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07/08/2015

Eugenio Montale, Derniers poèmes - Ce qui en reste (s'il en reste)

eugenio montale, derniers poèmes, servante, idéogramme, souvenir

Ce qui en reste (s’il en reste)

 

la vieille servante illettrée

et barbue enterrée Dieu sait où

pouvait lire mon nom et le sien

comme des idéogrammes

peut-être ne pouvait-elle se reconnaître

pas même dans une glace

mais elle gardait l’œil sur moi

tout en ne sachant de la vie rien

elle en savait bien plus que nous

dans la vie ce que l’on gagne

d’un côté on le perd de l’autre

Dieu sait pourquoi je me la rappelle

plus que tout et que tous

si elle entrait maintenant dans ma chambre

elle aurait cent trente ans et je crierais d’effroi.

 

                                                                (20 mars 1976)

 

Eugenio Montale,  Derniers poèmes, Poésies VI, traduction de Patrice Dyerval Angelini, Gallimard, 1988, p. 103.

 

17/01/2012

Eugenio Montale, Derniers poèmes

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J'ai parsemé le balcon de miettes à becqueter

pour le concert, demain, à l'aube.

J'ai éteint la lumière, attendu le sommeil.

Et sur la passerelle déjà commence

le défilé des morts grands et petits

que j'ai connus vivants. Ardu le choix

de ceux que je voudrais ou non voir revenir

parmi nous. Là où ils sont

ils semblent inaltérables pat un surplus

de corruption sublimée. Nous avons

fait de notre mieux pour qu'empire le monde.

 

                                                                                         (11 avril 1975)

 

 

Ho sparso di becchime il davanzale

per il concerto di domani all'alba.

Ho spento il lume e ho atteso il sonno.

E sulla passerella già comincia

la sfilata dei morti grandi e piccoli

che ho conosciuto in vita. Arduo distinguere

tra chi vorrei o non vorrei che fosse

ritornato tra noi. Là dove stanno

sembrano inalterabili per un di più

di sublimata corruzione. Abbiamo

fatto del nostro meglio per peggiorare il mondo.

 

Eugenio Montale, Derniers poèmes, Poésie VI, édition bilingue, choix, traduction et notes de Patrice Dyerval Angelini, Gallimard, "Du monde entier", 1988, p. 65 et 64.

22/10/2011

Max Jacob, Ballades, Derniers poèmes

Max Jacob, Ballades, Derniers poèmes, ruine, nocturne

                     Ruine 

Trois morceaux de tarte sur un coin de commode et sur une assiette. À cela, on voit que cette boutique fut une pâtisserie. Il paraît qu’il y eut là une boutique. Combien de fois les cloisons de plâtre furent avancées ! Il ne reste plus que la place d’un lit et ce lit même. Trois poils de barbe sur un coin de visage ! Trois coins d’un miroir brisé ! Il s’examine, c’est le fils de la maison : il n’y a plus de maison ! Un veston neuf ajusté à la taille. Un chapeau de paille sur le coin d’une oreille. Trois vieux faux-cols désempesés ont servi de serviette à sa toilette. On sort ? Il regarde... Personne ! le désert avant d’arriver à la plage déserte.

Derniers poèmes en vers et en prose [1961], Poésie/Gallimard, 1982, p. 112.

 

 

Nocturne

Sifflet humide des crapauds

bruit des barques la nuit, des rames...

bruit d’un serpent dans les roseaux,

d’un rire étouffé par les mains,

bruit d’un corps lourd qui tombe à l’eau

bruit des pas discrets de la foule,

sous les arbres un bruit de sanglots,

le bruit au loin des saltimbanques.

Max Jacob, Les Pénitents en maillots roses (1925), dans Ballades, Gallimard, 1970, p. 217.