28/08/2015
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Petit mort pour rire
Va vite, léger peigneur de comètes !
Les herbes au vent seront tes cheveux ;
De ton œil béant jaillirent les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes...
Les fleurs de tombeau qu’on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux...
Et les myosotis, ces fleurs d’oubliettes...
Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
Pour les croque-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux...
Ils te croient mort—Les bourgeois sont bêtes —
Va vite, léger peigneur de comètes !
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
dans Œuvres complètes, édition établie
par Pierre-Olivier Walzer, Pléiade /
Gallimard, 1970, p. 851.
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17/05/2015
Tristan Corbière, Las Amours jaunes
À un Juvénal de lait
Incipit, parve puer, risu cognoscere
À grands coups d’aviron de douze pieds, tu rames
En vers... et contre tous — Hommes, auvergnats, femmes. —
Tu n‘as pas vu l’endroit et tu cherches l’envers.
Jeune renard en chasse... Ils sont trop verts — tes vers.
C’est le vers solitaire. — On le purge. — Ces Dames
Sont le remède. Après tu feras de tes nerfs
Des cordes-à-boyaux ; quand, guitares sans âmes,
Les vers te reviendraient, déchantés et soufferts.
Hystérique à rebours, ta Muse est trop superbe,
Petit cochon de lait, qui n’as goûté qu’en herbe,
L’âcre saveur du fruit encore défendu.
Plus tard, tu colleras sur papier tes pensées,
Fleurs d’herboriste, mais, autrefois ramassées,
Quand il faisait beau temps au paradis perdu.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,
T. C., Œuvres complètes, édition établie par Louis Forestier
et Pierre-Olivier Walser, Pléiade / Gallimard, 1970,
p. 764-765.
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19/02/2015
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Paysage mauvais
Sable de vieux os — le flot râle
Des glas : crevant bruit sur bruit
— Palud pâle, où la lune avale
De gros vers pour passer la nuit.
— Calme de peste, où la fièvre
Cuit... Le follet damné languit
— Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit...
— La lavandière blanche étale
Des trépassés le linge sale,
Au soleil des loups... — Les crapauds
Petits chantres mélancoliques
Empoisonnent de leurs coliques,
Les champignons, leurs escabeaux.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans
Charles Cros, T. C., Œuvres complètes, édition
Louis Forestier et Pierre-Olivier Walzer,
Pléiade / Gallimard, 1970, p. 794.
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14/07/2014
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
À l'Etna
Etna — j'ai monté le Vésuve...
Le Vésuve a beaucoup baissé :
J'étais plus chaud que son effluve,
Plus que sa crête hérissé...
— Toi que l'on compare à la femme...
— Pourquoi ? — Pour ton âge ? ou ton âme
De caillou cuit ?... — Ça fait rêver...
— Et tu t'en fais rire à crever !
— Tu ris jaune et tousses : sans doute,
Crachant un vieil amour malsain ;
La lave coule sous la croûte
De ton vieux cancer au sein.
— Couchons ensemble, Camarade !
Là — mon flanc sur ton flanc malade :
Nous sommes frères, par Vénus,
Volcan !...
Un peu moins... un peu plus...
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, édition établie
par Pierre-Olivier Walzer, dans Charles Cros,
Tristan Corbière, Œuvres complètes, Pléiade,
Gallimard, 1970, p. 784-785.
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29/12/2013
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
I Sonnet avec la manière de s’en servir
Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton,
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.
Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,
— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.
— Télégramme sacré — 20 mots. — Vite à mon aide…
(Sonnet — c’est un sonnet —) ô Muse d’Archimède !
— La preuve d’un sonnet est par l’addition :
— Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède
En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô… » — Sonnet — Attention !
Pic de la Maladetta — Août.
Le crapaud
Un chant dans une nuit sans air…
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
… Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif…
— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…
— Un crapaud ! Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… — Horreur !
… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.
Ce soir, 20 juillet.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, édition établie (pour Tristan Corbière) par Pierre-Olivier Walzer, avec la collaboration de Francis F. Burch pour la correspondance, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1970, p. 718 et 735.
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11/05/2013
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
1 sonnet
avec la manière de s'en servir
Réglons notre papier et formons bien nos lettres :
Vers filés à la main et d'un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu'en marquant la césure, un des quatre s'endorme...
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.
Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,
— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.
— Télégramme sacré — 20 mots — Vite à mon aide...
(Sonnet — c'est un sonnet —) ô muse d'Archimède !
— La preuve d'un sonnet est par l'addition :
— Je pose 4 et 4 — 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô...» — Sonnet — Attention !
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, édition établie par Pierre-Olivier Walzer pour T. C., Bibliothèque de la Pléiade, 1970, p. 718.
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01/02/2013
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Sonnet posthume
Dors : ce lit est le tien... Tu n'iras plus au nôtre.
— Qui dort dîne. À tes dents viendra tout seul le foin.
Dors : on t'aimera bien. — L'aimé, c'est toujours l'Autre...
Rêve : la plus aimée est toujours la plus loin...
Dors : on t'appellera beau décrocheur d'étoiles !
Chevaucheur de rayons !... quand il fera bien noir ;
Et l'ange du plafond, maigre araignée, au soir,
— Espoir — sur ton front vide ira filer ses toiles.
Museleur de voilette ! un baiser sous le voile
T'attend... on ne sait où : ferme les yeux pour voir.
Ris : Les premiers honneurs t'attendent sous le poêle.
On cassera ton nez d'un bon coup d'encensoir,
Doux fumet !... pour la trogne en fleur, pleine de moelle
D'un sacristain très bien, avec son éteignoir.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,
Tristan Corbière, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, 1970, p. 849.
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15/09/2012
Tristan Corbière, Les amours jaunes
À la douce amie
Ça : badinons — J'ai ma cravache —
Prends ce mors, bijou d'acier gris ;
— Tiens, ta dent joueuse le mâche...
En serrant un peu : tu souris...
— Han !... C'est pour te faire la bouche...
— V'lan !... C'est pour chasser une mouche...
Veux-tu sentir te chatouiller
L'éperon, honneur de ma botte ?
— Et la folle-du-logis trotte...
Jouons à l'Amour-cavalier !...
Porte-beau ta tête altière,
Laisse mes doigts dans ta crnière...
J'aime voir ton beau col ployer !...
Demain : je te donne un collier.
— Pourquoi regarder en arrière ?
Ce n'est rien : c'est une étrivière...
Une étrivière ... et — je te tiens !
.....................................................
Et tu m'as aimé... — rosse, tiens !
Tristan Corbière, Les amours jaunes, dans Charles Cros
Tristan Corbière, Œuvres complètes, Bibliothèque de
la Pléiade, Gallimard, 1970, p. 763.
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02/06/2012
Tristan Corbière, Paris nocturne
Paris nocturne
— C'est la mer : — calme plat — et la grande marée,
Avec un grondement lointaine, s'est retirée.
Le flot va revenir, se roulant dans son bruit —
— Entendez-vous gratter les crabes de la nuit...
— C'est le Styx asséché : Le chiffonnier Diogène,
Sa lanterne à la main, s'en vient errer sans gêne.
Le long du ruisseau noir, les poètes pervers
Pêchent ; leur crâne creux leur sert de boîte à vers.
— C'est le champ : Pour glaner les impures charpies
S'abat le vol tournant des hideuses harpies.
Le lapin de gouttière, à l'affut des rongeurs,
Fuit les fils de Bondy, nocturnes vendangeurs.
— C'est la mort : La police gît — En haut, l'amour
Fait la sieste en tétant la viande d'un bras lourd,
Où le baiser éteint laisse sa plaque rouge...
L'heure est seule — Écoutez : ... pas un rêve ne bouge.
— C'est la vie : Écoutez : la source vive chante
L'éternelle chanson, sur la tête gluante
D'un dieu marin tirant ses membres nus et verts
Sur le lit de la morgue... Et les yeux grand'ouverts !
Tristan Corbière, Poèmes retrouvés, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes ; Tristan Corbière, édition établie par Pierre-Olivier Walzer, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1979, p. 888.
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