05/04/2021
Tristan Corbière, Less Amours jaunes
I Sonnet avec la manière de s’en servir
Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton,
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.
Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,
— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.
— Télégramme sacré — 20 mots. — Vite à mon aide…
(Sonnet — c’est un sonnet —) ô Muse d’Archimède !
— La preuve d’un sonnet est par l’addition :
— Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède
En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô… » — Sonnet — Attention !
Pic de la Maladetta — Août.
Le crapaud
Un chant dans une nuit sans air…
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
… Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif…
— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…
— Un crapaud ! Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… — Horreur !
… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.
Ce soir, 20 juillet.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, édition établie (pour Tristan Corbière) par Pierre-Olivier Walzer, avec la collaboration de Francis F. Burch pour la correspondance, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1970, p. 718 et 735.
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28/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
À UNE ROSE
Rose, rose-d’amour vannée,
Jamais fanée,
Le rouge-fin est ta couleur,
Ô fausse-fleur !
Feuille où pondent les journalistes
Un fait-divers,
Papier-Joseph, croquis d’artistes :
— Chiffres ou vers —
Cœur de parfum, montant arôme
Qui nous embaume…
Et ferait même avec succès,
Après décès ;
Grise l’amour de ton haleine,
Vapeur malsaine,
Vent de pastille-du-sérail,
Hanté par l’ail !
Ton épingle, épine-postiche,
Chaque nuit fiche
Le hanneton-d’or, ton amant…
Sensitive ouverte, arrosée
De fausses-perles de rosée,
En diamant !
Chaque jour palpite à la colle
De la corolle
Un papillon-coquelicot,
Pur calicot.
Rose-thé !… — Dans le grog, peut-être ! —
Tu dois renaître
Jaune, sous le fard du tampon,
Rose-pompon !
Vénus-Coton, née en pelote,
Un soir-matin,
Parmi l’écume… que culotte
Le clan rapin !
Rose-mousseuse, sur toi pousse
Souvent la mousse
De l’Aï..... Du BOCK plus souvent
— À 30 Cent.
— Un coup-de-soleil de la rampe !
Qui te retrempe ;
Un coup de pouce à ton grand air
Sur fil-de-fer !…
Va, gommeuse et gommée, ô rose
De couperose,
Fleurir les faux-cols et les cœurs,
Gilets vainqueurs !
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
Gladys frères, 1873, p. 47-49.
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27/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
À MON CHIEN POPE
— GENTLEMAN-DOG FROM NEW-LAND —
mort d’une balle.
Toi : ne pas suivre en domestique,
Ni lécher en fille publique !
— Maître-philosophe cynique :
N’être pas traité comme un chien,
Chien ! tu le veux — et tu fais bien.
— Toi : rester toi ; ne pas connaître
Ton écuelle ni ton maître.
Ne jamais marcher sur les mains,
Chien ! — c’est bon pour les humains.
… Pour l’amour — qu’à cela ne tienne :
Viole des chiens — Gare la Chienne !
Mords — Chien — et nul ne te mordra.
Emporte le morceau — Hurrah ! —
Mais après, ne fais pas la bête ;
S’il faut payer — paye — Et fais tête
Aux fouets qu’on te montrera.
— Pur ton sang ! pur ton chic sauvage !
— Hurler, nager —
Et, si l’on te fait enrager…
Enrage !
Île de Batz. — Octobre.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Gladys frères,
1873, p. 147.
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26/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
MIRLITON
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales !
Dans le chiendent qui te couvrira
La cigale aussi pour toi chantera,
Joyeuse, avec ses petites cymbales.
La rosée aura des pleurs matinales ;
Et le muguet blanc fait un joli drap…
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales.
Pleureuses en troupeau passeront les rafales…
La Muse camarde ici posera,
Sur ta bouche noire encore elle aura
Ces rimes qui vont aux moelles des pâles…
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
Gladys frères, 1873, p. 336.
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25/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
FÉMININ SINGULIER
Éternel Féminin de l’éternel Jocrisse !
Fais-nous sauter, pantins nous payons les décors !
Nous éclairons la rampe… Et toi, dans la coulisse,
Tu peux faire au pompier le pur don de ton corps.
Fais claquer sur nos dos le fouet de ton caprice,
Couronne tes genoux !… et nos têtes dix-cors ;
Ris ! montre tes dents ! mais… nous avons la police,
Et quelque chose en nous d’eunuque et de recors.
… Ah tu ne comprends pas ?… — Moi non plus — Fais la belle
Tourne : nous sommes soûls ! Et plats : Fais la cruelle !
Cravache ton pacha, ton humble serviteur !…
Après, sache tomber ! — mais tomber avec grâce —
Sur notre sable fin ne laisse pas de trace ! …
— C’est le métier de femme et de gladiateur. —
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Gladys frères,
1873, p. 23.
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04/03/2020
Tristan Corbière, Le Amours jaunes
Sous un portrait de Corbière fait par lui-même
Jeune philosophe en dérive
Revenu sans avoir été
Cœur de poète mal planté ;
Pourquoi voulez-vous que je vive ?
Amour !... je l’ai rêvé, mon cœur au grand ouvert
Bat comme un volet en pantenne
Habité par la froide haleine
Des plus bizarres courants d’air ;
Qui voudrait s’y jeter ? ... pas moi si j’étais ELLE
Va te coucher mon cœur, et ne bats plus de l’aile.
J’aurais voulu souffrir et mourir d’une femme,
M’ouvrir du haut en bas et lui donner en flamme,
Comme un punch, ce cœur-là chaud sous le chaud soleil.
Alors je chanterai : (faux comme de coutume)
Et j’irai me coucher seul dans la trouble brume :
Éternité, néant, mort, sommeil, ou réveil.
(...)
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Albert Messein, 1928, p. 18.
16/12/2019
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Paysage mauvais
Sable de vieux os — Le flot râle
Des glas : crevant bruit sur bruit.
— Palud pâle, où la lune avale
De gros vers, pour passer la nuit.
— Calme de peste, où la fièvre
Cuit… Le follet damné languit
— Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit
— La lavandière blanche étale
Des trépassés le linge sale,
Au soleil des loups… — Les crapauds
Petits chantres mélancoliques
Empoisonnent de leurs coliques
Les champignons, leurs escabeaux.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
dans C. Cros, T. C., Œuvres complètes,
Pléiade / Gallimard, 1970, p. 794.
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15/06/2019
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
1 sonnet
avec la manière de s'en servir
Réglons notre papier et formons bien nos lettres :
Vers filés à la main et d'un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu'en marquant la césure, un des quatre s'endorme...
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.
Sur le railwaydu Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,
— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.
— Télégramme sacré — 20 mots — Vite à mon aide...
(Sonnet — c'est un sonnet —) ô muse d'Archimède !
— La preuve d'un sonnet est par l'addition :
— Je pose 4 et 4 — 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô...» — Sonnet — Attention !
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 718.
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14/11/2018
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Paysage mauvais
Sable de vieux os — Le flot râle
Des glas : crevant bruit sur bruit.
— Palud pâle, où la lune avale
De gros vers, pour passer la nuit.
— Calme de peste, où la fièvre
Cuit… Le follet damné languit
— Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit
— La lavandière blanche étale
Des trépassés le linge sale,
Au soleil des loups… — Les crapauds
Petits chantres mélancoliques
Empoisonnent de leurs coliques
Les champignons, leurs escabeaux.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
Dans C. Cros, T. C., Œuvres complètes,
Pléiade / Gallimard, 1970, p. 794.
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07/01/2018
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Toit
Tiens, non ! j’attendrai tranquille,
Planté sous le toit,
Qu’il me tombe quelque tuile,
Souvenir de Toi !
J’ai tondu l’herbe, je lèche
La pierre, — altéré
Comme la Colique sèche
De Miserere
Je crèverai — Dieu me damne ! —
Ton tympan ou la peau d’âne
De mon bon tambour !
Dans ton boitier, ô Fenêtre !
Calme et pure, gît peut-être
……………………………..
Un vieux monsieur sourd !
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans
Charles Cros, T. C., Œuvres complètes,
Pléiade / Gallimard, 1970, p. 748.
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29/07/2017
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Sonnet posthume
Dors : ce lit est le tien… Tu n’iras plus au nôtre.
— Qui dort dîne. — À tes dents viendra tout seul le foin.
Dors : on t’aimera bien. — L’aimé c’est toujours l’Autre…
Rêve : La plus aimée est toujours la plus loin…
Dors : on t’appellera beau décrocheur d’étoiles !
Chevaucheur de rayons ! … quand il fera bien noir ;
Et l’ange du plafond, maigre araignée, au soir,
—Espoir — sur ton front vide ira filer ses toiles.
Museleur de voilette ! un baiser sous le voile
T’attend… on ne sait où : ferme les yeux pour voir.
Ris : les premiers honneurs t’attendent sous le poêle.
On cassera ton nez d’un bon coup d’encensoir,
Doux fumet !... pour le trogne en fleur, plein de moelle
D'un sacristain très bien, avec son encensoir.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,
C., Œuvres complètes, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 849.
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14/12/2016
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Paysage mauvais
Sables de vieux os _ Le flot râle
Des glas : crevant bruit sur bruit…
— Palud pâle, où la lune avale
De gros vers pour passer la nuit.
— Calme de peste, où la fièvre
Cuit… Le follet damné languit.
— Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit…
— La Lavandière blanche étale
Des trépassés le linge sale,
Au soleil des loups… — Les crapauds,
Petits chantres mélancoliques
Empoisonnent de leurs critiques,
Les champignons, leurs escabeaux.
Tristan Corbière, Les amours jaunes, dans
C. Cros, T. Corbière, Œuvres complètes,
édition P.-O. Walzer, Pléiade/Gallimard,
1970, p. 794.
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24/06/2016
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Soneto a Napoli
All’sole, all’luna
All’ sabato, all’canonico
E tutti quanti
Con pulcinella !
Il n’est pas de Samedi
Qui n’est soleil à midi ;
Femme ou fille soleillant
Qui n’ait midi sans amant !...
Lune, Bouc, Curé cafard
Qui n’ait tricorne cornard !
— Corne au front et corne au seuil
Préserve du mauvais œil.
… L’ombilic du jour fuyant
Son macaroni brûlant,
Avec la tarentela ;
Lucia, Maz’Aniello,
Santa-Pia, Diavolo,
— Con pulcinella —
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
dans Charles Cros, T. C., Œuvres
Cpmplètes, Pléiade/Gallimard, 1970, 784.
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08/05/2016
Tristan Corbière, La Cigale et le Poète, dans Les Amours jaunes
Corbière par Félix Valloton
À Marcelle
La Cigale et le Poète
Le poète ayant chanté,
Déchanté,
Vit sa Muse, presque bue,
Rouler en bas de sa nue
De carton, sur des lambeaux
De papiers et d’oripeaux.
Il alla coller sa mine
Aux carreaux de sa voisine,
Pour lui peindre ses regrets
D’avoir fait — Oh ! pas exprès —
Son honteux monstre de livre !...
— « Mais vous étiez donc bien ivre ?
— Ivre de vous !...Est-ce mal ?
— Écrivain public banal !
Qui pouvait si bien le dire…
Et, si bien ne pas l’écrire !
— J’y pensais, en revenant…
On n’est pas parfait, Marcelle…
— Oh ! c’est tout comme, dit-elle,
Si vous chantiez maintenant ! »
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
dans Charles Cros, T. C., Œuvres complètes,
Pléiade / Gallimard, 1970, p. 853.
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08/12/2015
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
La pipe au poète
Je suis la Pipe d’un poète,
Sa nourrice et : j’endors sa Bête.
Quand ses chimères éborgnées
Viennent se heurter à son front,
Je fume... et lui, dans son plafond,
Ne peut plus voir les araignées.
... Je lui fais un ciel, des nuages,
La mer, le désert, des mirages ;
— Il laisse errer là son œil mort...
Et, quand lourde devient la nue,
Il croit voir une ombre connue,
— Et je sens mon tuyau qu’il mord...
— Un autre tourbillon délie
Son âme, son carcan, sa vie !
... Et je me sens m’éteindre... — Il dort —
.............................................................
— Dors encor : la Bête est calmée,
File ton rêve jusqu’au bout...
Mon pauvre !... la fumée est tout.
— S’il est vrai que tout est fumée...
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,
T. C., Œuvres complètes, édition Pierre-Olivier-Walzer pour T. C., Pléiade / Gallimard, 1970, p. 734.
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