18/03/2015
Georges Didi-Huberman, Écorces
J’ai levé les yeux vers le ciel. En cet après-midi de juin où l’azur était plombé, couleur de cendre, j’ai senti la lumière implacable comme on reçoit un coup. La ramure des bouleaux au-dessus de ma tête. J’ai fait une ou deux photographies à l’aveugle, sans trop savoir pourquoi — je n’avais, à ce moment, aucun projet de travail, d’argument, de récit —, mais je vois bien aujourd’hui que ces images adressent vers les arbres du Birkenwald une question muette. Une question posée aux bouleaux eux-mêmes, les seuls survivants si l’on y pense, qui continuent de croître ici. Je constate, en comparant mon image avec celle du photographe clandestin de Birkenau, que les troncs des bouleaux sont désormais bien plus épais, bien plus solides qu’ils ne l’étaient en juin 1944.
La mémoire ne sollicite pas seulement notre capacité à fournir des souvenirs circonstanciés. Les témoins majeurs de cette historie — David Szmulewski, Zalmen Gradowski, Lejb Langfus, Zalmen Lewental, Yakov Gabbay ou Filip Müller — nous ont transmis autant d’affects que de représentations, autant d’impressions fugaces, irréfléchies, que de faits déclarés. C’est en cela que leur style nous importe, en cela que leur langue nous bouleverse. Comme nous importent et nous bouleversent les choix d’urgence adoptés par le photographe clandestin de Birkenau pour donner une consistance visuelle — où le non reconnaissable le dispute au reconnaissable , comme l’ombre le dispute à la lumière —, pour donner une forme à son témoignage désespéré.
Georges Didi-Huberman, Écorces, éditions de Minuit, 2011, p. 51-52. Photo Georges-Didi-Huverman
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09/07/2014
Alain Veinstein, Scène tournante
À haute voix mon nom
impossible de le prononcer
Je me cache pour ne pas me faire prendre
J'ai l'impression que ses lettres vont être écartées
afin que son secret en soit extirpé
et jeté en pâture aux chiens,
sans aucune pitié.
Quelques lettres ici, tournent à la haine.
Chaque fois, aujourd'hui,
que je décline mon identité,
j'entends et aboiements
et voient des projecteurs lancer leurs poursuites
du haut de formes indistinctes
que je prends pour des miradors.
Alain Veinstein, Scène tournante, "Fictions & Cie",
Seuil, 2012, p. 39.
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