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02/11/2016

Saül Bellow, Au jour le jour

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   Une fois de plus, dans l’air froid et la nuit qui tombait, il parcourut la courbe de la cage à l’entrée serrée entre des piliers de brique et il commença à monter au troisième étage. Des morceaux de plâtre s’écrasaient sous ses pieds, des bouts de fil de cuivre arrachés des plinthes marquaient d’anciennes limites d’appartements. Dans le couloir, le froid encore plus vif que dans les rues le transperça jusqu’aux os. Les toilettes de l’entrée faisaient des bruits de cataracte. Il pensa avec tristesse, tandis qu’il entendait le vent hurler tout autour de l’immeuble comme une fournaise, que ce n’était là qu’une caverne construite. Ensuite, il frotta une allumette dans l’obscurité et chercha des noms et des numéros au milieu des graffiti qui étaient écrits sur les murs. Il vit Kirikiki s’en va au ciel, des zigzags, des caricatures, des obscénités et des jurons. C’est ainsi qu’étaient également décorées les salles scellées des pyramides et les cavernes de l’humanité naissante.

 

Saul Bellow, "À la recherche de Mr Green", Au jour le jour, traduction Danielle Planel, Gallimard, 1962, p. 153-154.

 

13/03/2013

Raymond Queneau, Courir les rues, Battre la campagne, Fendre les flots

 

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Graffiti

 

Le graveur voit disparaître

une à une les pissotières

tableaux noirs où ses écrits

manifestaient une grammaire

                  alerte

 

Variante

 

Le graveur voit disparaître

une à une les vespasiennes

tableaux noirs où ses désirs

                 s'écrivirent

sans angoisses grammairiennes

 

Raymond Queneau, Courir les rues (1967),

dans Œuvres complètes, édition préparée par

Claude Debon, Bibliothèque de la Pléiade,

Gallimard, 1989, p. 352.

 

À tout vent

 

Les champignons ont des chapeaux

grands comme des accordéons

ils se massent et végètent

en rond

 

ils croissent dans la nuit

lorsque coassent les grenouilles

ils arrivent impromptu

avec la rouille

 

demain demain il n'y aura plus

que poussière

ils sèment à tout vent

pour une année entière

 

ainsi la poudre de la vie

un jour revient au port

puis le poème jette ses spores

pour une autre vie

 

Raymond Queneau, Battre la campagne,

(1968) id., p. 446.

 

Buccin

 

Dans sa coquille vivant

le mollusque ne parlait pas

facilement à l'homme

mort il raconte maintenant

toute la mer à l'oreille de l'enfant

qui s'en étonne

qui s'en étonne

 

Raymond Queneau, Fendre les flots, (1969),

id., p. 538.

 

 

 

 

 

 

 

09/03/2013

Jacques Prévert, Choses et autres

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                                        Graffiti

 

L'égaré demande son chemin, l'affolé demande l'heure, la minute ou l'année, le mendiant demande l'aumône, le condamné grâce.

Certains ne demandent rien.

                              *

Un homme à la mer, une femme à l'amour

                                         (La veuve du capitaine)

                              *

Nul n'est insensé qui ignore la loi.

                              *

Une foi est coutume.

                              *

Il n'y a pas cinq ou six merveilles dans le monde, mais une seule : l'amour

                              *

Néant + néanmoins

                              *

L'enfant qui verse, histoire de rire, son encrier dans un bénitier, est plus drôle et plus vrai que Luther qui disait avoir jeté le sien à la tête du diable.

                              *

L'homme dit « ma maîtresse, mes maîtresses ! ». La femme ne dit pas « mon maître ».

                              *

Les prisons trouvent toujours des gardiens.

                              *

La révolution est quelquefois un rêve, la religion, toujours un cauchemar.

                             

Jacques Prévert, Choses et autres, "Le Point du jour", Gallimard, 1972, p. 105, 106, 106, 107, 107, 108, 108, 109, 110, 110.

 

 

 

 

 

14/09/2011

Jean Frémon, Antoni Tàpies, La substance et les accidents

Jean Frémon, Antoni Tàpies, graffiti

Asocial, le graffiti ? Seulement en apparence, quand la société diverge par trop de l’espèce ; c’est alors que des individus, croyant ne se réclamer que d’eux-mêmes, manifestent au nom de l’espèce. Le mur, la table qui ont vécu, vieilli, appellent le grafiti. Le poseur de graffiti est rarement le premier, il suit, il imite, il répond, il répète, il décale, il ironise. À son insu, il entre par quelques signes dans un mode particulier de rapport entre l’espèce et le monde ; se croyant incompris, le poseur de graffiti signe son appartenance à l’espèce et à sa culture. Comme l’artiste, il s’écarte et révèle ce qu’on ne veut pas mais qui cependant est. Il catalyse.

Jean Frémon, Antoni Tàpies, graffiti

C’est cette écriture du désir, pur supplément de corps, qu’on trouve dans la peinture de Tàpies. Et toute une théorie de signes élémentaires, lettres, chiffres, accolades, parenthèses, guillemets, tirets, plus, moins, infini, égal, qui ne dénotent qu’eux-mêmes ; nul sous-entendu en aparté, nul dialogue, nulle démonstration, ils sont là comme les signes illisibles d’une activité intellectuelle insaisissable et sont séparés des mouvements profonds du corps lui-même.

 

 Jean Frémon, Antoni Tàpies, La substance et les accidents, éditions Unes, 1991, p. 39-40.