24/07/2025
Antoine Emaz, Cuisine
Photo T. H., 2007
La « poésie » va prendre en charge ce que le récit classique ne peut porter, peut-être parce qu'il ne s'agit pas de fiction. Quelques chose l, comme si travailler dans le vrai interdisait le récir, parce qu'un poète n'est pas un autobiographe narcissique ou exhibitionniste et qu'il sait que la poésie est et n'est pas un confessionnal. Donc on va avec le récit, on le détourne, on le déboîte, le défait, on le déstructure, le pousse aux limites... plus rien n'est reconnaissable mais tout est dit. Ce cœur noir moteur, c'est lui qui pulse. En poésie, quand on sait lire, l'urgence est palpable, la nécessité de dire évidente. Cela peut être plus ou moins masqué par le dispositif d'écriture qui est à la fois un mode d'exposition et un mode de défense, mais c'est bien un cœur ouvert, au bout. L'enfant qui pleure de Reverdy.
En poésie, ce qui est dit est l'affleurement lisible de ce qui est tu : la vague / les profondeurs de la mer.
Dans tout ce que je note au jour le jour, cette piétaille de lignes, je ne vois pas bien en quoi je suis poète. Je note seulement ce que d'ordinaire on ne retient pas, espérant que tel ou tel détail sera révélateur, qu'il portera un peu plus que seulement lui-même.
Antoine Emaz, Cuisine, publie.net, p. 31, 35, 50.
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23/07/2025
Antoine Emaz, De peu
Photo T. H., 2012
Bleu très bleu
dans le ciel sans fin d'œil
toute histoire engouffrée
rien
quasi lisse vaste couleur quelle
espèce de bleu
sans honte
tant il est sans mémoire
* * *
ciel plein ciel
sans anges
on rêve leurs battements d'ailes
leurs bruits de mouettes folles
d'envol
alors qu'on veut seulement des mots
pour ici
sous l'aplat de l'été
* * *
comme vivant sans mort
face levée face
au vide du bleu
distendu
couleur d'air
jusqu'à la nuit qui croûte
* * *
soleil fixe
dehors s'efface on s'efface
rien que de la lumière
et plus personne
pour voir
limite basse d'être là
l'été mure
* * *
tristesse sans cause
venue comme du bleu du mot trop court
pour trop de ciel
pas sûr que ce soit si simple
cela n'explique pas
cet abattis de fatigue
pas seulement le bleu
ce qui a lieu dessous
aussi
Antoine Emaz, "Bleu très bleu"
dans De Peu, Tarabuste, 2014, p. 269-270.
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22/07/2025
Antoine Emaz, Peau
Vert, I (31.09.05)
on marche dans le jardin
il y a peu à dire
seulement voir la lumière
sur la haie de fusains
un reste de pluie brille
sur les feuilles de lierre
rien ne bouge
sauf le corps tout entier
une odeur d'eau
la terre acide
les feuilles les aiguilles de pin
silence
sauf les oiseaux
marche lente
le corps se remplit du jardin
sans pensée ni mémoire
accord tacite
avec un bout de terre
rien de plus
ça ne dure pas
cette sorte de temps
on est rejoint
par l'emploi de l'heure
l'à faire
le corps se replie
simple support de tête
à nouveau les mots
l'utile
on rentre
on écrit
ce qui s'est passé
il ne s'est rien passé
Antoine Emaz, Peau,
éditions Tarabuste, 2008, p. 25-28.
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21/07/2025
Antoine Emaz, Peau
Photo T. H., 2007
Seul, 6 (18. 11. 06)
Il n'y a pas de bout de la nuit
seulement une maison vide
et silencieuse de tous ses murs
on est dedans
pas en prison
mais dedans
et la nuit comme aveugle
tourne en rond
les mots piochent piquent
des étoiles
on dira ça comme ça
des lumières fermées
tension
ce silence qui vient de biais si l'on n'agit pas c'est lui qui va emporter la mise la main les mots dans l'ardoise et plus rien
pas facile d'aller contre l'aigu du silence dans la maison vide il siffle comme chez lui il sape il pèse ensuite habitué qu'il est du lieu
une lame de nuit
tension sans l'avoir vue venir — vite glisser — tension — nerfs cordes mais quelle musique grommellement de mots pour rien ce bruit de chien grondant comme pour intimider le silence dessous qui passe
continuer à parler — rester dans le blanc de la lampe plutôt que la nuit qui tait la maison tait tout
un bruit d'eau presque rassure dans la gouttière
on tient à peu
[...]
Antoine Emaz, Peau, Tarabuste, 2008, p. 113-114.
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03/07/2023
Antoine Emaz, Erre
délesté
on descend pourtant
c’est bizarre
mais pas en rêve
on a fait ce qu’il fallait
pour rester en surface
prendre part au bruit produire
les paroles et le reste les paroles
tout le nécessaire du jour
on s’en va maintenant comme si
on n’avait plus que son poids de corps
il glisse dans le soir s’enfonce
dans l’ombre de plus en plus sombre
des arbres et du jardin
jusqu’au ciel
on respire
Antoine Emaz, Erre, Tarabuste,
2023, p. 44.
Photo T. H., 2007.
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02/07/2023
Antoine Emaz, Erre
11.09.18
le bilan court d’un jour le soir
ou plus long d’une vie les nuits
c’est assez vain
souvent on avance par une odeur de fleurs
ou de cheveux un sourire un ciel
le bruit d’un arbre une gelée de mûres
le bois d’une table une lettre
un livre du pain frais
tout un courant de détails qui portent
vers plus loin
ou bloquent là où
le savoir des mots l’âge du capitaine
sa prestance à la barre
n’importent pas
Antoine Emaz, Erre, Tarabuste, 2023, p. 133.
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01/07/2023
Antoine Emaz, Erre
29.08.18
le temps va le corps
suit son cours peine un peu à poursuivre
mais c’est le même refus posé
on reprend seulement une poignée de sable
dans les mots
toujours rien à céder
sur ce terrain d’être vieux
pour la misère ou pour le désir
au bout peut-être on n’aura pas bougé grand-chose
plutôt la vie s’est chargée de changer
la lumière et les angles les êtres les lieux un peu
sans bruit on rassemble
un peu de joie sèche
pour aller à demain
qui demande autre chose
Antoine Emaz, Errz, Tarabuste, 2023, p. 111.
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04/02/2023
Antoine Emaz, Erre
9.08.18
on n’a pas trop prise
sur ce qui vient les mots
prennent au passage
ou parfois rien
et ce n’est pas plus important
qu’une ligne de plus ou de moins
dans une dictée d’enfance
cela peut-être qui remonte
dans la nuit ou le vieux rose
d’une branche de tamaris en fleurs
ce qui ne tient à rien
dans la mélasse du temps un balancement
d’acacia ou de pin
le bleu passé au gris d’une lavande
quelque chose en tout cas
de presque silencieux
et doux
« regret souriant » ou deuil calme
d’un passé sans heurt
juste passé
poussière en suspension dans la lumière
pas plus
Antoine Emaz, Erre, Tarabuste,
2023, p. 89.
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03/02/2023
Antoine Emaz, Calme
au fond
c’est plus simple qu’en surface
il ne reste presque
que du silence
on a tout l’espace
pour laisser filer
quelques étoiles pâles
fixer deux ou trois mots qui luisent
balises qui tremblent
lampes tempête
et tout le sombre n’est plus vide
plutôt nuit plaid
châle bleu noir
autour sans angles
quand tout se tait
sauf la vie son bruit faible
d’eau qui court
ou de cœur
le poème ne voudrait pas dire autre chose
Antoine Emaz, Calme, Faï fioc, 2016, np
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02/02/2023
Antoine Emaz, Plaie
laisser aller la tête dans le jardin
ce matin
il y a l’air libre et bleu
il y a l’envie
de laisser filer
dans les couleurs du jardin
se perdre
s’évacuer
se dissoudre
comme se laver
dans le vert
on y arrivera
on le sait maintenant
on y arrivera
quoi qu’il arrive
on a repris pied assez
même si
on n’est pas à l’abri
Antoine Emaz, Plaie, Tarabuste,
2009, p. 138.
Photo T. Hordé
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01/02/2023
Antoine Emaz, De peu
Bleu très bleu
dans le ciel sans fin d’œil
toute histoire engouffrée
rien
quasi lisse vaste couleur quelle
espèce de bleu
sans honte
tant il est sans mémoire
*
ciel plein ciel
sans anges
on rêve leurs battements d ‘ailes
leurs bruits de mouettes folles
d’envol
alors qu’on veut seulement des mots
pour ici
sous l’aplat de l’été
Antoine Emaz, De peu, Tarabuste,
2014, p. 269.
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31/01/2023
Antoine Emaz, De l'air
dans la lumière brute
et le jaune des jonquilles
on est où ?
ricochets des mots
sur l’eau de tête
le temps
la masse tranquille d’un dimanche
océan c’est trop dire
plutôt mare étang borné
par la fin de semaine
étier
on ferait mieux
de s’atteler
à la semaine qui vient
Antoine Emaz, De l’air, Le dé bleu,
2006, p. 62.
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07/11/2021
Antoine Emaz, Jours
2. 03. 08
la peur
la mémoire noire
on ne la rappelle paa
elle vient
quand elle veut
ou peut-être un signal
d’un ultra son de vivre
elle remonte
on lui fait sa place
sans parler
on attend qu’elle reparte
par le premier train de nuit
*
le plus souvent
quand on l’entend venir
on commence par prendre un verre
et s’occuper de tout et rien
histoire
d’espérer qu’elle passera
à quelques pas
sans voir
ou la sale bête
taupe
parfois ça marche
on ne la revoit plus
elle ne faisait que passer
elle a jeté son froid
rappelé assez que l’on était
poreux
Antoine Emaz, Jours / Tage,
Éditions en forêt / Verlag im Wald,
2009, p. 109 et 111.
Photo T. H., 2007
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06/11/2021
Antoine Emaz, Jours
24.03.07
et quoi vient
dans la nuit blanche du corps
quel rat grignote
entre douleur et malaise
comme si
importait
ce tas d’atomes
de fait oui
il crisse
et on supporte mal
*
douleur seule
« capitale »
c’est beaucoup dire
on n’a pas vraiment de mots
sur ce qui fait mal
à qui le dire ou quoi
ça soignerait
on attend que le grain de sable
le papier de verre qui raie
dans l’épaule et la tête
s’en aille
le reste flotte
comme d’habitude
(...)
Antoine Emaz, Jours / Tage,
Éditions En Forêt / Verlag im Wald,
2009, p. 23 et 25.
Photo T.H., 2007
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05/11/2021
Antoine Emaz, Soirs
30.01.98
accorder la langue
sur peu de choses
là ce soir
seul
avec
le jour en vrac
tout est passé
*
restent l’herbe
quelques feuilles tordues sèches
le froid clair encore le mur
entre l’herbe et le mur
la lumière glace
à chaque fois renvoie
une paroi de froid
à la fin le crépi
craque gris
dans le soleil qui baisse
voilà
Antoine Emaz, Soirs,
Tarabuste, 1999, p. 74-75.
Photo T. H., 2007
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