01/12/2023
Louis Aragon, Le Roman inachevé
Les mots qui ne sont pas d’amour
Il est inutile de geindre
Si l’on acquiert comme il convient
Le sentiment de n(‘être rien
Mais j’ai mis longtemps pour l’atteindre
On se refuse longuement
De n’être rien pour qui l’on aime
Pour autrui rien rien par soi-même
Ça vous prend on ne sait comment
On se met à mieux voir le monde
Et peu à peu ça monte en vous
Il fallait bien qu’on se l’avoue
Ne serait-ce qu’une seconde
Une seconde et pour la vie
Pour tout le temps qui vous demeure
Plus n’importe qu’on vive ou meure
Si vivre et mourir n’ont servi
Soudain la vapeur se renverse
Toi qui croyais faire la loi
Tout existe et bouge sans toi
Tes beaux nuages se dispersent
Louis Aragon, Le Roman inachevé, dans
Œuvres poétiques complètes, II, édition dirigée par
Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 181-182.
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30/11/2023
Louis Aragon, En étrange pays dans mon pays lui-même
Marguerite
Ici repose un cœur en tout pareil au temps
Qui meurt à chaque instant de l’instant qui commence
Et qui se consumant de sa propre romance
Ne se tait que pour mieux entendre qu’il attend
Rien n’a pu l’apaiser jamais ce cœur battant
Qui n’a connu du ciel qu’une longue apparence
Et qui n’aura vécu sur la terre de France
Que juste assez pour croire au retour du printemps
Avait-elle épuisé l’eau pure des souffrances
Sommeil ou retrouvé des rêves de vingt ans
Qu’elle s’est endormie avec indifférence
Qu’elle ne m’attend plus et non plus ne m’entend
Lui murmurer les mots secrets de l’espérance
Ici repose enfin celle que j’aimais tant
Aragon, En étrange pays dans mon pays lui-même, dans
Œuvres poétiques complètes, I, édition dirigée par
Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 891.
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29/11/2023
Louis Aragon, La Grande Gaîté
Art poétique
On me demande avec insistance
Pourquoi de temps en temps je vais à
La ligne
C’est pour une raison
Véritablement indigne
D’être cou
Chée par écrit
Aragon, La Grande Gaîté, dans
Œuvres poétiques complètes, I, édition
dirigée par Olivier Barbarant,
Pléiade/Gallimard, 2007, p. 406.
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28/11/2023
Louis Aragon, Le Paysan de Paris
Je ne veux plus me retenir des erreurs de mes doigts, des erreurs de mes yeux. Je sais maintenant qu’elles ne sont pas que des pièges grossiers, mais de curieux chemins vers un but que rien ne peut me révéler qu’elles. À toute erreur des sens correspondent d’étranges fleurs de la raison. Admirables jardins des croyances absurdes, des pressentiments, des obsessions et des délires. Là prennent figure des dieux inconnus et changeants. Je contemplerai ces visages de plomb, ces chènevis de l’imagination. Dans ces châteaux de sable, que vous êtes belles, colonnes de fumées ! Des mythes nouveaux naissent sous chacun de nos pas. Là où l’homme a vécu commence la légende, là où il vit.
Aragon, Le Paysan de Paris, dans Œuvres poétiques complètes, I, édition dirigée par Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 149.
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27/11/2023
Louis Aragon, Les Destinées de la poésie
Le dernier des madrigaux
Permettez Madame
C’est grand liberté
Que je le proclame
Vous atteignez à la beauté
Ce n’est pas peu dire
Ce n’est pas pour rire
C’est même exactement
Pour pleurer
Votre manière agaçante
De manier l’éventail
Vos airs de reine ou de servante
Vos dents d’émail
Vos silences pleins d’aveux
Vos jolis petits cheveux
Ce sont des raisons excellentes
Pour pleurer
Aragon, Les Destinées de la poésie, dans
Œuvres poétiques complètes, I, éditions dirigée
par Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard,
2007, p. 120-121.
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05/07/2022
Louis Aragon, Blanche ou l'oubli
Le bruit court qu’on nous ménage une surprise littéraire...murmurait vers cette époque-là, et ma parole : avec courtoisie (je n’y puis rien, c’est le texte), le bibliothécaire quaker d’Ulysses, vous savez Ulysses ? Joyce, oui. La mode n’en vint qu’un peu plus tard, de Joyce, j’entends. En 1922, tout le monde ne lisait pas ce Fantômas-là en feuilleton dans Little Review, à Paris. Et, bordel or not bordel, personne ne vous demandait sue un ton un peu méprisant des jeunes filles qui ont eu des relations : alors vous n’êtes même pas judoka ? Non. Il y avait un restaurant rue des Moulins : il me fallait économiser un mois pour y offrir à la personne concernée, avec collier de perles ou pas, des rognons au madère, sans la moindre allusion de ma part.
Louis Aragon, Blanche ou l’oubli, dans Œuvres romanesques complètes, V, Pléiade/Gallimard, 2012, p. 435.
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22/11/2021
Aragon, Les Poètes
Le discours à la première personne
3
J’entends j’entends le monde est là
Il passe des gens sur la route
Plus que mon cœur je les écoute
Le monde est mal fait mon cœur las
Faute de vaillance ou d’audace
Tout va son train rien n’a changé
On s’arrange avec le danger
L’âge vient sans que rien se passe
Au printemps de quoi rêvais-tu
On prend la main de qui l’on croise
Ah mettez les mots sur l’ardoise
Compte qui peut le temps perdu
Tous ces visages ces visages
J’en ai tant vu des malheureux
Et qu’est-ce que j’ai fait pour eux
Sinon gaspiller mon courage
Sinon chanter chanter chanter
Pour que l’ombre se fasse humaine
Comme un dimanche à la semaine
Et l’espoir à la vérité
J’en ai tant vu qui s’en allèrent
Ils ne demandaient que du feu
Ils se contentaient de si peu
Et avaient si peu de colère
J’entends leurs pas j’entends leurs voix
Qui disent des choses banales
Comme on en lit sur le journal
Comme on en dit le soit chez soi
[...]
Aragon, Lex Poètes, dans Œuvres poétiques
complètes, II, Pléiade/Gallimard, 2017, p. 451-452.
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21/11/2021
Aragon, Les Chambres
VI
Toutes les chambres de ma vie
M’auront étranglé de leurs murs
Ici les murmures s’étouffent
Les cris se cassent
Celles où j’ai vécu seul
À grands pas vides
Celles
Qui gardaient leurs spectres anciens
Les chambres d’indifférence
Les chambres de la fièvre et celle que
Que j’avais installée afin d’y froidement mourir
Le plaisir loué Les nuits étrangères
Il y a des chambres plus belles que blessures
Il y a des chambres qui vous paraîtront banales
Il y a des chambres de supplications
Des chambres de lumière basse des
Chambres prêtes à tout sauf au bonheur
Il y a des chambres à jamais pour moi de mon sang
Éclaboussées
Toutes les chambres un jour vient que l'homme s'y
Écorche vif
Qu'il y tombe à genoux qu'il demande pitié
Qu'il balbutie et se renverse comme un verre
Et subit le supplice épouvantable du temps
Derviche lent le temps est rond qui tourne sur lui-même
Qui regarde d'un œil circuklaire
L'écartèlement de son destin
Et le petit bruit d'angoisse avant les
Heures les demies
Je ne sais jamais si cela va sonner ma mort
Toutes les chambres sont chambres de justice
Ici je connais ma mesure et le miroir
Ne me pardonne pas
Toutes les chambres quand enfin je m'endormis
Ont été sur moi la punition des rêves
Car je ne sais des deux le pis rêver ou vivre
Aragon, Les Chambres, dans Œuvres poétiques complètes, II, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 1113-1114.
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20/11/2021
Aragon, La Grande Gaîté
Fillette
Je voudrais lécher son masque ô masque
Saphir blanc
Tes cheveux carrés
Fourrure
Ô sacré nom de dieu de rouge aux lèvres
Murmure
Esquisse enfant bleu pâle
Je voudrais
Léchere
Ton casque
Ô tutu
Aragon, La Grande Gaîté, dans Œuvres poétiques
complètes, I, Pléiade/Gallimard, 2017, p. 413.
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19/11/2021
Aragon, Persécuté persécuteur
Front rouge
Une douceur pour mon chien
Un doigt de champagne Bien Madame
Nous sommes chez Maxim’s l’an mil
neuf cent trente
On met des tapis sous les bouteilles
pour que leur cul d’aristocrate
ne se heurte pas aux difficultés de la vie
des tapis pour cacher la terre
des tapis pour éteindre
le bruit de la semelle des chaussures des garçons
Les boissons se prennent avec des pailles
Délicatesse
Il y a les fume-cigarette entre la cigarette et l’homme
des silencieux aux voitures
des escaliers de service pour ceux
qui portent les paquets
et du papier de soie autour des paquets
et du papier autour du papier de soie
du papier tant qu’on veut Cela ne coûte
rien le papier ni le papier de soie ni les pailles
ni le champagne ou si peu
ni le cendrier réclame ni le buvard
réclame ni le calendrier
réclame ni les lumières
réclame ni les images sur les murs
réclame ni les fourrures sur Madame
réclame réclame les cure-dents
réclame l’éventail et réclame le vent
rien ne coûte rien et pour rien
des serviteurs vivants tendent dans la rue des prospectus
(...)
Aragon, Persécuté persécuteur, dans Œuvres poétiques complètes, I, Pléiade/Gallimard, 2017, p. 493-494.
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18/11/2021
Aragon, Le paysan de Paris
Le sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont
Par ces temps magnifiques et sordides, préférant presque toujours ses préoccupations aux occupations de mon cœur, je vivais au hasard, à la poursuite du hasard, qui seul parmi les divinités avait su garder son prestige. Personne n’en avait instruit le procès, et quelques-uns lui restituaient un grand charme absurde, lui confiant jusqu’au soin des décisions infimes. Je m’abandonnais donc. Les jours coulaient à cette sorte de baccara tournant. Une idée de moi-même était tout ce que j’avais en tête. Une idée qui naissait doucement, qui écartait doucement les ramures. Un mot oublié, un air. On le sent lié à tout soi-même, et comme une forme qui en recherche une autre avec sa lanterne au milieu de la nuit, la voyez-vous qui va et vient, ou prend le moindre pli de terrain pour un homme, l’arbuste ou quelque ver luisant. Dans ce calme et cette inquiétude alternés qui formaient alors tout mon ciel, je pensais comme d’autres du sommeil, que les religions sont des crises de la personnalité, les mythes des rêves véritables. J’avais lu dans un gros livre allemand l’histoire de ces songeries, de ces séduisantes erreurs.
Aragon, Le paysan de Paris, dans Œuvres poétiques complètes, I, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 226.
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11/12/2019
Aragon, Elsa
Je n’ai plus l’âge de dormir
J’écris des rimes d’insomnie
Qui ne dort pas la nuit s’y mire
Signe couché de l’infini
Qui ne dort pas veiller lui dure
Des semaines et des années
Sa bouche n’est qu’un long murmure
Dans la chambre des condamnés
Je suis seul avec l’existence
Bien que tu sois à mon côté
Comme un dernier vers à la stance
Jusqu’au bout qu’on n’a point chanté
Ce qui m’étreint et qui me ronge
Soudain contre toi m’a roulé
Je retiens mon souffle et mes songes
Je crains d’avoir soudain parlé
Je crains de t’arracher à l’ombre
Et de te rendre imprudemment
À la triste lumière sombre
Qui ne t’épargne qu’en dormant
(...)
Aragon, Elsa, dans Œuvres poétiques
Complètes, II, Pléiade/Gallimard,
1959, p. 329-330.
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30/05/2019
Louis Aragon, Le Mouvement perpétuel
La route de la révolte
Ni les couteaux ni la salière
Ni les couchants ni le matin
Ni la famille familière
Ni j’accepte soldat ni Dieu
Ni le soleil attendre ou vivre
Les larmes danseuses du rire
N-I ni tout est fini
Mais Si qui ressemble au désir
Son frère le regard le vin
Mais le cristal des roches d’aube
Mais MOI le ciel le diamant
Mais le baiser la nuit où sombre
Mais sous ses robes de scrupule
M-É mé tout est aimé
Aragon, Le Mouvement perpétuel, dans
Œuvres poétiques complètes, I, Pléiade /
Gallimard, 2007, p. 116.
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21/12/2018
Aragon, la Grande Gaîté
Partie fine
Dans le coin où bouffent les évêques
Les notaires les maréchaux
On a écrit en lettres rouges
DEGUSTATION D’HUÎTRES
Est-ce une allusion
On me fait remarquer que c’est pitoyable
Ce genre de plaisanterie
Et puis c’est mal foutu paraît-il
En temps que Poème
Car pour ce qui touche à la Poésie
On sait à quoi s’en tenir
Moi je n’ai pas fini de prendre en mauvaise part
Tout ce qui touche à la flicaille à la militairerie
Et plus particulièrement croa-croa aux curetages
Je n’ai pas assez le goût des alexandrins
Pour me le faire par-donner pan pan pan pan
Mais ici même si on ne sait d’où elle tombe
D’où tombe-t-elle d’ailleurs D’ailleurs
Il me plaît d’opposer à la clique des têtes à claques
Une femme très belle toute nue
Toute nue à ce point que je n’en crois pas mes yeux
Bien que ce soit peut-être la millième fois
Que ce prodige s’offre à ma vue
Ma vue est à ses pieds
Son très humble serviteur
Aragon, La Grande Gaîté, dans Œuvres poétiques complètes,
I, édition Olivier Barbarant, Pléiade / Gallimard,
2007, p. 411-412.
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15/09/2017
Aragon, Le paysan de Paris (1926)
Le songe du paysan
Il y a dans le monde un désordre impensable, et l’extraordinaire est qu’à l’ordinaire les hommes aient recherché sous l’apparence du désordre, un ordre mystérieux, qui leur est si naturel, qui n’exprime qu’un désir qui est en eux, un ordre qu’ils n’ont pas plutôt introduit dans les choses qu’on les voit s’émerveiller de cet ordre, et impliquer cet ordre à une idée, et expliquer cet ordre par une idée. C’est ainsi que tout leur est providence, et qu’ils rendent compte d’un phénomène qui n’est témoin que de leur réalité, qui est le rapport qu’ils établissent entre eux et par exemple la germination du peuplier, par une hypothèse qui les satisfasse, puis admirent un principe divin qui donna la légèreté du coton à une semence qu’il fallait à d’innombrables fins propager par la voie de l’air en quantité suffisante.
Aragon, Le paysan de Paris (1926), dans Œuvres poétiques complètes, I, Pléiade / Gallimard, 2007, p. 484.
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