1961, p. 18.
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31/05/2017
Karel Čapek, Lettres à Véra
Prague, le 30/1/1924
Madame Věra,
À vrai dire, j'ai voulu adresser cette lettre à votre membre inférieur malade mais il ne me semblait pas opportun de commencer ma lettre par "Madame la Jambe" ou bien par "Membre très estimé", je dois donc renoncer à mon intention d'entamer un dialogue avec ladite partie de votre corps. Maintenant, je tiens à vous féliciter pour votre résurrection et à exprimer en même temps ma profonde surprise face à la source mystérieuse de l'intoxication de votre jambe. Peut-être qu'un serpent, déguisé en cheville de bois dans votre soulier, a choisi votre talon pour cible. Vous avez bien fait d'avoir enduit sa tête ; il ne faut jamais se laisser faire. — J'ai oublié de vous signaler que, récemment, mon chat Vasek avait fini ses jours remplis d'espoir ; lui aussi avait été empoisonné. Pour le remplacer, le bon Dieu des chats m'a envoyé une chatte errante qui, d'après certains signes, semble enceinte. Ne savez-vous pas ce qu'on est censé faire de ses petits ? Ma bonne affirme que les noyer porte malheur ; je ne voudrais pas être malheureux, surtout pas en hiver.
Karel Čapek, Lettres à Věra, traduction Martin Daneš, éditions Cambourakis, 2016.
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07/12/2015
Michel Deguy, Biefs
J’ai connu un vieux couple qui se déchirait de procès à dessein — peu conscient — de remettre en question son propre passé : féroce anamnèse, jusqu’au premier regard de fiancés, déjà truqué.
O salves du cœur, fantasia des yeux, l’état sauvage, l’impatience de toute conséquence ( j’ai connu un fervent cavalier peut-être à cause d’une image des Huns tôt imposée). Gestes perdus, balles perdues, enfant perdu, si perdu que pas une théorie du lapsus n’y retrouvera ce qui fut sien.
Et qu’elle y retrouve une trace, elle entendra l’éclat de rire du gitan ! Liberté brisée brisante, vague incalculable sur le corail errant, torrent jeune.
Michel Deguy, Biefs, Gallimard, 1964, p. 75.
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05/09/2013
Michel Deguy, Donnant donnant
L'amour est plus fort que la mort disiez-vous
Mais la vie est plus forte que l'amour et
L'indifférence plus forte que la vie — La vie
Mienne ou tienne et nôtre en quelque manière
Est ensemble la seule séquence de métamorphoses
(Le néoténique se mue en héros à sexe
Plus tard en ventru chauve pourrissant comme un dieu)
Et bains-douches au Léthé tous les mois
Et un vieillard muet en nous depuis longtemps
Survit sans douleur au charnier des enfants
40° Ouest 60° Nord
Michel Deguy, Donnant donnant, "Le Chemin", Gallimard, 1981, p. 28.
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09/01/2013
Michel Deguy, Poèmes de la presqu'île
Le pommier
J'ai attendu, comme un amant aux champs prend rendez-vous sous le pommier rigide, et dans l'herbe qui jaunit, attend tout l'après-midi sous des tonnes de nuages. L'amante ne vient pas.
Ce qui est rien, peut-il être entouré en l'âme et ainsi deviné — margelle des poignets tordus ; tresse des yeux de plusieurs amis en rond ; spirale des croassements qui vrillent, défoncent ; anneau de voix ; mon mal, mon mal, transcendance qui irrompt, jetant à terre ici le fourbu geignant de cette naissance, déposé, Ulysse rustique (il chasse les poules ataxiques) aux yeux charnus, du vent plein la face, l'évanoui qui ne cesse « où suis-je, où suis-je ? » Faire mémoire de ce don des choses prudentes qui tâtonnent sur la mince couche de glace du monde.
Sous un pommier charmant, étendu mais trop bavard pour le poème (pourtant la marée grimpe dans les branches basses cherchant un nid dans l'abri vert), est-ce notre lot de ne plus avoir à méditer que des conflits d'hommes ?
Michel Deguy, Poèmes de la presqu'île, collection "Le Chemin", Gallimard, 1961, p. 40-41.
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